Présentation de l'auteur : Augustin Berque (père du grand islamologue Jacques Berque) était administrateur et trésorier de la société historique algérienne. C'était incontestablement un homme de haute culture et ses écrits le prouvent abondamment. Le long article qu'il avait publié dans la " Revue africaine" sous le titre étrange : " Un mystique moderniste : le Cheikh Alawi" décrit d'une façon vivante et complète l'expérience qu'il eut, pour ainsi dire, du Cheikh Alawi, par une fréquentation suivie au cours de longues années. Nous avons cependant, en raison du caractère excessivement précieux de ce texte, décidé de le reproduire (en entier) malgré qu'il soit émaillé ici et là de faits inexacts ou de réflexions erronées. Ceci est dû, non à la mauvaise foi de l'auteur, mais au fait que Berque et les gens de son milieu ont vu en le Cheikh Alawi, l'homme d'un grand savoir, d'une rare éloquence, un esprit infatigable et fécond. Ils l'ont à la fois admiré et craint à cause de l'impact qu'il avait sur tous ceux qui l'approchaient, y compris eux-mêmes. On trouvera donc, dans les pages qui suivent, le texte intégral de l'article d'A. Berque et on se fie à l'intelligence du lecteur pour " traduire" ou " interpréter" chaque fois que c'est nécessaire. C'est un texte qui suppose chez le lecteur une connaissance préalable de l'Islam et de sa doctrine intérieure. A travers le voile des mots, le chercheur " saisira le parfum à sa source". Nous avons ajouté quelques notes qui soulignent justement les erreurs les plus "fatales" à une compréhension juste.
Le commentaire de Emile Dermenghem :
Un mystique, un réformateur, un fondateur d’ordre, un soufi initié à la tradition ésotérique, un écrivain, un journaliste même, un entraîneur d’hommes, un contemplatif, une volonté fulgurante, une personnalité rayonnante, tel nous apparait le fondateur de la confrérie initiatique des Allawiya, branche des Derqawa. Né à Mostaganem en 1872, mort dans la même ville le 14 juillet 1934. Les lecteurs des "Cahiers du Sud" connaissent déjà cette extraordinaire figure, par l’article saisissant que lui consacra F. Schuon, dans le numéro d’août-septembre 1936. M. Berque a publié sur le cheikh une excellente et longue étude historique et philosophique, où il montre le rôle du cheikh Benalioua dans l’évolution des confréries musulmanes et dans celle de la métaphysique intuitionniste. Ses disciples le considéraient comme le Pôle des saints de l’époque, le chef caché de la hiérarchie mystique des amis de Dieu par la vertu desquels subsiste le monde. Des intellectuels européens se firent ses disciples pour recevoir de lui l'initiation et participer à sa baraka. Son rêve était de rénover le Soufisme. Après avoir combattu les abus du maraboutisme, il fut lui-même âprement combattu par les oulémas juridiques, formalistes et juristes, qui voient dans les confréries des innovations et dans la métaphysique mystique une doctrine hétérodoxe. Traditionnaliste, on peut dire qu’il fut aussi moderniste, en ce sens qu’il admettait la diversité et la relativité de la prise de conscience ce la vérité, l'auto-perfectionnement, si l’on peut dire, de la révélation, la superposition des sens et l’interprétation anagogique. Plus une tradition est solide, plus une doctrine est forte et plus elles peuvent se permettre de relativisme, de même que dans les sociétés, la décentralisation a besoin d’un pouvoir fort peur ne pas dégénérer en anarchie. Ce sont d’ailleurs, chez les musulmans, les mystiques, qui ont le plus insisté sur la tolérance et suggéré l’idée de l’unité fondamentale relative de l’expérience religieuse. Le cheikh Benalioua excella d’autre part, comme le note M. Berque dans la "stratégie des âmes", au point qu’il séduisait aussi bien l’homme le plus cultivé que le paysan illettré ou l’ouvrier de la banlieue parisienne. Il donna dans son rituel une extrême importance à la musique, aux inflexions harmonieuses des voix dans la prière, aux répétitions du dikr, à la danse extatique. "La cadence des chants, des danses et des incantations rituelles, dit M. Schuon, semblait se perpétuer en lui par des vibrations sans fin". M. Berque attribue à ce rituel envoûtant et au magnétisme personnel du cheikh le rapide développement d’une confrérie dont sa mort, pense-t-il, compromettra sans doute le succès. Il souligne aussi la spiritualisation finale impressionnante du cheikh, devenu de plus en plus lyrique et sensible, embrassant dans un élan d’amour, l’homme, l’animal et le brin d’herbe, "poète de la souffrance universelle, prophète inspiré de la réconciliation des âmes". Source
Un mystique moderniste : le cheikh Benalioua
par A. Berque.
(Deuxième Congrès de la Fédération des Sociétés Savantes de l’Afrique du Nord, Tlemcen, 14-17 avril 1936). Publié par les soins de la Société Historique Algérienne. Tome II. - Revue Africaine, 1936, Alger).
La biographie du Cheikh Benalioua (Ahmed Ould Mostefa), tient en quelques mots. Son histoire ne sera jamais que celle de ses idées. Né à Mostaganem en 1872, d'une famille modeste, tour à tour ouvrier cordonnier, épicier, failli vers 1908, puis à la tête d'un nouveau commerce de comestibles, il parvient enfin à une petite aisance. Entre temps, il poursuit de fortes études religieuses, sous la direction du Cheikh Bouzid, des Derkaouas-Habrias, savant réputé dont il reste l'élève préféré. A la mort de Bouzid, en 1909, Benalioua voyage en Égypte, en Syrie, en Perse, dans l'Inde. C'est la partie mystérieuse et peu connue de sa vie.
Au cours de ces pérégrinations, il apprend la thaumaturgie, l'ésotérisme, la théosophie, l'occultisme, et vraisemblablement, l'hypnotisme. A son retour, rupture avec les Derkaouas, le voilà chef d'école. Son succès est éclatant, rapide, marqué par la fondation à Alger et à Mostaganem de deux importantes zaouïas et la direction de son journal hebdomadaire, en langue arabe, El Balagh El Djezaïri.
Objet de l'adoration fanatique de ses fidèles, violemment attaqué par ses adversaires, les néo-wahabites et certains marabouts, il enseigne une doctrine troublante qui, pour beaucoup, est un moderne Evangile. Car il a, en même temps qu'une masse d'affiliés ignares, des disciples européens d'une haute culture. Sa propagande, servie par une rare éloquence, un savoir étendu, est infatigable et féconde. Elle électrise, en quelques jours, des douars entiers. Mais usé à cet apostolat de la plume et du verbe, affaibli par une ascèse ardente et de dures privations, Benalioua meurt à Mostaganem le 14 juillet 1934. On demeure surpris du succès de son prosélytisme.
Les Derkaouas dont il est issu et qu'il combattra, sont cependant en Oranie puissamment organisés. Il y a la branche des Oulad Mebkhout, à Méchéria, celle de Mostaganem, l'école de Mascara, les Oulad Lakred de Tiaret, les Benbrahim de Tagremaret, la zaouïa de Tircine (Saïda) (1). Il y a aussi les affiliés pseudo senoussistes du marabout Bentekouk dans l'arrondissement même de Mostaganem (2). Autant de résistances qui s'opposent à la nouvelle confrérie. Mais sa force de propulsion est si grande que, dès 1920, elle triomphe. Ignoré avant 1914, Benalioua surgit soudain après la guerre, pour devenir en quelques mois l'un des grands chefs religieux algériens. Ce succès vient moins de la séduction de la doctrine que du prestige de son auteur.
Cheikh Benalioua était d'apparence chétive. Mais il émanait de lui un rayonnement extraordinaire, un irrésistible magnétisme personnel. Son regard agile, lucide, d'une singulière attirance, décelait l'habileté du manieur d'âmes et la force orgueilleuse sûre d'elle-même. Très affable, courtois, en retrait, tout de nuances et d'attitude volontiers conciliante, il réalisait à merveille 'le type du marabout déjà évolué. On sentait en lui une volonté tenace, une ardeur subtile qui, en quelques instants, consumait son objet. Il arrive que le religieux maghrébin soit à la fois réaliste et doctrinaire, sceptique et dogmatique, positif et mystique, par ce phénomène de bovarysme qui est la marque de certains apôtres de l'Islam. Il n'en était point ainsi de Benalioua. Nul ne saurait douter de sa sincérité, de sa probité spirituelle. Sa foi était débordante, communicative, toute en lyrisme jaillissant. Mais, en même temps, il gardait un sens aigu du fait et de son utilisation immédiate. Il appartenait à cette classe d'esprits si fréquents en Afrique du Nord, qui peuvent passer sans transition de la rêverie à l'action, de l'impondérable à la vie, des grands mouvements d'idées aux infinitésimaux de la politique indigène (3). Ces psychologies de marabouts déconcertent l'analyse. Elles procèdent de cette logique interne qui relie le fatalisme à l'exaltation de la volonté, la volupté orientale à l'éthique de Ghazali.
Nous avons connu Cheikh Benalioua, de 1921 à 1934. Nous l'avons vu lentement vieillir. Sa curiosité intellectuelle s'aiguisait chaque jour et, jusqu'à son dernier souffle, il resta un fervent de l'investigation métaphysique. Il est peu de problèmes qu'il n'ait abordés, guère de philosophies dont il n'ait extrait la substance. Mais cette tension spirituelle, sa rigoureuse austérité, ont certainement abrégé ses jours. Vers la fin, il n'était plus qu'une abstraction hautaine, fermée, dédaigneuse de la vie.
L'un de ses admirateurs, M. Frithjof Schuon en a tracé un portrait inoubliable : Vêtu d'une djellaba brune et coiffé d'un turban blanc, avec sa barbe argentée, ses yeux de visionnaire et ses longues mains dont les gestes semblaient alourdis par le flux de sa baraka, il exhalait quelque chose de l'ambiance archaïque et pure des temps de Sidna Ibrahim El Khalil. Il parlait d'une voix affaiblie, douce, une voix de cristal fêlé, laissant tomber ses paroles goutte à goutte ; il y avait un ton résigné et détaché dans cette voix, et il semblait que les pensées qu'elle transmettait n'étaient plus que des extériorisations très fragiles, très transparentes, d'une intelligence trop consciente d'elle-même pour se disperser dans le courant des contingences. Ses yeux, deux lampes sépulcrales, ne paraissaient voir, sans s’arrêter à rien, qu'une seule et même réalité, celle de l'infini, à travers les objets, ou peut-être un seul et même néant dans l'écorce de ces choses : regard très droit, presque dur par son énigmatique immobilité et pourtant plein de bonté. Souvent, les longues fentes des yeux s'élargissaient subitement, comme par étonnement, ou comme captées par un spectacle merveilleux. La cadence des chants, des danses et des incantations rituelles semblait se perpétuer en lui par des vibrations sans fin ; sa tête se mouvait parfois dans un bercement rythmique, pendant que son âme était plongée dans les inépuisables mystères du Nom Divin, caché dans le dhikr, le Souvenir... Une impression d’irréalité se dégageait de sa personne, tant il était lointain, fermé, insaisissable dans sa simplicité toute abstraite... On l'entourait de la vénération que l'on devait à la fois au saint, au chef, au vieillard et au mourant (4).
Tel fut l'homme. Voici la doctrine (5) :
METAPHYSIQUE
A) L'INSTRUMENT DE LA RECHERCHE
Benalioua a hésité devant le problème. Connaît-on Dieu par la raison ou par le cœur ? Bref, Aristote ou Plotin, Descartes ou Pascal, Taine ou M. Bergson ? Point d'interrogation au seuil de chaque système religieux.
L'Islam, par ses théologiens, et la plupart de ses philosophes, donna à l'instrument rationaliste une pointe d'une extrême ténuité. L'argutie discursive du Kalam, la dialectique des Falassifa, ont exalté le primat de la raison comme l'a fait en un sens le thomisme occidental. Pour les Moutazilites, ces rationalistes hardis et passionnés (6), l'intelligence est le critère de la Foi (7). Aboul Hodeil démontre avec une rare subtilité qu'avant toute révélation, l'homme peut parvenir à la connaissance de Dieu, et qu'il le doit (8). Averroès pense que la philosophie n'est que la forme élevée de la même vérité dont les dogmes religieux sont une représentation imparfaite, grossière, adaptée à l'intelligence des foules (9).
Sans doute, savons-nous qu'en classant Averroès parmi les purs rationalistes de l'Islam, nous prenons parti dans un grave débat. Il y a, en effet, l'Averroès déjà voltairien du moyen-âge, l'Averroès libre-penseur de Renan, l’Averroès aristotélicien de M. Carra de Vaux, l'Averroès hérétique de M. Duncan Macdonald, l'Averroès fidéiste et pré-thomiste de M. Asin Palacios, l'Averroès conciliateur de la raison et de la foi de M. Léon Gauthier, l'Averroès hermétique et proche du pragmatisme, du P. de la Boullaye (10). Il n'en reste pas moins que des textes précis d'une authenticité indiscutable, son Fasl El maqâl notamment, témoignent de l'hyper-rationalisme d'Averroès (11).
Sans doute, comme nous le verrons plus loin, réserve-t-il l'intelligence métaphysique du divin aux hommes de démonstration et aux hommes d'interprétation dialectique, et laisse-t-il au vulgaire le sens extérieur des symboles religieux. Mais la philosophie est la compagne de la religion et sa sœur de lait. Si bien que la spéculation fondée sur la démonstration, ne conduit point à contredire les enseignements donnés par la loi divine. Car la vérité ne saurait être contraire à la vérité ... Averroès, par de nombreuses citations coraniques, démontre qu'il est obligatoire de faire usage du raisonnement rationnel, ou rationnel et religieux à la fois ... Puisqu'il est bien établi que la loi divine fait une obligation d'appliquer à la considération de l'univers la raison et la réflexion, comme la réflexion consiste uniquement à tirer l'inconnu du connu, à l'en faire sortir, et que cela est le syllogisme, ou se fait par le syllogisme, c'est pour nous une obligation de nous appliquer à l'étude de l'univers par le syllogisme rationnel, et il est évident que cette sorte d'étude, à laquelle la loi divine incite, prend la forme la plus parfaite du syllogisme, qui s'appelle démonstration (12). Voilà quelques textes formels où s'affirme, avec une intrépidité peut être brutale, le rationalisme d'Averroès (13).
Tous les grands dialecticiens, arabes ou espagnols, ont excellé au syllogisme, à l’explication de Dieu et du monde, par des méthodes d'induction ou de déduction d'une puissante machinerie. Bien que, d'une manière générale, la philosophie musulmane apparaisse surtout comme une apologie de l'Islam (14), elle a déployé une extrême subtilité, un intellectualisme exacerbé à concilier la raison et la foi. Arrêtons ici notre démonstration. Aussi bien n'avons-nous voulu que préciser, par quelques exemples, l'élan rationaliste des métaphysiciens.
Même travail de synthèse en théologie. L'école d'Acharite avec son éclectisme transactionnel a abouti, Sans Sortir de l'orthodoxie (15), à des formules dont l'une, celle de Tabari, reste frappante : Tout musulman qui a atteint l'âge de la puberté et qui ne connaît pas Dieu, avec tous ses noms et tous ses attributs, par le raisonnement, est un Kafir dont la vie et les biens sont hors la loi (16). On nous objectera Ghazali. Convenons certes qu'au fur et à mesure que Ghazali avançait dans le soufisme, il approchait du drame pascalien, d'un système où l'illumination intérieure l'emportait sur la spéculation pure. Mais quelle puissance de construction casuistique ! Sa critique de la causalité est décisive et, selon Renan, Hume n'y a rien ajouté (17). Ghazali est un virtuose dans l'art dont il veut montrer le néant (18). Ce dialecticien incomparable fait la transition entre les fanatiques de la raison pure et les fétichistes de l'intuition.
Nul plus que Ghazali, sauf Pascal, n'a souffert de l'angoisse métaphysique. Nous le connaissons peu encore, et à travers des gloses qui pèsent sur le texte (19). Il a manié à merveille l'outil rationaliste. Son Tahafout El Falasifah (Destruction des Philosophes) est une extraordinaire réussite de subtilité scholastique (20).
Ghazali excelle à s'insinuer dans la fissure d'un système, à en disjoindre les matériaux, à faire s'écrouler soudain une imposante architecture idéologique. Il braque, contre les philosophes, vingt arguments décisifs (21). Et nous n'avons guère dépassé sa critique de la causalité. L'empirisme ne présente qu'une simultanéité de séries de faits ; mais on ne saurait en déduire une dépendance essentielle de deux d'entre elles (22). Comment, dès lors, Ghazali trouve-t-il la Vérité ? Par l'élan mystique, le culte divin du cœur, comme une prière intérieure, comme le moyen que possède la conscience humaine de s'approcher de Dieu (23). Après une période d'absolu scepticisme, après avoir employé toutes les ressources de la dialectique grecque à un pragmatisme très osé pour l'époque (24), il s'ouvre à l'illumination brusque des Néo-Platoniciens. Il perçoit Dieu par le cœur. Il écrit : La connaissance de la vie future se divise en deux branches : la science de la vision intuitive et la science du saint commerce avec Dieu.
La science de la vision intuitive est la science des principes intérieurs. Elle est le dernier terme du savoir ; elle appartient aux favoris de Dieu et à ceux qui sont admis à la ·proximité divine. C'est un faisceau de lumière inondant le cœur qui est pur des qualités blâmables et Se tient soigneusement à l'écart de toute tache. En cet état, l'homme reçoit la connaissance certaine de l'essence de Dieu, de ses attributs propres ou de ses actes, ainsi que de sa volonté attentive dans la condui-te de ce monde et de l'autre. (El Ihyia). Et ailleurs : La science du cœur est le discernement esthétique et l'union intime avec Dieu au-delà du point commensurable. La plume la plus exercée ne saurait y mordre ; elle est inattaquable à la dialectique et insondable à l'imagination. Elle est l'opposé de la science des faits externes. Elle est comme le fruit à l'arbre : à l'arbre la grandeur, au fruit l'utilité. (Djaouaher El Fiqh) (25). Bien mieux, Ghazali effleure Plotin et il évoque par moments une sorte de pré-bergsonisme hésitant, nuancé, ondoyant. Ne déclare-t-il pas, en substance, que le mot fige la pensée et que notre prescience du Divin ne peut être rendue que par l'imprécis, le fluent d'une image, d'une métaphore, d'un symbole ? (26).
Sa théorie de la perception extérieure n'implique-t-elle pas l'enrichissement de la sensation par l'apport immédiat de la mémoire ? (27). Et sa distinction entre l'unité arithmétique et l'unité vivante qui n'exclut pas la diversité évoque, de loin bien entendu, l'un des thèmes célèbres de M. Bergson (28).
Le soufisme musulman n'a guère dépassé Ghazali. Il a affirmé la précellence de l'intuition. Le plus fin analyste de l'ascèse, Souhraouerdi, indique que la submersion et l'anéantissement (en Dieu) sont la réalisation de la station de l'amour par la lumière de la certitude qui s'empare du cœur, et l'évanouissement du souvenir, et par l'affirmation de l'Essence évidente qui efface les détails et les sinuosités du contingent, vide l'énergie de l'être de tous les attributs de l'âme (29). Ibn Arabi, maître préféré du Cheikh Benalioua, a poussé à l'extrême ces doctrines. Sa formule finale, c'est l'équivalence de toutes les religions, le rejet de la théologie rationaliste, la valeur de l'interprétation allégorique des dogmes et, par-dessus tout, l'exaltation de la lumière intérieure qui préfigure Dieu (30). Son apologue du Soufi et du Philosophe reste justement célèbre : dans un voyage d'exploration, le Philosophe guidé par la seule raison doit s'arrêter, alors que le Soufi parvient aux étoiles par l'extase, entend la musique des Sphères et plonge dans l'Ame universelle.
Cette insertion du Divin dans l'humanité se révèle particulièrement chez El Halladj. Nous connaissons à fond aujourd'hui, grâce au livre considérable de M. Louis Massignon, ce martyr mystique de l'Islam (31). Par son union à Dieu, Halladj s'épanche avec son Bien Aimé en dialogues mystiques, familiers, brûlants et volubiles (32). Ce ne sera jamais à la suite d'un syllogisme, d'une induction, d'une opération conceptuelle, d'une froide intellection de l'illumination qui n'est plus. Le cœur, resté fidèle et consentant, se tient prêt à recevoir de nouveau la visitation divine ... (33).
L'intelligence décompose, suivant ses catégories, le Divin. Elle le classe, le dessèche, le découpe. L'analyse le géométrise et le durcit. De sorte que pour Halladj, comme l'écrit M. Massignon la parole divine est une vérité positivement transcendante, masquée par l'abstraction même, et par ce concept discursif de Dieu qu'elle fait concevoir à notre intelligence (34). Dieu est inconceptuel.
Bien mieux, certains rites orthodoxes, comme le Malékisme, se sont élevés avec force contre la recherche spéculative. L'économie des gloses religieuses et juridiques élaborées par l'imam Malek, est inextensible et rigoureusement close. Ne voyez-vous pas, disait-il, que si un adepte du Kalam rencontre un homme qui est meilleur controversiste que lui, il prendra son sentiment et qu'il est ainsi exposé à changer de religion tous les jours (35). M. Goldziher rapporte que pour le croyant de ce rite, l'acte le plus méritoire, c'est de dédaigner le raisonnement et de fuir l'investigation intellectuelle comme on se sauve devant une bête féroce (36).
Rappelons, enfin, que l'Islam a eu ses sceptiques acharnés, à contester la valeur objective de la science (37). Certains Moutazilites ont été jusqu'à écrire que cinquante doutes valent mieux qu'une certitude (38). D'autres ont pratiqué le doute cartésien (39). Un quatrain d'Omar Khayyâm marque ironiquement les bornes de l'investigation intellectuelle. Ceux qui sont des Océans de Science et d'érudition et que leurs perfections ont rendu des lumières pour leurs contemporains, n'ont pas fait un pas en dehors de cette nuit sombre ; ils ont conté une fable et sont allés dormir (40).
B) LES RÉSULTATS DE LA RECHERCHE
On n'a point prétendu, par ces quelques citations, donner une image, même rapide, du conflit qui affronte l'Islam rationaliste à l'Islam fidéiste, mais seulement situer le carrefour où, comme tous les penseurs religieux, Benalioua s'est d'abord arrêté. Il semble bien qu'après une courte méditation, il a délibérément choisi le sentier sinueux qui s'écarte des froides rectitudes logiques.
Malheur, s'écrie Ibn El Arabi, malheur à qui base ses convictions sur des syllogismes ! Ils demeurent à la merci des objections. La vraie foi, c'est la foi instinctive, celle du cœur, supérieure à toute contradiction (41). Telle est la doctrine de celui que Cheikh Benalioua appelle le maître auguste, le Cheikh Suprême (42). C'est par la voie de l'extase seulement que l'on atteint Dieu et que l'on baigne dans la mer des réalités mystiques (43). C'est par un dépouillement continuel de la personnalité. Plotin avait déjà conseillé de fuir la matière et le corps, d'éteindre les cinq sens, d'abandonner son moi pour devenir le Tout (44). Selon lui, pour découvrir Dieu, éternellement présent en nous, il faut retrancher de soi, d'abord le corps, ensuite l'âme personnelle (45).
Frappante est l'analogie de ces formules plotiniennes avec celles de certains mystiques musulmans. Purifie-toi de tout attribut du moi, avant de percevoir ton essence brillante Quiconque ne sort du palais de l'être, ne peut atteindre le village de la vérité. La limite de la personnalité est le voile qui dérobe Dieu à l'homme (46).
Cheikh Benalioua dit à son tour, paraphrasant son maître Si Hamou Bouzidi :
L'Infini, ou monde de l'Absolu, que nous concevons extérieur à nous, est au contraire universel et existe tel aussi bien en nous-mêmes qu'au dehors. Il n'y a qu'un monde, c'est celui-là. Ce que nous considérons comme Le Monde sensible, le monde du fini ou temporel, n'est qu'un ensemble de voiles cachant le monde réel. Ces voiles sont nos propres sens (47). Nos yeux sont les voit les de la vraie vue, nos oreilles un voile de l'ouïe véritable et ainsi des autres sens. Pour se rendre compte de l'existence du monde réel, il faut faire tomber ces c, voiles que sont les sens …. Que reste-t-il alors de l'homme ? Il reste une légère lueur qui lui apparait comme la lucidité de sa conscience …. Il y a continuité parce faite entre cette lueur et la grande lumière du Monde Infini…. Cette continuité étant constatée, notre conscience peut (par la prière) couler en quelque sorte, se répandre dans l'infini, fusionner avec lui, au point que l'homme arrive à se rendre compte que seul l'infini est, et que lui, l'Homme conscient, n'existe que comme voile. Une fois cet état réalisé, toutes les lumières de la Vie Infinie peuvent pénétrer l'âme du Soufi et à le faire participer à la Vie Divine, il est en droit de s'écrier : Je suis Allah ! (48) Et l'intellect pur, ajoute en substance le Cheikh, est insuffisant pour connaître le Divin. Il faut obtenir l'illumination, c'est-à-dire, l'élargissement de conscience qui vous permettra de réaliser par le cœur ce que vous avez, cérébralement acquis (49).
Comment expliquer cette intériorité réciproque de Dieu et de l'Homme ? Le soufisme n'est que la modalité musulmane de l'émanatisme plotinien (50). La création tout entière dérive de Dieu par une suite d'ondes sans cesse dégradées qui, parties de l'Idée pure, se chargent progressivement de matière. Les néo-platoniciens tirent de Dieu la matière elle-même, considérée comme la dernière ondulation en laquelle le flux de l'émanation divine vient expirer sur les confins du néant… (51).
Remarquons ce que cette métaphysique qui touche de fort près le panthéisme, a d'hétérodoxe et d'opposé à la tradition coranique. C'est par là que Benalioua, qui se prétend cependant orthodoxe, soulève les accusations d'hérésie portées contre lui en Algérie. Il arrive en somme à l'exégèse moderniste de Kaourani et Naboulousi, honnis du sunnisme : pour eux, comme pour lui, la profession de foi islamique, la Chahada, signifie non la transcendance et l'unité de Dieu, mais bien l'absolue immanence du Divin dans les êtres (52). Le fameux Taouhid, l'affirmation de l'Unité de Dieu, c'est pour le mystique, l'Unité en Dieu, l'infusion de l'âme dans la Divinité ; pour le canoniste orthodoxe, c'est l'Unicité, la distinction parfaite du Créateur et de sa créature (53). Benalioua a été jusqu'à écrire : Le monde a une âme et cette âme, c'est Dieu. Dieu a un corps, et ce corps, c'est l'Univers. Les ascètes sont l'incarnation de l'esprit divin (54).
Mais l'intuition extatique de Dieu n'est pas, comme on pourrait le croire, un nirvana flottant, rêveur, paresseux. Le fanâ musulman comporte au premier plan l'omniprésence de Dieu ; le nirvana hindou est indépendant de l'idée de Dieu et il s'ouvre sur la métempsychose (55). Quant à l'illumination soudaine, elle est comme l'intuition bergsonienne elle-même, que les lecteurs superficiels interprètent comme une instinctive aperception de la vérité, alors qu'il s'agit d'une opération difficile, douloureuse, impliquant une extrême tension (56).
Pour Benalioua, et la plupart des Soufis, c'est un effort, analogue à la contraction conseillée par Plotin : Il faut contracter sa pensée jusqu'à l'Un véritable, étranger à toute multiplicité, l'Un qui a toute simplicité et qui est réellement simple (57). La doctrine de Benalioua est ardue. Mais elle révèle au Mourid l'essence divine d'une façon parfaite ; il atteindra alors le degré de la connaissance, de la signification et de la certitude mystiques ; elle a pour but également de douer le Mourid de la vue intérieure qui permet de sonder les mystères ; elle lui enduit, les paupières du collyre de l'union avec Dieu, de l'absorption en Dieu jusqu'à complète infusion. Cette absorption, que seul le mysticisme peut permettre, et qui est par conséquent spéciale, comporte plusieurs stations qu'il faut franchir (58). L'extase de Benalioua est une communion intégrale de l'âme avec Dieu (59). Il écrit, dans la deuxième qasida de son Diwan : Je m'anéantis en Dieu ; je retourne ainsi à mon principe premier (60). La contemplation devient dès lors une hypertension de !'âme, un dépouillement douloureux des facultés et des sens, le geste de l'attention qui se transcende elle-même. Benalioua s’écrie ainsi :
O mon cœur,
Écoute et comprend, Dieu !
Ne sois pas distrait ;
Ne déborde pas,
De crainte de révéler le secret de Dieu (61).
Cette adéquation de l'homme au Divin, seuls quelques rares initiés peuvent· la pratiquer. Benalioua se croyait du nombre. Il était le père nourricier des âmes, l'illuminé par la lumière divine, celui dont la présence en notre siècle est un bienfait de Dieu …. (62). Il aurait pu, dit-il, se dispenser d'invoquer, comme le font les autres saints, l'indispensable chaîne mystique, car c'est le Prophète lui-même qui l'a interpellé de vive voix pour le charger de sa mission. C'est donc le Prophète, et non pas seulement une généalogie spirituelle, qui légitime son autorité (63). Il s'intitulait Ghaouth, le premier en titre dans la hiérarchie des Saints. Il se disait le plus grand des Soufis de son temps. Commentant un hadith suivant lequel à la fin de chaque siècle apparaît un Imam, rénovateur de la Foi, Benalioua se proclame Imam, le dernier de ces rénovateurs étant avant lui le Cheikh Darkaoui :
Proclame ô narrateur !
Le nom de Alaoui
Qui succède au Darkaoui,
Telle est la volonté de Dieu (64).
Et ailleurs je suis l'imam ;
Si je pouvais voir la lumière qui m'inonde,
Elle remplacerait à mes yeux la Qibla (65).
Il avait rapporté de son long séjour en Orient des formules fortement imprégnées de Bâbisme. Un soir qu'il était en extase, l'un de ses fidèles l'entendit soupirer :
Venez à moi vous qui cherchez.
Je suis la Porte de la Connaissance.
Et une autre fois :
Je suis, dans un corps charnel,
La plus haute vérité (66).
Le Cheikh Benalioua fut d'une rare émotivité métaphysique. Il atteignait d'un élan les hauts sommets de l'ontologie. Son ingéniosité était extrême, et il excellait à vêtir d'une métaphore, d'une allégorie charmante, la sécheresse des idées. Dieu, disait-il, dans le privé, est comme une lumière pure. Son rayon illumine le Prophète ; il m'a illuminé à mon tour. Mais au fur et à mesure qu'il descend sur l'homme, sur les bêtes, les plantes, les minéraux, le rayon s'alourdit de matière. De sorte que, pour retrouver en nous son Essence, il faut fondre cette matière au feu brûlant de l'Amour. La vapeur, l'eau, la glace sont une substance unique ; elles donnent de Dieu et de ses dégradations dans l'espace, une image suffisamment approchée.
Nous avons eu l'occasion d'exposer à Cheikh Benalioua divers systèmes philosophiques de l'Occident. Il les comprenait à merveille. Mais sa dilection allait à la métaphysique de M. Bergson, qu'il regrettait amèrement de ne pouvoir suivre dans le texte. Il en saisissait, dès l'exposé verbal, les finesses les plus ténues et les traduisait sur le champ par une image éclatante. Il nous commenta ainsi la célèbre distinction entre l'intelligence outil, et l'instinct-intuition seul capable d'appréhender la vie (67) : la charrue du fellah s'est substituée à la plume du Taleb. L'explication que donne M. Bergson de la sophistique des Eléates (68) le ravissait et il tirait d'ingénieux apologues de la fameuse flèche de Zénon.
Son œuvre écrite n'apporte aucune variation essentielle à la théodicée de l'Islam. Le devoir religieux, écrit Benalioua, consiste pour vous, ô responsable, à croire sincèrement à l'existence de Dieu, des anges, des livres divins, des envoyés de Dieu, au jugement dernier et à croire à la prédestination (69). Comme au surplus la plupart des penseurs musulmans, lesquels n'ont véritablement compris que le Stagirite logicien, non le Stagirite métaphysicien (70), Benalioua est parvenu difficilement à la conception aristotélicienne de. L’Être suprême, pure, absolue, dégagée de tout anthropomorphisme moral ou physique, exclusive des vertus, des désirs, de vouloir, sans communication avec l'Univers. Dieu, dit-il, est omnipotent, il a toutes les perfections, aucune imperfection ne peut l'atteindre ; il n'est ni père, ni enfant de quoi que ce soit ; par ses attributs spéciaux il se distingue de toutes les créatures, dans l'ensemble et dans le détail. Rien ne lui est comparable. II voit et entend tout (71).
Benalioua s'est soigneusement gardé de poser les problèmes, chers à la philosophie arabe, de la substance, de l'essence et de la causalité. II voyait là une puérile jonglerie de la raison raisonnante. Ces tours de passepasse scolastiques le faisaient sourire. Et pour en montrer l'inanité, il reprit un jour sa métaphore que nous avons citée : Ce sont là, dit-il, charrues qui veulent labourer le ciel.
Mais s'il dédaignait les rébus usuels de la dialectique musulmane, il s'intéressait vivement à notre spéculation occidentale. Nous avons déjà dit son goût pour M. Bergson. Il prétendait en avoir deviné, bien avant de lés apprendre, les schèmes essentiels. De fait, ses propos s'enrichissaient de curieuses réminiscences. Il comprenait fort bien la scission d'une évolution créatrice, d'ailleurs voulue par Dieu si elle n'est pas Dieu lui-même, en un Instinct moulé sur la Vie et une Intelligence appliquée à la matière, consubstantielle à la matière, mais inapte dès lors aux hauts problèmes de l’Être. Que la raison se trouve à l'aise dans le physique, cela va de soi ; mais le métaphysique lui est fermé, et s'ouvre seulement à l'Instinct-Intuition. De là, poursuivait le Cheikh, l'erreur capitale qui consiste à transporter les méthodes géométriques de l'esprit, aux choses que l'âme, aidée par Dieu, peut seule découvrir (72). Bien qu'il eût pour la théologie une très vive admiration et qu'il n'en suspectât pas les trouvailles, il considérait que l'idée rationaliste du Divin restera toujours entachée d'anthropomorphisme. Qui a raison, ou de la fleur imaginant Dieu comme un parfum, ou d'Aristote concevant Dieu qui se pense éternellement ? Aristote et la fleur font la même démarche : l'un divinise sa pensée, l'autre ses effluves. Tous deux ont raison, concluait le Cheikh. Car Dieu est Tout, et chaque partie de la création n'ouvre sur lui qu'un minuscule angle de vue.
Autre influence moderne. Benalioua avait été séduit par la thèse bergsonienne qui fait du langage une compression, un dessèchement, une immobilisation du senti (73). La fluidité de la vie se fige dans les mots. Il y a, disait Benalioua, 100 noms de Dieu. Nous n'en connaissons que 99. Si nous connaissions le centième, le monde croulerait aussitôt. Car, ce mot unique, n'ayant jamais été prononcé, n'a pas encore emprisonné le sentiment qui mène à Dieu. Et ce sentiment, subitement révélé, explosant soudain, ferait sauter l'Univers. On trouvera là la transposition, bien musulmane, d'un concept occidental.
Les idées d'espace et de temps ont été disjointes de bonne heure et soigneusement disséquées, d'abord par la métaphysique grecque, par notre psychologie ensuite. Sans doute, la philosophie musulmane ne les a-t-elle point négligées. Mais là encore, avec d'étranges imprécisions de vocabulaire (74), elle a déployé d'inutiles sophismes à concilier le concept aristotélicien d'un temps éternel, sans commencement, et le principe musulman d'un temps créé par Dieu. Benalioua parait avoir longuement médité la question.
Pour la plupart des penseurs, ou le temps dans le non-être n'a point de sens, ou il n'est que la durée. Celle-ci serait, dès lors, au fond du temps ... le moment permanent dans lequel s'étend la présence divine ; ce qui est au fond du temps et qui renferme en soi l'éternité et la perpétuité (75). De fait, quelques écrivains de l'Orient ont plus ou moins distingué entre temps et durée, entre un temps sensible, mesurable, arithmétique, qui serait le mouvement de la sphère céleste, et un temps suprasensible, humainement perçu et vécu. M. de Boer rapproche cette classification de la fameuse discrimination bergsonienne entre temps et durée (76). Ghazali a durement combattu la doctrine aristotélicienne du temps commencé, pour tenter de faim triompher les thèses classiques de l'orthodoxie. Nous ne pouvons ici suivre sa discussion. Mais on y trouve parfois des notes très modernes. C'est ainsi que temps et espace seraient des conditions de notre perception, beaucoup plus que des réalités objectives (77). Même intuition chez Avicenne, pour qui le temps ne s'imagine qu'avec le mouvement et qui cite à cet égard, pour en montrer le caractère tout subjectif, la légende des Sept Dormants (78). M. Louis Massignon a, le premier, noté la différence capitale qui existe entre l'arithmologie gréco-latine, projetant les nombres dans l'espace géométrique, et l'arithmologie musulmane, projetant les nombres dans le temps (79). Cette remarque en dit long sur les antinomies spirituelles de l'Occident et de l'Orient. Elle éclaire certaines faces, les plus caractéristiques peut-être, de la pensée et de l'art arabes.
Benalioua restait, quant à sa conception du temps et de l'espace, dans cette tradition philosophique. Il confessait que le temps peut n'être que subjectif. Il se maintenait ainsi dans le sillon ouvert par Ghazali et Avicenne. Mais il le débordait parfois. Il comprenait parfaitement, sans cependant y apporter une adhésion définitive, la théorie kantienne des catégories. Son invention philosophique, là comme ailleurs, n'était jamais en défaut. Il nous expliqua un jour que Dieu perçoit sans doute en simultanéité ce que nous percevons en succession. Mais malgré son goût du bergsonisme, il ne no.us a point paru qu'il ait pleinement saisi le système de la durée étoffe du Moi, du temps spatialisé et géométrisé qui reste, on le sait, l'un des principes les plus originaux de M. Bergson. C'est que, dans cette hypothèse, la métaphysique se dilue en psychologie, s'organise en expérience d'introspection minutieuse, opération malaisée pour un Musulman, tourné par la tradition de sa race vers la considération du Divin, à l'exclusion de toute analyse du Moi. Car la psychologie notre psychologie moderne s'entend implique trop de positivisme pratique, trop de dissection attentive, pour ne pas rester, longtemps encore, une science de l'Occident.
L'œuvre écrite du Cheikh Benalioua ne porte guère trace de ses incursions dans la philosophie moderne. Soit qu'il les jugeât inopportunes ou dangereuses, soit qu'il n'y vît qu'une manière de dilettantisme renanien, ses réflexions s'adressaient surtout, au cours d'entretiens intimes, à ses amis européens. II montrait alors sa ferveur des grands jeux de l'esprit. Agile et légère, sa dialectique effleurait les problèmes. Elle les renouvelait, les avivait au passage d'un brillant trait de pourpre. Il platonisait avec une grâce élégante. Son imagination primesautière, chatoyante, infiniment nuancée, s'installait d'un coup d'aile dans les systèmes les plus abrupts. Et son amitié des idées était si passionnée, qu'il les apaisait, les réconciliait, les fondait dans une large synthèse d'amour.
DOGMATIQUE ET ACTION RELIGIEUSE
Dogme et évolution
Comment Benalioua a-t-il pu concilier son panthéisme évanescent avec la dogmatique du Coran et de la Sunna ? Comment pouvait-il, tout en s'affirmant orthodoxe, croire à sa consubstantialité à Dieu ?
Panthéisme ? Il s'en est toujours défendu. Mais, comme on l'a finement remarqué (80), il y a deux panthéismes. L'un superficiel, extrinsèque, plus en mots qu'en doctrine ; l'autre inconscient, diffus, tout en virtualités qui, sans se manifester explicitement, détermine les itinéraires de l'esprit et en imbibe les théories. C'est de cette seconde catégorie que relève Cheikh Benalioua. Il accordait parfaitement son Dieu immanent et émanatiste avec le Dieu de l'Islam. Son herméneutique était aussi souple qu'agile. II confessait, en petit comité, la pluralité anagogique du Coran. Il haïssait le littéralisme servile des docteurs algériens, et trouvait aux livres sacrés toute une hiérarchie de sens (81). Son exégèse, rusée, ondoyante, aventureuse parfois, tournait à merveille l'obstacle de la lettre. Elle en faisait jaillir l'esprit. Il avouait que les hautes vérités sont un don divin à l'initié et qu'il faut, pour le vulgaire, les habiller de mythes (82). C'est ainsi qu'il rejoignait Averroès, Ibn Tofaïl et Ghazali. Où est Dieu ? Suivant Averroès, les trois sortes d'intelligences répondront : les premières (esprits d'exhortation) : dans le ciel ; les secondes (esprits de dialectique) : au-dessus de tout ; les troisièmes (esprits de démonstration) : il n'est nulle part, bien que son action s’étende sur tous les êtres de l'espace. Il est en soi. Le monde et l'espace sont en lui, plutôt qu'il n'est dans le monde et dans l'espace (83).
Benalioua adoptait cette doctrine. Il croyait à la multiplicité de l'interprétation, de la littérale à l'allégorique. Il pensait que les sens d'un texte sont étagés les uns au-dessus des autres, ceux du bas, le rez-de-chaussée, pourrait-on dire étant réservés à la foule. Il goûta particulièrement le mot de Renan que nous lui avions cité : Nous avons donné à Dieu un riche écrin de synonymes ... Dieu, âme, autant de mots que l'humanité interprétera dans un sens de plus en plus raffiné (84). Ce que je crois, comme Musulman, disait Benalioua, je le transpose comme penseur dans l'idée puis, comme mystique, dans l'harmonie des sphères. Et mes trois croyances, si contradictoires qu'elles paraissent, ne font qu'une. Son admiration était vive pour le roman d'lbn TofaïI dont il récitait fréquemment les phrases suivantes : Mais à peine Haïy Ibn Yaqdhân s'était-il élevé au-dessus du sens exotérique, à peine avait-il commencé à exposer des vérités contraires aux préjugés dont ils étaient imbus, qu'ils se rembrunirent … (85). Et encore : Ces secrets…. Nous les avons laissés couverts d'un voile léger qu'auront vite fait de déchirer ceux qui en sont capables, mais qui deviendra opaque et impénétrable pour quiconque n'est pas digne d'aller au-delà (86). Pour Benalioua, les livres sacrés sont de sens multiples ; les interprétations doivent varier de génération à génération et les dogmes évoluent comme les hommes, tout en restant identiques dans leur substance éternelle. Il reprenait à son compte une exclamation de Bâb : Il y a longtemps que j'ai dépassé le monde des mots (87). Nous sommes, on le voit, en plein modernisme (88). Le mysticisme, au surplus, répugne à s'enfermer dans des concepts rigides ; il les gonfle de sa vie bouillonnante, les déborde et à la fin les brise en éclats (89).
Le symbolo-fidéisme de Benalioua, son ascèse brûlante, allaient de pair avec ce que nous appellerons le Prophétisme évolutif, l’auto perfectionnement de la Révélation divine (90). Le chiisme ismaïlien, que le Cheikh paraît avoir beaucoup étudié en Syrie, a institué une mystique et une théodicée essentiellement dynamiques, faites d'étapes chronologiques, d'acquisitions dogmatiques s'affinant avec les âges. Dans les Prophètes, instruments successifs de la révélation, résident l'âme et l'intelligence universelles, par le moyen desquelles Dieu a créé la matière première et le monde (91). Chacun d'eux apporte à l'humanité les fragments d'une vérité de plus en plus complète, de sorte que Mohammed lui-même n'est plus le sceau de la Prophétie et qu'il sera surpassé.
Cette évolution s'est poursuivie avec le Bâbisme. Qu'il soit, comme le suggérait Gobineau, parallèle à l'idéologie proudhonienne, qu'il constitue, suivant M. Huart, le réflexe rationaliste de l'Iran contre l'Islam, ou qu'il demeure étranger à toute religion positive, ainsi que le pense Le Châtelier (92), le Bâbisme n'en a pas moins accéléré dans le Mahométisme oriental, le principe de l'élan progressif. Le Bab écrivait : La Révélation a toujours progressé dans les âmes des Prophètes successifs et, à chaque apparition nouvelle, les préceptes se sont modelés sur l'état des esprits… (93). Après le Bâb, le Béhaïsme a encore élargi la doctrine. Tant et si bien, qu'il ne s'agit plus que d'une sorte de super-religion, qui n'épouse aucun dogme et qui finit par cette formule : La religion doit servir à l'union et à l'harmonie des peuples du monde. N'en faites pas une Cause de différends et d'hypocrisies (94). Voici un appel du Béha à ses fidèles : La mer de !'Unité est tumultueuse de vagues qui se choquent, et le Zéphyr de l'Union souffle du parterre des fleurs de la Miséricorde …. Le Drapeau qui guide va se lever. Les rideaux qui cachent l‘Unité du Monde vont être déchirés. L'Occident et l'Orient ne seront plus qu'un (95). Après la révélation de Mohamed, après le Chiisme, le Cheïkhisme, l'Imamisme, Bâb et Beha, l'Islam n'est plus ainsi qu'une religion universelle où s'apaisent et s'estompent les dogmes. Il y a donc un Islam clos, celui du sunnisme, et un Islam ouvert, dont le devenir prophétique n'est pas encore épuisé (96).
Benalioua, qui rapporta de son séjour en Orient, une information très complète de la pensée asiatique (97) ne cachait pas son admiration pour le Bâb et ses disciples. Le Cheikh se croyait, après Bâb et le Derkaoui, le message le plus récent du Prophétisme. Mais encore une fois, tout en pensant universel, il entendait bien penser Islam tout court. Au fur et à mesure qu'il avançait en âge, il accentuait sa thèse d'un système de croyances qui se superposent, tout en se pénétrant, depuis l'anthropomorphisme condensé en images grossières jusqu'à l'idéalisme le mieux épuré.
Propagande islamique
C'est dans cette voie qu'il est resté l'un des plus fermes défenseurs du sunnisme. Il a déployé un zèle fiévreux à dégager l'Islam algérien des végétations parasitaires qui l'ont peu à peu envahi. Dans son hebdomadaire El Balagh El Djezaïri, qu'il préparait minutieusement et dont chaque article était corrigé et complété par ses soins, ce m0arabout n'a cessé de combattre les basses superstitions maraboutiques et certains usages qui ont peu à peu enveloppé la Foi maghrébine d'une épaisse gangue païenne. C'est ainsi qu'il s'est élevé avec véhémence contre la dévotion aux tombeaux coutume stupide et antimusulmane (98). Il a été l'un des premiers à prêcher la rénovation et l'enseignement de la langue arabe dont il déplorait la décadence (99). Il exaltait le retour à l'Islam des Compagnons, le pur Islam tout chaud de la révélation prophétique et non encore figé par le travail théologique postérieur (100).
Avec une singulière âpreté, un sens aigu de l'apologétique et des dons remarquables de polémiste, Benalioua s'élevait contre la perte de la Foi et la tiédeur des Musulmans, algériens. On pourrait composer, de ses articles, un florilège de fougueux prosélytisme. Il vaut mieux mourir pour la Foi, que de vivre dans l’ignorance…. (101). L'Islam se plaint à Dieu. Il est trahi par les siens. Ses propres docteurs ont déserté la lutte qui tendait à le maintenir. S'il pouvait parler, il énumérerait à Dieu les maux qui le frappent. Les Musulmans l'abandonnent, sans savoir qu'ils abandonnent ainsi leur gloire, leur noblesse, leur salut dans ce monde et dans l’autre…. (102). Les nôtres se dispersent dans l'erreur comme un vil troupeau …. Nos coreligionnaires ne peuvent même plus conserver ce qui reste, en fait, de pratiques religieuses, pour les sauver en ce monde et dans l'autre. Ils sont entourés, envahis de tous côtés, ce qui sera leur perte. Que Dieu nous garde ! Si sa pitié ne se manifeste pas bientôt les Musulmans seront complètement déchus un jour…. (103). L'indifférence est partout ! Seuls, les degrés de cette indifférence sont différents (104). Quelles protestations contre l'indifférence religieuse contemporaine !
Benalioua incrimine sévèrement la civilisation matérialiste, incurieuse du spirituel, qui gagne lentement l'âme des indigènes. Il les dépeint aveugles, ignorants, imperméables au rayonnement du Divin, abâtardis par ce que Péguy appelait la démystification (105). Il met en cause, non seulement le peuple, mais encore et surtout, ses pasteurs. De nos jours, les souverains musulmans font preuve du plus grand désintéressement pour tout ce qui concerne la religion ; aussi pouvons-nous dire qu'ils causent à l'Islam plus de tort encore que les étrangers. Par suite de leur négligence et de e leur inertie, quiconque veut se moquer de la religion, 0u lui nuire, peut, en effet, le faire sans avoir rien à craindre (106).
Et ce philosophe que nous avons vu anxieux de métaphysiques quintessenciées, qui a compris le Bâb et toujours proscrit le bas littéralisme, s'attaque ensuite à l'occidentalisation des esprits et des mœurs. Non point qu'il renie ses idées de large synthèse religieuse. Loin de là. C'est toujours sa thèse averroïste que le dogme populaire, la pensée suprême du philosophe et l'intuition de l'initié, sont les formes fuyantes de la vérité et que diminuer l'une, c'est avilir les autres. Mais il se répand contre le port du chapeau, du pantalon, contre les habitudes de pensée et de vie européennes dont il signale le progrès (107).
Notre jeunesse s'est plongée dans cette civilisation moderne qu'elle crut être licite, alors qu'elle est périssable. Nos jeunes gens en sont arrivés à un degré d'immoralité détestable (108). Les lamentations de Benalioua prennent çà et là un rythme prophétique. Il combat de toutes ses forces l'imprégnation occidentale, et pour convaincre, sa prose jaillit impétueuse, bouillonnante, chargée d'images qui s'entrechoquent. Sa campagne contre la naturalisation des indigènes fut d'un timbre littéraire très aigu (109).
La naturalisation, écrit-il, porte atteinte à la Foi, à nos croyances, à nos coutumes, à notre statut personnel :
O Peuple, jusqu'à ce jour, tu as conservé ton unité, ta nationalité algérienne, ton caractère ; tu es resté, jusqu'à ce jour, fidèle à ta religion ; ton attachement à l'Islam t'a placé au premier rang des pays musulmans ; tu as hérité d'un passé glorieux, le passé de tes ancêtres qui n'ont jamais trahi le pacte qu'ils ont conclu avec Dieu ; tu as toujours respecté ce dépôt sacré. Peux-tu sacrifier ton passé, faire bon marché de tant de vertus, ou permettre à des parvenus, guidés par l'intérêt, de le faire ?
C'est une imposture, que de clamer au monde entier qu'on représente tout le peuple algérien, et que le peuple serait heureux d'immoler au mythe de la naturalisation, sa nationalité arabo-berbère, ses croyances, son passé, tout ce qui constitue son honneur. O Peuple ! Tu as donné à la France des preuves de ton dévouement. Tu mérites une récompense. Cette récompense tu l'obtiendras. Mais elle ne saurait être liée à ta naturalisation (110).
Comment remédier à cette défaillance de l'Islam algérien ? Cheikh Benalioua, se plaçant sur le terrain du dogme, estimait que c'est dans la religion elle-même qu'il faut trouver les moyens de la ranimer. Il veut rendre à l'Islam sa primauté. Il le situe à la source de toute la civilisation occidentale. Il y inclut toute la philosophie moderne, une éthique raffinée, une large pitié sociale (111). Besoin n'est pas, pour l'humble fidèle, de se plier aux philosophies de l'Occident. L'Islam est doué d'une richesse inépuisable. Il reste transcendant, éternel, suprêmement bienfaisant. Et c'est du Coran que viendra la régénération (112).
Mais que, d'abord, la France comprenne le Mahométisme ; c'est son devoir, puisque la moitié de Son empire est musulman. L'Islam fait partie de la France ; celle-ci est, par suite, obligée de lui faire confiance, tout comme à ses autres fils dévoués, sans quoi la vie de cette agglomération de races et de religions serait toujours troublée. La méfiance est due à l'ignorance des vérités islamiques, et aussi, au fait que cette religion est considérée à tort par la grande majorité des occidentaux comme un assemblage d'anarchistes dont la devise religieuse est l'effusion du sang (113). Il faut ensuite que les Musulmans retrouvent le sentiment de la fraternité intra-confessionnelle. Qu'ils soient unis, dans le temps comme dans l'espace. Cela, Ibn Saoud l'a gravement méconnu, en ne se portant pas au secours des Tripolitains opprimés par l'Italie (114).
Et Benalioua publiait un sermon véhément à ses coreligionnaires pour les inviter à s'unir et à s'aimer :
On n'est supérieur que par la crainte de Dieu et par les vertus islamiques. Être supérieur par sa vertu n'implique ni suppression d'égalité quant à l'instruction, ni l'éducation et le devoir d'être un guide probe dans la bonne voie. Cette fraternité nous impose le devoir d'appliquer l'égalité des droits qu'a chacun en ce monde et en l'autre. Nous devons donner à nos frères l'enseignement vrai. Empêchez donc vos deux frères d'être ennemis ; évitez leur inimitié et la colère. Faites qu'ils soient liés par la fraternité islamique et nationale. N'ayez en vue que la fraternité religieuse et les liens qui unissent les hommes ; Dieu vous récompensera, si vous parvenez à améliorer les rapports entre vos frères et vous. Votre Livre recommande sans cesse la fraternité islamique. En appliquez-vous les principes ? Ne l'affirmez pas ; car nous vous voyons ennemis les uns des autres, vous haïssant, vous tournant le dos, vous abandonnant sans secours, vous maudissant, vous dénigrant. Vous vous accusez mutuellement d'impiété et vous ne respectez pas les femmes des autres. Vous êtes heureux lorsque le mal atteint l'un de vos frères. Vous aidez les bandits contre vos frères. Vous vous trahissez les uns, les autres. Vous vous rendez coupables des actes réprouvés par la Loi. Est-ce là la fraternité islamique ? Vous mésestimez la haute valeur de cette fraternité qui pourtant vous relèverait ; appliquée, elle vous donnerait la prospérité, le succès, la maîtrise ; la gloire, si vous marchiez coude à coude avec des sentiments fraternels. Mais le destin nous est contraire, Dieu seul a le pouvoir de changer toutes choses et nous n'obéissons ni aux prescriptions de la religion, ni à celles de la vraie humanité.
Ô Croyants ! Les peuples ne sont arrivés aux sommets de la gloire et de la souveraineté que par la fraternité, la solidarité, le respect dû aux Chefs, par l'assistance aux faibles. Ces peuples ont sacrifié ce qu'ils avaient de plus cher ….
Au Secours ! Au secours de vos frères faibles, misérables, avilis. Vous rendrez compte à Dieu de ce que vous aurez fait pour eux. Croyants, craignez Dieu. Un même sang coule en leurs veines et dans les vôtres. Ne les abandonnez pas à l'insulte, à l'injure, à la médisance, à la diffamation, au mépris, à la moquerie, à l'avilissement. Vous avez tous une même âme, une même origine. Un homme sensé voudrait-il du mal à l'un de ses propres organes ? ... Vous ne serez croyants et frères, que si vous vous aimez les uns les autres, que si vous vous assistez pour la défense de notre race et de notre foi, quand bien même ce combat vous coûterait la vie. Il n'est pas défunt, celui qui est mort pour la renaissance de ce qui fit sa gloire et sa noblesse…. (115).
Benalioua, on le voit, a été l'un des précurseurs de ce que l'on a appelé le mouvement néo-wahabite algérien (116). Il en avait, à l'avance, défini et délimité le programme. Ce n'est que plus tard, après sa brouille avec Benbadis et Tayeb EI Okbi, qu'il rompit violemment avec la nouvelle école. Il lui reprochait son intransigeance, son fanatisme, ses gaucheries dialectiques. Il pensait que, par ses prétentions politiques, elle compromettait la cause musulmane en Afrique du Nord. On peut dès lors surprendre dans son œuvre une réaction assez vive. Marabout, il revient à la défense de ce maraboutisme qu'il avait d'abord attaqué en ses basses manifestations. Manarien de grande classe, il combat le manarisme algérien. Il serait souhaitable que le Maghreb évoluât dans le bon sens, et non sous l'impulsion que veulent lui donner les Ulémas du groupe Benbadis ; ceux-ci font la guerre aux marabouts, sans se douter, qu'en détruisant les croyances populaires, ils favorisent la propagande des missionnaires... (117).
Sa lutte contre les Ulémas algériens qui l'attaquent sans merci, l'appellent Cheikh Houloul ou Cardinal tuberculeux - devient de jour en jour plus âpre. Il abandonne les positions avancées qu'il avait d'abord occupées. Il se replie sur l'Islam traditionnel et s'improvise défenseur du Malékisme algérien. Son style devient âpre, mordant, hérissé de pointes. La religion interdit-elle le prêt à intérêt et l'usage de l'alcool ? les Ulémas hypocrites les tolèrent. La religion prohibe-t-elle la naturalisation et le port du chapeau ? Ils les autorisent. La religion prescrit-elle la récitation du Coran dans les cérémonies funèbres ? Ils contestent cette prescription et la combattent. La religion recommande-t-elle d'honorer les prophètes et les Saints ? Recommande-t-elle d'implorer leur intercession ? Ils accusent d'hérésie tout croyant qui suit ces recommandations... (118).
Il pense que l'Islam ne se rénovera point par les Réformistes, en qui il ne veut plus voir que des ambitieux gagnés par le siècle et sans véritable spiritualité. C'est au peuple qu'il s'adresse, ce peuple qu'il aima profondément et dont il espérait le réveil religieux. Mais les intermédiaires entre la masse et lui, ce sont ces ma-rabouts qu'il a maintes fois combattus. Il leur propose une croisade islamique pour revigorer les âmes défaillantes. Et à diverses reprises, il inséra dans le Balagh, son appel hautain : Messieurs, il ne me convient pas de me dresser devant vous pour vous rappeler vos devoirs, ni de vous faire des avertissements, cependant que votre rôle consiste à exhorter le monde et à le diriger dans la voie droite, si je n'avais constaté de la défaillance dans l'exercice de votre autorité et des symptômes de désagrègement dans votre communauté. Certains parmi vous se livrent à une besogne qui n'est compatible ni avec votre rôle de prédicants, ni avec votre mission de semer la bonne parole.
Votre position aux yeux de tout le monde est très élevée et votre dignité la plus haute. Dieu vous a donné un aspect qui inspire au public une vénération mêlée de crainte ; il vous a coiffés de l'auréole de la puissance et de l'honneur et vous a mis à même d'exercer un prestige très étendu ; vos signes sont des ordres ; vos avis sont des sentences ; votre parole est écoutée, votre volonté exécutée. Quelle en est la raison ? Est-ce une force en soi qui s'exercerait sur le public et l'attirerait naturellement ? Ou bien réside-t-elle dans une vertu d'ensemble qui ferait que votre communauté lui doit d'être vénérée. Non certes. La seule raison réside dans vos rapports avec Dieu et dans le fait que vous appartenez à son entourage ; seule cette attitude, vous procurera une gloire et une autorité que ne purent atteindre les plus grands conquérants.
Comment pouvez-vous donc, Messieurs, renoncer délibérément à ce prestige venu de Dieu ?
Ce que nous espérons de vous, c'est de réunir vos efforts pour renforcer la croyance chez les musulmans, et surtout là où s'exerce votre ascendant ; vous fortifierez leur âme et ils vous donneront la foi de répondre à toutes les exigences de leur religion : ils pratiqueront ce qu'elle juge licite et s'écarteront de ce qu'elle interdit.
Vous agirez ainsi dans le but de faire recouvrer au peuple sa gloire, et celle-ci réside dans la religion, de sorte qu'en insufflant une vie nouvelle aux personnes et aux collectivités et si, grands et petits s'imprègnent des 'préceptes de l'Islam, nous aurons tout obtenu. C'est le moindre que nous puissions attendre de vous, Messieurs, et je ne crois pas que vous soyez incapables de l'accomplir. Quant à celui qui refusera d'exercer son prestige pour l'accomplissement de cette mission, Dieu le lui retirera.
Il serait indigne' de vous voir agir contrairement aux exigences de votre condition qui vous a valu cette autorité connue de vous-mêmes et du public. Je ne puis excuser votre communauté ni l'accuser en cas de défaillance. Je dis seulement que parmi vous il y a des despotes et d'autres qui le sont moins ; en général, vous êtes faibles par rapport à la puissance de vos ancêtres qui dormaient très peu la nuit, comme le dit le Coran.
Je vous rappelle ce hadith : Cette religion est née dans l'indifférence et elle y retournera. Actuellement, le monde semble retourner aux périodes de la préhistoire ; vous n'ignorez rien des événements qui se sont déroulés au cours des siècles qui ont suivi l'hégire. Quelle va être votre attitude devant les dangers qui vous menacent dans ce que vous avez de plus cher, c'est-à-dire votre religion ? Etes-vous prêts à les conjurer ou bien vous résigner ? Si pour vous l'alternative se ramène à la résignation, vous aurez failli à vos devoirs envers la Chari’a. Le Prophète, diriez-vous, prêchait la résignation. Oui, mais pas pour ce qui touche au prestige de la religion. La mission que vous remplissiez hier n'est pas celle qui vous incombe aujourd'hui. Hier, la religion était dans l'épanouissement de sa gloire, elle vous couvrait de son prestige ; aujourd'hui elle est étrangère ; elle laisse indifférents ses sectateurs ; elle est menacée et vous appelle à son secours. Pouvez-vous l'aider et l'assister ? Si oui, dépêchez-vous et faites vite et rappelez-vous ces paroles de Dieu : Si vous aidez Allah, il vous aidera et raffermira vos pas (119).
Mais son initiative n'aboutit pas. S'il parvient un moment à fédérer le maraboutisme contre les réformistes, il sent vite les jalousies de ses collègues inquiets des grands progrès de sa confrérie. Dans un dernier appel d'une allure magnifique, il laisse entrevoir une mélancolie fière et désabusée : Vous devriez donc, ô chefs de Zaouias, vous appliquer à faire de vos personnes et de vos affiliés des soufis purs de toute souillure. Sinon, nous et vous, craignons que le verset suivant ne nous soit appliqué : Vous encourrez la grande haine de Dieu, en ne faisant pas ce que vous prêchez. Votre situation alors que vous vous donnez des apparences soufistes, m'autorise à vous exhorter à un relèvement moral. Le peuple ne vient à vous que parce que vous devez lui faire connaître Dieu …. C'est par là que vous avez mérité autrefois et que vous êtes fiers de porter le beau manteau islamique parmi l'élite et le peuple. Qu'elle serait belle, cette tunique, si vous la portiez encore le Jour où la Vérité sera reconnue et où l'imposteur et l'homme sincère apparaîtront devant Dieu (120).
La dogmatique de Benalioua reste, sauf quelques déviations, dans la lignée ach’arite. Nul mieux que lui ne sut concilier la théocentrie rigoriste de l'Islam, avec un émanatisme indéfiniment poursuivi. Pourquoi modifier les dogmes ? Ils sont nécessaires aux hommes, enrichis d'une vénération séculaire, et, en tout état de cause, sans cesse vivifiés par l'interprétation ésotérique chère à Benalioua. Et d'ailleurs, n'évoluent-ils pas d'eux-mêmes ? Ils affirment l'éternelle continuité de Dieu dans la mutabilité des doctrines.
L'eschatologie
L'eschatologie coranique est, on le sait, anthropomorphique. C'est une eschatologie de désert, de sable stérile et brûlant, une eschatologie assoiffée de fraîcheur et de verdures, qui ouvre aux bienheureux un au-delà de sources vives, de houris, de voluptés corporelles (121). On a observé à cet égard : Il serait puéril de nier la nature sensuelle de ces jouissances, mais il serait au moins étrange de concevoir que des êtres doués d'un corps, n'aient point à accomplir toutes les fonctions inhérentes à leur nature, s'ils ne font aucun tort ni aucune violence à leur prochain. Ces besoins sont, en somme, la conséquence inévitable d'un organisme dont Dieu est le seul auteur (122).
Les Ach’arites et beaucoup de théologiens ne se sont guère élevés au-dessus d'une exégèse lourdement littérale. Les Moutazilites et les penseurs soumis aux traditions hellénistiques ont donné du Paradis et de l'Enfer musulman, des interprétations plus spiritualistes (123). Dans ses entretiens confidentiels, Benalioua commentait l'opinion hallâdjienne : il y a les Elus bien-aimés, gratifiés de la pleine volupté béatique, et le commun des croyants, les simples ritualistes, les humbles serviteurs du texte, qui retrouveront seulement le paradis d'Adam (124). Le Cheikh ajoutait que les premiers disparaissent dans l'irradiation divine, avec la jouissance ineffable d'être enfin réunis à la Substance infinie.
Il pensait, avec El Ach’ari, qu'il n'y a pas de peine éternelle (125). Il approuvait El Ghazali qui réduit le pont, fin comme un cheveu et plus tranchant qu'un sabre, d'où les réprouvés tombent dans l'Enfer, au symbolique sentier où, entre leurs tendances contradictoires, cheminent péniblement les justes (126).
Les obligations fondamentales du Croyant
Il y a, écrit-il, cinq obligations dans l'Islam : la chahada (profession de foi musulmane), la, prière, la dîme, le jeûne, le pèlerinage.
On voit que Benalioua, comme beaucoup de sunnites, ne retient pas la Guerre Sainte (127). L'Islam, dès son premier éveil, a soigneusement distingué entre les diverses formes du Djihad. Le prophète disait déjà au soir d'une razzia : Nous sommes revenus du petit djihad, pour entreprendre le grand djihad contre soi-même. Bref, la plus haute signification de ce terme, c'est la lutte contre nos propres passions, contre nos tendances à l'incrédulité et au polythéisme. Cheikh Abdou a rendu cette distinction familière. Son Rissalat al Tawhid, d'une inspiration à la fois si libérale et si orthodoxe, consacre tout un chapitre à démontrer que l'Islam s'est surtout propagé par des moyens pacifiques (128). Benalioua partageait ces opinions. Il haïssait, d'ailleurs, la violence. Il ne croyait guère à une conjuration européenne contre le Mohammadisme. Rien, disait-il, ne menace plus l'Islam que certains Musulmans.
La Chahada
Benalioua admet, contrairement à l'opinion de beaucoup de théologiens classiques, que la Chahada peut être, à défaut de l'arabe, dite dans une autre langue. Le responsable, écrit-il, doit témoigner qu'il n'y a d'autre Dieu que Dieu et que Mohammed est L’envoyé de Dieu, en langue arabe, si cela lui est possible. Sinon, il prêtera le même témoignage dans une autre langue, car le but en cela est la reconnaissance de l'Unité de Dieu et de la mission de Mohammed…. (129).
Le Cheikh nous avoua ne voir aucun inconvénient à la traduction du Coran en français, voire en berbère. Quelle hardiesse ! le Coran est un livre révélé, et dans la langue de Dieu. Il y a même toute une science de la récitation, qui règle l'articulation consonantique, le rôle des gutturales, la nasalisation, la durée de la pause après chaque verset (130). Et l'on se souvient des furieuses polémiques qui accueillirent la traduction du Coran en langue turque. L'Université d'El Azhar nomma une commission d'Oulémas pour élucider le problème. Après de longues délibérations, on émit l'avis que la traduction explicative du sens du Coran est permise, à la condition que cette traduction ne prenne pas le nom du Coran tout court. Mais la reproduction du Coran mot pour mot n'est pas permise … (131).
La prière
C'est ici que Benalioua a apporté au malékisme algérien certaines dérogations (132).
La prière, écrit-il, est considérée comme la parole de l'homme adressée à Dieu (133). Mais elle doit être un élan du cœur. Benalioua proscrivait le formalisme ritualiste qui a remplacé, pour beaucoup de Musulmans algériens, la fraîche spontanéité de l'oraison. Il estimait, avec Halladj, que les rites du culte ne sont pas l'essentiel de la religion ; ils en constituent les moyens, ce sont les instruments que Dieu nous fournit pour atteindre aux réalités (134). La religion, disait-il, n'est qu'un guide (135). La prière n'est pas un mimétisme sans pensée. Il faut penser et sentir Dieu. L'élément capital, c'est la présence attentive du cœur, le hodour al qalb de Ghazali (136). Mieux vaut, concluait le Cheikh, une oraison sans génuflexion, qu'une génuflexion privée d'âme.
Les canonistes algériens reprochent à Benalioua ses infractions au formalisme traditionnel :
a) Et d'abord, il ne parle pas de la Sutra. ..... Le fidèle s'assure qu'autour de lui le sol n'est point souillé et qu'il peut y accomplir valablement les rites de la Prière : il limite son enceinte sacrée en fichant à terre devant lui sa lance, disent les anciens textes, ou simplement en y plaçant tout objet bien visible : c'est en deçà de ce point qu'il posera son front sur le sol dans la prosternation. Si un être humain ou un animal passait dans cet espace consacré, durant sa prière, celle-ci serait nulle (137). Telle est la Sutra. Benalioua n'en fait mention nulle part, bien qu'il y satisfît personnellement.
b) Il n'est pas assez rigoureux quant à l'heure des cinq prières obligatoires. C'est ainsi qu'il admet la validité du Dohr jusqu'au moment de l'âsr (138). Il écrit, d'autre part : Quel que soit le moment que le responsable ait choisi dans la latitude qui lui est laissée, il est considéré comme ayant fait ses prières en leur temps (139). Or, l'horaire de l'oraison a été très soigneusement fixé.
Et il y a là beaucoup plus qu'un scrupule de minutieuse liturgie. De peur que les prières musulmanes, coïncidant avec un phénomène solaire, soient prises pour des actes d'idolâtrie à l'adresse du soleil, on a prescrit aux fidèles de ne commencer leurs oraisons du Sobh et du Maghreb que quelques instants après le lever et le coucher de l'astre. De même pour le Dohr…. (140). Sans doute, admet-on pratiquement un certain délai pour la prière ; mais les rigoristes reprochent à Benalioua d'avoir été trop libéral à cet égard et d'autoriser ainsi la confusion des salats dans le temps.
c) Benalioua a démenti plusieurs fois le fait que, pendant la prière, ses disciples se tournent vers Mostaganem et non vers la Mecque comme le veut la tradition musulmane. Il a lui-même, dans son Guide, insisté sur l'obligation de regarder dans la direction de la Ville sacrée (141). II est cependant prouvé que beaucoup de ses Khouanes, ceux du département de Constantine notamment, s'orientent pour prier vers Mostaganem (142). Et Hassan Ben Abdelaziz, n'écrit-il pas en toutes lettres, dans son apologétique alaouite : Mostaganem est devenue la Qibla pour les pèlerins (143).
d) La tradition malékite algérienne a soigneusement réglementé les poses successives du croyant durant la prière. Il doit réciter la Fatiha debout, les mains allongées. Or, et c'est sur ce point qu'il a été le plus vivement attaqué, Benalioua prescrit de placer les mains sur la poitrine, tenant avec l'index et le pouce de la main droite le poignet de la main gauche (144). Il conseille même le croisement des bras. C'est là une pratique des Hanéfites et le Cheikh a dû se défendre, pour légitimer son attitude, dans son livre Nour El Atmid Fi ouad’ El yed ala El yed. On lui a reproché de pratiquer le qabd (qui consiste à saisir la main gauche de la droite dès le début de la prière), aussitôt après la formule sacramentelle Allah Akbar, abandonnant ainsi le sadl par lequel on ramène les bras dans le sens vertical (145). Quoi qu'il en soit, la plupart des affiliés de Benalioua croisent les bras sur la poitrine avant la première rak’a (146).
Aucune innovation quant à la dîme (Zakât), au jeûne et au pèlerinage (Hajj) (147). Mais le véritable croyant, suivant Benalioua, ne doit pas perdre de vue que ces obligations enveloppent un sens mystique secret. Le jeûne, c'est l'extinction des désirs humains pour mieux recevoir Dieu, le dépouillement psychologique qui permet de recueillir une parcelle du souffle divin. Le pèlerinage, c'est l'itinéraire vers l'Un, avec ses rites consacrés qui comportent tous une signification symbolique. Aller à la Mecque est louable disait le Cheikh ; mais c'est surtout le voyage de l'esprit vers la maison d'Allah qu'il faut réaliser. C'est l'ihram de la pureté qu'il faut revêtir. C'est le péché qu'il faut fuir, comme on fuit préci-pitamment d'Arafat. Et le Zem-Zem n'est que le puits de la Vérité éternelle où l'âme viendra toujours s'abreuver.
Le Christianisme et Benalioua
Une importante question reste à résoudre : celle de l'adhésion de Benalioua au mystère chrétien de la Trinité. Suivant un dessein qui lui est attribué, tant par cer-tains Catholiques que par ses ennemis indigènes, Benalioua songea à préparer une entente entre le Christianisme et l'Islam, en demandant au premier d'abandonner, ou du moins d'interpréter le dogme de la Trinité. Le programme fut vivement discuté dans un Congrès, au sujet duquel la Semaine Religieuse d'Oran écrivait : Ce Congrès, est l'indice d'un esprit nouveau qui peut rapprocher du Catholicisme les Musulmans, ou les en éloigner, selon la direction qui sera donnée à ces assemblées et à d'autres réunions du même caractère (148).
On savait, d'autre part, qu'en visitant ses affiliés du département de Constantine, le Cheikh avait révélé son admiration pour l'Evangile, et manifesté l'intention de le faire traduire en arabe vulgaire pour le divulguer dans les douars (2149). On signalait aussi ses relations amicales avec certains ecclésiastiques. L'un de ses critiques les plus acharnés blâma l'usage de l'encensoir dans les cérémonies aliouiennes, et le fait que les Khouanes du Cheikh tiennent ostensiblement le chapelet à la main, au lieu de le porter suspendu sur la poitrine (150). En même temps, les néo-wahabites algériens l'accusaient, toujours à propos du chapelet, de propager là une bid’a (innovation) non prévue par le Prophète (151).
Il est, en somme, arrivé à Cheikh Benalioua la même aventure qu'à Ghazali à qui on a, de nos jours, attribué, un peu précipitamment sans doute, l'acceptation de la Trinité chrétienne. M. Louis Massignon, se référant à un manuscrit de Constantinople dont il a publié l'analyse et des extraits caractéristiques, montre que cette assertion repose sur un blocage intentionnel et rusé de citations par le jacobite Ibn Al Tayeb (152).
Inutile de rappeler la condamnation formelle de la Trinité prononcée par le Coran (153). La Trinité est une forme du chirk. C'est l'association d'un compagnon à Dieu, une modalité du polythéisme. Ce n'est pas une Unité, c'est un tri-théisme. Si, comme l'a constaté M. Bjorkman, le concept chirk n'apparait guère dans les sourates de la période mekkoise, il va ensuite en s'accentuant dans le livre sacré (154). L'Unité divine, vidée de toute hypostase, est la pierre de touche de l'Islam. L'évolution de ce concept dogmatique primitif, telle qu'elle apparaît dans le hadit, a conduit à flétrir comme chirk non seulement l'altération extérieure de la foi à l'unité de Dieu, mais encore toute espèce de culte qui n'est pas une fin en soi (155). La Chahada affirmation de !'Unité divine, n'aurait d'autre sens que la négation explicite de la Trinité (156).
Le Cheikh Benalioua fut, dès lors, inculpé de la plus grave hérésie de l'Islam. Bien qu'il s'en soit âprement défendu et qu'il ait toujours excipé de son monothéisme, nous avons tenu à consulter l'un de ceux qui l'ont le mieux connu et avec qui il eut d'amicales et longues controverses. Nous donnons un extrait de la lettre qu'a bien voulu nous adresser le Père Giacobetti, des Pères Blancs.
Saint-Cyprien (Algérie), le... mars 1936.
..... Je vous dirai ce que j'ai eu à discuter avec le Cheikh Benalioua avec lequel j'ai eu d'excellentes relations, comme avec tous les chefs de zaouias que j'ai rencontrés sur mon chemin.
C'était au mois de juillet 1926. Appelé à Louvain, pour une conférence sur les confréries religieuses musulmanes, je rencontrai le Cheikh Benalioua qui, lui, se rendait avec plusieurs foqaras de sa confrérie à l'inauguration de la mosquée de Paris.
Assis sur une peau de mouton, il se reposait sur le pont des secondes du bateau qui nous transportait à Marseille. Nous causâmes longuement et amicalement. Le Cheikh me montra un ouvrage qu'il préparait sur l'entente entre Français catholiques et musulmans. Dans ce but il avait fait deux collections de textes. La première renfermait les textes du Coran qui parlent de tolérance et de bonté envers les contradicteurs de Mohammed, au début de sa mission, lorsqu'il essayait d'attirer à lui juifs et chrétiens. Je lui demandais comment il interprétait le verset du sabre qui abroge tous ces versets. Il ne sut que me répondre.
Dans la seconde, il avait réuni tous les témoignages des auteurs savants et philosophes européens qui ont rendu à l'Islam un tribut d'admiration. On sait combien sont précieux, aux yeux des musulmans si pauvres en preuves de leur religion, ces éloges portés 1- par des étrangers en sa faveur.
Il me demanda si je ne pouvais pas collaborer avec lui pour lui traduire en français ces différents textes. J’acceptai en principe.
Pour terminer notre conversation amicale, le Cheikh me demanda si les chrétiens ne pourraient pas s'entendre avec les musulmans pour ne former qu'une seule religion (157). Il me dit : Renoncez au mystère de la Trinité et à celui de l'Incarnation. Plus rien ne nous séparera. En effet (c'est le P Giacobetti qui parle), les musulmans, dans leur formule, nient explicitement la Trinité : Il n'y a de Dieu qu'Allah signifie explicitement d'après tous les savants de l'Islam : Il n'y a pas trois personnes en Dieu. L'Islam feint de croire que nous admettons trois Dieux et que nous sommes polythéistes. Rien de plus faux. Le Dieu unique de l'Islam, c'est la négation explicite de la Trinité.
Par voie de conséquence, ils nient la divinité de Jésus-Christ, que nous croyons être le Fils de Dieu fait homme. Pour l'Islam, c'est un simple serviteur de Dieu. Ses miracles éclatants ne comptent pas à leurs yeux pour prouver sa divinité, alors que Jésus ne les a faits que dans ce but bien spécifié.
Je répondis à Benalioua que s'il voulait avoir cette paix avec les chrétiens, il n'avait pas à leur demander de se suicider. Car c'est cesser d'être chrétien que de renoncer aux deux principaux mystères de leur religion.
Il me répondit par cette explication ingénieuse : Mais les Juifs de l'Ancien Testament ne croyaient pas explicitement à la Trinité et, pourtant, ils étaient dans la véritable religion.
Oui, répliquai-je, ils n'avaient pas la notion explicite de la Trinité, mais ce mystère a bien des points d'appui dans la Bible et jamais les Juifs de l'Ancien Testament ne l'ont nié comme le font les musulmans. Les faits et les preuves de l'Evangile témoignent avec la dernière évidence que Jésus s'est donné comme Fils de Dieu et que le Saint-Esprit s'est manifesté d'une manière éclatante. Nous nous quittâmes bons amis.
Le Cheikh tint compte de notre conversation et en parla dans ses écrits. Il n'avait pas oublié le passager qu'il avait rencontré sur le pont d'un bateau ...... (Fin).
Ce témoignage est irrécusable. Benalioua, loin d'adhérer à la Trinité, en demandait au contraire l'abandon au christianisme. La vérité est que le Cheikh nourrissait, à l'égard de toutes les religions, une avide curiosité. Il semblait avoir, des données scripturaires, voire de la tradition patristique, des notions assez étendues. Il goûtait particulièrement l'Evangile de Jean et les Epitres pauliniennes. Son sens métaphysique, fort délié, lui permettait de concilier le concept de pluralité avec celui de l'Unité des trois personnes dans une identité consubstantielle. II admettait la possibilité conceptuelle d'un Dieu. Il la rejetait toutefois. Mais sa compréhension fit croire à son adhésion.
Il n'en reste pas moins qu'il fut toute sa vie comme beaucoup de mystiques musulmans profondément troublé par la hantise de Jésus. Les Evangiles lui étaient familiers. Il s'était, au cours de patientes méditations, nourri de leur enseignement. Un jour qu'on analysait devant lui les conjectures de l'exégèse moderne, de Strauss à M. Guignebert, il révéla son dédain du criticisme religieux. Qu'importe, dit-il en substance, que l'Evangile de Jean soit ou non apocryphe et qu'on ne s'accorde pas sur les synoptiques ! Dieu n'a que faire de nos amusettes philologiques. La Révélation est bien obligée, pour se manifester, d'emprunter les meurs et le vocabulaire d'une époque. Elle a procédé d'abord par miracles (1) pour frapper les sens grossiers d'une humanité primitive. Aujourd'hui, ses interventions vont plutôt à l'âme. Et Benalioua s'avouait vivement impressionné par le cas d'Ernest Psichari, le petit-fils de Renan, parti du dilettantisme agnostique de sa génération pour aboutir à la Foi.
LA CONFRERIE
Une précision est tout d'abord nécessaire. La confrérie religieuse, de type oriental, n'existe pas en Algérie. Avec « de Neveu, et Brosselard », apparaissent les premières études sur les zaouïas et les congrégations, que ces auteurs assimilent aux établissements ou associations confessionnelles de la Métropole. Plus tard, avec « Rinn, Depont et Coppolani », la notion de confrérie se complique. On y incorpore le Soufisme d'où procéderaient les prémisses, la métaphysique, des Toroqs algériennes. On les convainc d'occultisme, d'ésotérisme, de panislamisme. Chaque Zaouïa devient, dans ce système importé d'Orient, un centre de conspiration xénophobe. Or, il n'y eut jamais en ce pays qu'un maraboutisme ramifié, qui s'est parfois organisé en associations, mais qui n'eut que de lointains reflets du mysticisme asiatique. Maraboutisme, d'une très riche hagiographie, mais sans préoccupations métaphysiques, engagé jusqu'à mi-corps dans la forte glèbe du Maghreb. Maraboutisme qui substitue au Dieu décharné de l'Islam des messages vivants de la Divinité. Maraboutisme qui canalise l'Idée et la rend sensible au cœur. Borné, par exemple, et tout utilitaire !
Tel fondateur d'un ordre nouveau, eût-il l'orthodoxie d'un Ach’ari, la divination pascalienne d'un Ghazali, sera moins estimé comme animateur d'une doctrine que comme fabricant d'un rituel. Mieux vaut, pour réussir, colorer un grain du chapelet, que de construire une apologétique hardie. Ici, Ghazali le subtil eût moins fasciné les foules que l'ignare Bou-Baghla. Et si Benalioua suscita des enthousiasmes délirants, ce fut moins par sa théodicée, que par son irradiation personnelle.
Le maraboutisme absorbe la confrérie, la purge de ses ferments orientaux. Il la berbérise, la filtre, la tempère, la cloisonne. Rien de cette pieuse méditation idéaliste qui se repaît, en Syrie, de la pensée d'un Abdelkader El Djilani. Mais la thaumaturgie, les cultes agraires, le naturisme ; pour tout dire, une religion de paysans, évidemment faciles au merveilleux, mais qui transposent dans la foi le réalisme rural de la race. Le Dieu champêtre prime tout.
Tel est le sens que nous donnons à la confrérie algérienne qui, dès la seconde génération, devient une simple association maraboutique, une gens groupée autour des descendants du fondateur.
LE CHOIX D'UN MAITRE
Il est indispensable, pour le Néophyte, de choisir un Maître doué de l'investiture divine.
En effet, pour parvenir à la contemplation de l'Essence, éviter les pièges diaboliques, le débutant a besoin d'un directeur spirituel, porteur de l'illumination. Suivant Margoliouth, Chadhili donnait à ses disciples la faculté de suivre un autre Cheikh (159). Mais il ne saurait y avoir d'individualisme dans la recherche de Dieu. Il y a, en effet, toute une patiente pédagogie théopathique, à laquelle le profès doit se plier, sous les ordres d'un chef expérimenté. Méthode théorique et idéale pour guider chaque vocation, en traçant un itinérarium mentis ad Deum, menant à travers diverses étapes psychologiques à la pratique de la Loi révélée jusqu'à la Réalité divine (160). Seul, Benalioua aurait pu être dispensé de cet apprentissage. Car s'il a eu un directeur spirituel, en l'occurrence Sidi Mohammed El Habib El Bouzidi, originaire de Mostaganem, c'est pour obéir à la règle. Comme nous l'avons expliqué, ce patronage est nécessaire et obligatoire, même pour ceux qui, au début de leur noviciat, peuvent atteindre les plus hautes cimes des connaissances religieuses et doués de l'illumination innée et exclusive (161).
Où le néophyte va-t-il chercher ce Maître spirituel ? Est-ce parmi les chefs des Zaouïas contemporaines ? Non. Bien avant les Néo-Wahabites, Benalioua et ses premiers affiliés ont fait une âpre critique des méthodes du soufisme algérien. Ils ont dépeint certains cheikhs vivant exclusivement sur le prestige de leurs ancêtres, oublieux des nobles devoirs de l'Islam, acharnés à des basses intrigues d'intérêts et insoucieux de spiritualité. L'avènement d'un Directeur spirituel qui continue la chaîne des saints, est le plus heureux des événements qu'on puisse saluer ; malheureusement, au lieu de rechercher sa compagnie, les chefs de zaouïa se sont écartés de cette obligation et se sont égarés dans d'autres voies ; ils ont succombé aux mauvais penchants de leur âme, sans vouloir comprendre les préceptes des saints défunts dont ils se réclament ; plus navrant encore, ils les ont déformés et par une volonté despotique, altéré les principes de leurs confréries couvertes à l'heure actuelle de leurs dépravations (162). Benalioua avait rapidement décelé l'évolution du soufisme algérien, vers une anthropolâtrie qui introduit dans l'Islam des cultes agraires et naturistes, des rites de magie, tout un folklore local fortement teinté de paganisme. Les marabouts, en effet, ont pu être et ils restent encore, çà et là, d'actifs agents du prosélytisme Mohammadien. Mais leur descendance, plus profondément enracinée dans la glèbe berbère, y a puisé des ferments d'individualisme religieux et ce goût invétéré du schisme qui caractérise le Maghreb. Jaloux de leur fief spirituel, les marabouts se révèlent hostiles à l'universalité d'une religion qui éteindrait leur prestige. Ils combattent les tentatives de rénovation et d'épuration qui mettraient leur primauté en échec. Et le véritable Islam n'a peut-être pas d'ennemis plus insidieux que ces saints locaux qui l'ont d'abord propagé, s'y sont installés, l'ont lentement désorientalisé pour le berbériser. Les marabouts ont désislamisé l'Islam (163).
Avec impertinence, ils imputent leurs pratiques ignominieuses à leurs pieux ancêtres, qui sont innocents et qui n'avaient cessé durant leur existence d'enseigner le bien. L'imam Sidi Ahmed Et-Tidjani, s'adressant aux générations de ses Khouanes, a dit : Sachez que Dieu, dans sa prescience et l'exercice de sa volonté, a voulu que les faveurs dont déborde sa bonté aillent à l'aréopage des saints de chaque époque. Celui qui court vers les vertueux de son époque, en vie, membres de l'auguste aréopage, quiconque recherche leur société et se réfugie en eux, reçoit par leur médiation partie de ces faveurs ; s'il s'écarte des vertueux de son temps, se contentant seulement des préceptes des saints défunts, il se met dans le cas du récalcitrant qui se détourne d'un Prophète contemporain, sous prétexte qu'il obéit aux lois des Prophètes antérieurs : celui-là encourt l'hérésie (164).
Un seul guide est possible à notre époque, l'unique dépositaire de l'Essence divine au XXe siècle. C'est l'illuminé par Dieu, la source des connaissances et des sciences mystiques, le pilier de la sagesse, l'auteur éprouvé de miracles, le détenteur du grand Nom et le seul capable de le révéler, Abou El Abbes Sidi Ahmed Ben Mostefa Ben Mohammed Ben Ahmed Ben Mohammed Ben El Hadj Ali, lequel était connu de son temps sous le nom de Benalioua (165).
Nous ne sommes pas de ceux qui se glorifient de servir un saint parce qu'il aura atteint à la perfection ou accompli des miracles et disposé de pouvoirs surnaturels. Nous disons seulement qu'il est l'unique de son temps, le seul directeur spirituel en vie, le seul qualifié pour initier ses contemporains (166).
L'histoire religieuse du Maghreb est pleine de ces vocations qui, par une étonnante loi d'équilibre, surgissent périodiquement, dans le temps et dans l'espace, comme si l'étroit réalisme de la race se libérait de la terre pour s'élancer vers le ciel. La Kabylie se paganise ; la vallée de la Seybouse oublie Dieu ; le bas Chéliff perd sa foi ; les montagnes de Boghari et la région de Mostaganem s'éloignent de l'Islam. Et l'on voit apparaître tour à tour Sidi Abderrahmane, Amar Bou Senna, Ben Tekouk, Cheikh Missoum, Benalioua, par une sorte de phénomène cyclique dont le rythme ne laisse pas d'être surprenant.
Encore faut-il s'imposer à la foule berbère, à la fois railleuse et crédule. Les apologistes de Benalioua s'y emploieront. L'histoire est remplie des révélations de ces fondateurs de Confréries qui appellent à Dieu et par le chemin mystique mènent à l'Union. Notre Cheikh Benalioua peut revendiquer en cela la plus large part. En effet, par sa grande science et par ses grandes vertus, il a obtenu, en un laps de temps très court, des résultats tels que beaucoup de ses disciples sont arri-vés à cet état de béatitude qu'on appelle EI Oussoul. Sa Confrérie étend, à l'heure actuelle, son prestige sur toutes les contrées ; ses œuvres guident et éclairent les gens de toutes les provinces et surtout l'Algérie et les pays voisins.
De tous les recoins, les pèlerins affluent en grand nombre pour recevoir, dans la retraite (Khaloua) l'initiation et se rafraîchissent dans la mer des réalités mystiques. Mostaganem est devenue pour ces pèlerins la kibla. Grâce à ces révélations, les infidèles se sont convertis en grand nombre à l'Islam. Au début de sa mission, notre Maître n'a-t-il pas déclaré : Le Prophète m'a dit, d'un langage clair : Je te fais triompher. Ses contradicteurs, è l'époque, lui avaient demandé la preuve de cette interpellation. Cette preuve, c'est la naissance, le développement et l'extension spontanée de sa Confrérie (167).
Mais cette ivresse d'apologétique ne suffit point. Encore faut-il que le Cheikh apporte ses titres de sainteté. Il convient qu'il justifie de la provenance de ses ondes spirituelles. C'est là qu'interviennent les appuis et la chaîne mystique qu'on a justement rapprochée de la chaîne dorée néo-platonicienne (168). La chaîne est double (silsila, chajara) (169). Elle tend à rattacher, comme cela se fait dans les hadiths, la chaîne des maîtres en mystique à l'enseignement direct du Prophète (170). Tous les cheikhs algériens ont soigneusement, anneau par anneau, forgé leur silsila.
Si l'on croit ses fervents, Benalioua aurait pu s'en dispenser. N'a-t-il pas directement reçu l'investiture divine ? C'est le Prophète lui-même qui l'a, de vive voix, chargé de sa mission (171). Qu'importe ! Hassan Ben Abdelaziz établit la double chaîne aliouienne. On constatera que si les prémisses spirituelles du Cheikh plongent dans le Derkaouisme et le Chadhilisme, le lignage diffère profondément de celui qui a été donné, pour ces deux confréries, par Rinn, Depont et Coppolani, et M. Odinot (172).
SILSILA El OUERD
Le Cheikh Sidi Ahmed Ben El Hadj Mostefa Benalioua, fondateur de l'Ordre, du Cheikh Sidi Mohammed Ben El Habib El Bouzidi, de Mohammed Ben Kaddour EI Ouakili, de Sidi Mohammed Ben Abdelkader El Bacha, de Abi Yaza El Mouhadji, du grand Maitre El Arbi Ben Ahmed Darkaoui, fondateur de l'Ordre des Derkaoua, de Sidi Ali El Jemmal, de Sidi El Arbi ben Abdallah, de Sidi Kassem El Khassassi, : de Sidi Mohammed Ben Abdallah, de Sidi Abderrahmane El Fassi, de Sidi Youcef El Fassi, de Sidi Abderrahmane El Majdoub, de Sidi Ali Sanhadji, de Sidi Brahim El Fahham, de Sidi Ahmed Zerrouk, de Sidi Ahmed El Hadrami, de Sidi Yahya El Kadiri, de Sidi Ali Ben Ouafa, de son père Sidi Mohammed Ouafa, de Sidi Daoud El Bakhli, de Sidi Ahmed Ben Attallah, de Sidi Bel Abbes El Morsi, de Sidi Abou El Hassen El Chadhili, fondateur de l'Ordre des Chadhiliya, de Sidi Abdeslam Ben Machich, de Sidi Abderrahmane El Attar El Zayyat, de Sidi Taqi Eddine El Fouqeir, de Sidi Fakhr Eddine, de Sidi Noureddine Abou El Hassan Ali, de Sidi Taj Eddine Mohammed, de Sidi Mohammed Chams Eddine, de Sidi Zinedine El Kazouini, de Sidi Ibrahim El Basri, de Sidi Ahmed El Marouani, de Sidi Saïd, de Sidi Saad, de Sidi Fath El Saoud, de Sidi Saïd El Ghazouani, de Sidi Bou Mohammed Jaber, de Sidi El Hassan Ben Ali Ben Abi Taleb, de notre Seigneur Ali Ben Ali Taleb, de notre Prophète Mohammed (§).
SILSILA El BARAKA
Sidi Chadhili, de Sidi Mohammed Ben Harazem, de Sidi Mohammed Salah Ben Benassar, de Sidi Chouaib Boumediene, de Sidi Abi Yaza Mimoun El Gharbi, de Sidi Ayoub Ben Saïd, de Sidi Mohammed Dinnour, de Sidi Abdeljalil, de Sidi Abdallah Ben Abi Bichr, de son père Sidi Abi Bichr El Djaouhari, de Sidi Abou El Hassan En-Naouri, de Sidi Siri Saqti, de Sidi Maârouf El Karkhi, de Sidi Daoud El Taï, de Sidi Habib El Ajami, de Sidi Mohammed ben Sirine, de notre Seigneur Anes Ben Malek, de notre Prophète Mohammed (§) (173).
LITURGIE ET RITUEL
Benalioua fut, comme la plupart de ses grands prédécesseurs, un habile psychologue. Sa propédeutique, subtile et insistante, témoigne d'un sens profond des réflexes mentaux. Il sait que nul ne s'improvise voyant, qu'il existe une pédagogie de l'extase, une méthode expérimentale pour conduire le néophyte au seuil du Divin. On est frappé des étroits rapports qui relient la liturgie de la plupart des Confréries aux exercices spirituels de Loyola. Les analogies sont telles que Muller trouve les origines de la mécanique ignatienne dans les ordres mystiques du Maghreb (174). En fait, dans un cas comme dans l'autre, il s'agit avant tout d'un rituel de répétitions, admirablement agencé pour amener l'exercitant à la pré-extase. Benalioua excellera, lui aussi, à cette savante stratégie des âmes. Et cet inspiré, expert à extraire d'un texte la plus haute spiritualité, ce Maître d'une mystique que sous-tend une métaphysique raffinée, n'hésitera pas à faire appel aux cris, aux danses, à la gesticulation frénétique pour ouvrir à ses disciples la vision du Divin. Nul plus que lui n'a pratiqué la mnémotechnie de l'Absolu.
Mais précisément, c'est ici qu'interviennent les blâmes canonistes. Benalioua fut frappé de retentissantes excommunications. Sa position, entre le maraboutisme et le néo-wahhâbisme manarien, devint malaisée à tenir. Il ne la conserva qu'à force de casuistique et de prestige personnel.
De tout temps, les orthodoxes ont attaqué les pratiques confrériques, leurs exercices surérogatoires et leurs dispenses, leurs costumes spéciaux (coiffures caractéristiques avec bandes de couleurs), leur usage des excitants (café, hashish, opium) et leurs jongleries, leurs croyances en l'efficacité surnaturelle du talqin et de la baraka, leur soumission aveugle à l'illuminisme individualiste et anarchique d'un supérieur irresponsable (175). Toutefois, les théologiens sunnites n'ont jamais définitivement condamné les Soufis ; leurs excommunications ont surtout frappé l'école moniste d'lbn Arabi (176). Or, Benalioua s'y rattache. C'est dire qu'il n'a pas été ménagé.
Le Dikr
Au début de son initiation, le novice doit réciter le Dikr El Aam dont voici la formule :
Une fois : Je me réfugie en Dieu contre Satan le lapidé ;
Trois fois : Au nom de Dieu le Clément et le Miséricordieux ;
Une fois le verset : Le bien que vous présentez à vos âmes, vous le retrouverez en Dieu plus grand et plus considérable. Invoquez la clémence divine. Certes, Dieu est clément et miséricordieux ;
Cent fois : Je demande pardon à Dieu (177).
Cent fois : la prière sur le prophète « dite Salat Omiya » …
Cent fois : La illaha illa Allah….
Le Dikr doit être psalmodié d'une voix harmonieuse. Benalioua a toujours attaché une extrême importance à la douceur musicale de la prière. Il s'entourait de tolbas à la voix harmonieuse (178). Il prétendait que dans la musique flottent les âmes trépassées. Elle est, disait-il, la voix qui nous les restitue. La mélodie ne fut jamais dans sa pensée que le mystérieux appel des Morts.
Dans certaines régions, on termine les litanies par ces mots : Et le Cheikh El Alaoui est le plus grand du monde (179).
Comme beaucoup de ses collègues, Benalioua préconise l'emploi intensif du mot Allah, en insistant sur la dernière syllabe qui doit être indéfiniment prolongée (180). Le Dikr, dit Benalioua, du nom de l'infini Allah, est comme le va-et-vient qui affirme la communication de plus en plus complète jusqu'à l'identité (sans doute l'identification) entre les lueurs de la conscience et les éblouissantes fulgurations de l'Infini (181). M. Abdoul-Karim Jossot l'a bien compris : Le Cheikh des Allaouïas ne propose aucun intermédiaire ; par sa méthode, chacun a la faculté d'ascendre l'ultime sommet et cette méthode consiste simplement à répéter Allah ! Allah ! (182). Puis hou ... hou ... hou ... (lui). Il est curieux de rappeler ici l'une des prescriptions plotiniennes pour arriver à Dieu. Lorsque vous prononcez son Nom, ou lorsque vous pensez à lui, quittez tout le reste ; faites abstraction de tout. Laissez ce simple mot : Lui. Ne cherchez rien à ajouter. Mais demandez-vous s'il ne reste rien que vous n'ayez encore écarté de Lui, dans la pensée que vous en avez (183).
M. Othman Ben El Mekki, professeur à la Zeitouna de Tunis, a vivement critiqué ces pratiques (184). Le fait de ne retenir que la dernière syllabe du mot Allah, de répéter hou... hou... hou... est un gémissement qui n'a aucun rapport avec l'invocation divine (185). Benalioua a répondu dans son livre Allah (186) que son Dikr est tiré du Coran lui-même.
Musique et danses
M. Othman ben EI Mekki reproche également à Benalioua l'abus qu'il fait de la musique et de la danse dans ses exercices liturgiques. Le Cheikh a écrit : On a posé la question suivante à l'imam Abou Hanifa : Que dites-vous des soufis qui s'extasient au son de la musique ? Ils sont, répondit l'imam, parmi les hommes de Dieu qui entreront au Paradis avec leurs timbales et leurs flûtes. Le chroniqueur de l'époque qui a rapporté ce fait ajoute : Dans notre ville, il est une secte dont les adeptes accompagnent leurs litanies par des danses, jusqu'à tomber évanouis ; l'imam n'a jamais réprouvé leurs actes ; il leur rendait visite et les comblait de faveurs ; il répondait à toutes leurs questions.
Un jour, leur chef lui dit : Que dites-vous de certains musulmans qui se réunissent pour se livrer à des exercices liturgiques et invoquer à haute voix la protection des esprits du matin au soir ? Sont-ce des hérésiarques ? L'imam (Abou Hanifa) lui répondit : Nul n'a le droit de douter de la foi d'un musulman, même s'il commet un péché mortel. Or, ces pratiques ne constituent pas un péché mortel (187).
Afin de répondre aux critiques de M. Othman ben El Mekki, Benalioua a multiplié les références. Car s'il n'était pas l'homo juridicus que forme souvent l'Islam, s'il dédaignait les controverses et la jactance des docteurs, il savait au besoin s'enfoncer en plein fourré scholastique.
Pour justifier les gémissements, les hurlements liturgiques, l'évanouissement subit de certains fidèles, il n'est, dit-il, que de se reporter au Coran. Dieu a dit : les croyants ce sont ceux dont le cœur frémit à l'invocation de Dieu. (Sourate VIII, verset 2). On ne peut donc blâmer un récitant qui gémit. Le khalife Omar, ajoute-t-il, entendit un homme réciter ce passage du Coran : Certes le châtiment de Dieu est certain. Le khalife poussa un grand cri et tomba évanoui. Benalioua cite encore le cas de Chafi’i : l'imam entendit un homme dire ce verset du Coran : Et ce jour-là, ils ne pourront proférer un mot. L'imam tomba évanoui.
Le Cheikh invoque encore un hadith suivant lequel parmi les musulmans, il y a un groupe qui entrera au Paradis en sifflant comme les oiseaux (188).
Pour la danse, Benalioua argue du précédent des Abyssins qui entrèrent dans la mosquée le jour de l'Aïd, en dansant et en chantant selon leurs coutumes. Le Prophète (§) était présent et, derrière lui, Aicha les regardait curieusement. Une fois leurs danses terminées, Mohammed les reçut et ne leur adressa aucun reproche (189).
Ajoutons que, malgré une tradition suivant laquelle le Prophète approuvait l'usage des chants et des instruments, la doctrine pure de l'islamisme est pourtant bien l'interdiction de la musique (190).
Il est toutefois recommandé, et par le Prophète lui-même, de moduler parfaitement le Coran. Mais qui établira une distinction nette entre la modulation et le chant ? Et Mohammed n'avait-il pas son ménestrel favori, Hassan Ibn Thabet ? (191). La musique, nous dit un jour Benalioua, n'a pas les arêtes sèches du mot. Fluide et coulante, comme un ruisseau, elle porte l'homme à Dieu.
La Khaloua
L'une des principales innovations de Benalioua, celle par laquelle il s'est détaché des Derkaoua, c'est d'avoir repris en Algérie le rite de la Khaloua (retraite dans un ermitage, dans une salle isolée), usage autrefois pratiqué par la Confrérie turque des Khalouatis (192).
Le néophyte se retire dans une cellule. Là seulement peut s'obtenir l'étincelle divine. La Khaloua, dit le Cheikh, est une cellule dans laquelle je place le récipiendaire après qu'il m'ait juré de ne pas en sortir, s'il le faut, avant quarante jours. Dans cet oratoire, son unique occupation est de répéter, sans arrêt, jour et nuit, le nom divin, en prolongeant chaque fois la dernière syllabe jusqu'à épuisement du souffle. Auparavant, il doit réciter soixante-quinze mille fois la for-mule de la Chahada. Durant la journée, il observe un jeûne rigoureux qu'il rompt seulement le soir.
Certains foqaras obtiennent l'illumination soudaine, au bout de quelques minutes ; il en est d'autres pour qui cela nécessite plusieurs jours ; d'autres, plusieurs se-maines. Je connais un faqîr qui l'attendit huit mois. Chaque matin, il réintégrait la Khaloua en me disant : mon cœur est encore trop dur. Finalement ses efforts furent récompensés (193). Pendant qu'il est en cellule, le néophyte doit répéter le nom d'Allah jusqu'à ce que le sommeil vienne, sommeil rempli, disent les fervents, de visions divines (193). En fait, la durée et les, modalités de cette retraite sont très variables : à Djelfa, elle dure sept jours, et pour les plus ardents, une quinzaine (194) ; dans l'Est, le minimum est également de sept jours (195). Dans la région de Bône (Bejaïa), après avoir dit soixante-quinze mille fois la Chahada, l'impétrant répète pendant trois jours le mot Allah (196).
A la suite de ces pieux exercices, l'affilié perçoit intuitivement le Divin. Certains assurent avoir, dans la cellule, contemplé les personnages les plus fameux de l'Islam (197). Il en est même qui ont vu le Prophète et Dieu en personne (198). Il convient d'ajouter que Benalioua fut fortement soupçonné, à juste titre, selon nous, de pratiquer l'hypnotisme dont il avait pénétré les secrets durant son séjour en Orient (199). D'après une autre thèse, au sortir de la cellule, le disciple est pourvu de l'image d'une circonférence, qu'il doit fixer attentivement jusqu'à ce qu'une vision s'ensuive (200).
La Hadra
Voici, enfin, un tableau de hadra aliouienne : J'allais, en compagnie de mon Maître et Ami (Benalioua), flâner parmi mes coreligionnaires : tous savaient que j'étais l'hôte de leur chef ; tous voulaient m'embrasser. Mes bons frères (les disciples) m'étouffaient ; jamais mes lèvres ne s'étaient posées sur tant de barbes rudes ; jamais mes joues n'avaient été baisées par tant de bouches masculines. Mais ces étreintes étaient tellement sincères, je me sentais entouré de tant d'amour que je n'éprouvais aucun dégoût à serrer contre moi le burnous loqueteux d'un bédouin famélique .... Vint la nuit : des lumières s'allumèrent ; les foqaras (affiliés) se groupèrent en une seule assemblée et entonnèrent leurs chants dont la plupart des refrains ramenaient le message du Prophète : La illaha illa Allah ... J'ai balancé le torse de gauche à droite et de droite à gauche pour suivre le rythme de la qasida que, sur un mode aigu, braillait un gosse d'une dizaine d'années et je me suis surpris à chantonner le refrain clamé par trois mille gosiers... Sur un signe de Si Ahmed Benalioua, tous les foqaras se turent brusquement et se mirent debout. Beaucoup d'entre eux se débarrassaient de leurs burnous et les jetaient autour de nous. Bientôt nous fûmes isolés par une muraille de vêtements. Pressés les uns contre les autres, chacun tenant dans sa main la main du voisin, fléchissant légèrement les genoux, les foqaras commencèrent le Dikr. De milliers de poitrines s'exhalaient des sons farouches, sauvages, terrifiants. Une sorte d'aspiration, qui semblait tirée des ventres, était suivie d'un renvoi rauque, et cela commençait sur un rythme à deux temps, s'accélérait .... Parfois, un cri jaillissait de la foule haletante ; c'était un fidèle qui tombait, terrassé, ne pouvant supporter la puissance de la syllabe qu'il proférait, le hou final de Allahou ..... J'étais entouré d'une masse compacte de plusieurs milliers de bédouins exaltés qui poussaient toujours, avec une frénésie de plus en plus véhémente, leur terrifiant Hou, ouh !... Le Cheikh leva la main. Comme par magie, l'incantation s'arrêta net (201).
LA BÉATITUDE ALIOUIENNE
Nul, plus que Cheikh Benalioua, n'a respecté et vénéré les textes sacrés. Mais avec son système de lecture allégorique, avec sa théorie des interprétations hiérarchisées, il condamne l'étroit dogmatisme de la lettre, réservé à ceux qui se limiteront toujours aux mécaniques d'un rituel. Que peut être, pour un Soufi, le scripturaire, sinon une grossière traduction de l'Intraduisible ? Que valent les mots, même ceux de la langue arabe pour formuler l'informulable ? L'orthodoxie pratique une exégèse charnelle qui ramène à la terre le sublime des versets. Dans la pensée de Benalioua, le texte est coextensif à l'illumination. Il doit s'étirer, s'élargir, se transcender, suivant les besoins du cœur. Mais ces besoins, la raison pure ne les assouvira pas. La doctrine aura beau s'infléchir vers une métaphysique d'intuition, elle ne donnera jamais la perception immédiate et intense de Dieu. Elle restera un mince quadrillé, une construction linéaire, que déborde à chaque minute le flux incessant de la Vie.
Pour atteindre Dieu, une méthode est nécessaire. Cheikh Benalioua l'a définie. Il en a fixé les stations. On y parvient en franchissant trois étapes : on franchit la première par des prières et des exercices liturgiques dans l'abstinence et la prière. Au cours de la deuxième étape, on s'apprête à franchir les stations ; c'est à ce moment qu'on doit approfondir les sciences mystiques. Au cours de la troisième étape, on se laisse absorber insensiblement en Dieu. La première étape est une période d'épreuve ; elle comporte le Dikr El Aam .... La deuxième étape permet de voir les lumières ; elle comporte le Dikr El Khas. Au cours de la troisième étape, l'âme du Mourid se remplit de l'Essence divine.
Pour arriver à Dieu, notre Confrérie trace donc trois voies : purgative, illuminative et unitive. Les exercices de la première permettront à l'âme de se débarrasser de ses imperfections. Alors s'ouvrira devant elle le chemin mystique au bout duquel elle atteindra les stations de la perfection et de l'union avec Dieu ... Le Dikr EI Khas appartient seulement au cercle des initiés. Là il n'y a ni méditation, ni examen de conscience. L'initié doit s'abandonner au délire. L'Essence divine Se révèle à lui sous la forme du grand nom qui est le vocable Allah. C'est le Cheikh qui le lui révèle dans un centre lumineux. Dans son délire, le Mourid doit suivre les conseils de son Directeur pour éviter de se précipiter dans les abîmes de la métaphysique (202).
Résumons l'expérience d'Ibn Arabi dont, à maintes reprises, Benalioua s'est proclamé le continuateur. J'assiste à l'entrée de l'Emir à Fez. Je le regarde et perds soudain conscience de tout ce qui n'est pas l'Emir. Dans cet état, note Ibn Arabi, rien n'existe plus, sauf ma vision de l'Emir et le sentiment que j'en ai. Tout le reste s'est aboli. C'est la nuit des sens. J'arrive ainsi à ne plus appréhender le réel, pour ne voir que l'Emir et l'image subjective que j'en garde. Il ne me reste qu'à anéantir ma représentation personnelle. Alors je suis l'Emir lui-même. Je suis Dieu (203).
Car Dieu ne se pose qu'en fonction de moi-même. Je suis son support, et, dans un certain sens, je le conditionne. L'homme, dit Ibn Arabi, réunit en lui la forme de Dieu et la forme de l'univers. Lui seul révèle l'essence divine avec tous ses noms et attributs. Il est le miroir par lequel Dieu est révélé à lui-même et, par là, la cause finale de la création. Nous-mêmes, nous sommes les attributs au moyen desquels nous représentons Dieu ; notre être n'est qu'une objectivation de l'être divin. De même que Dieu nous est nécessaire pour que nous puissions exister, nous le sommes à Dieu, pour que son essence puisse lui être manifestée (204).
Par son immersion en Dieu, Benalioua devient toutes choses et voit toutes choses en autrui. Tout est partout. Tout est tout. Chaque être est Tout (205). En un clin d'œil, s'écartent tous les voiles qui masquent les éléments mystérieux (206). Nous saisissons ici la conjonction, fréquente au cours des siècles, de la pensée alexandrine et dû mysticisme musulman. Du moment que l'existence des choses créées n'est autre que l'essence même de l'existence du Créateur (207), il y a une interversion de l'homme et de Dieu. Et s'il descend jusqu'à moi, par une série d'émanations indéfiniment dégradées, je peux remonter jusqu'à lui, au moyen d'une gamme d'ascensions dont il sera la dernière étape. Il est à peine besoin de souligner les analogies de ce système avec les leçons sténographiées (208) des Ennéades.
Un scrupule, tout occidental, disons-le, restait à Cheikh Benalioua dans son intuition divinatrice. Il se demandait parfois, devant ses intimes, si la frénésie extatique n'est pas un phantasme et si elle ne représenterait pas, en dernière analyse, la projection irrésistible de l'âme. Là où je crois sentir l'Unique, ne vais-je pas me retrouver moi-même? Ne dois-je point, pour le saisir, dématérialiser mes sensations ? Et suis-je assuré d'y parvenir? Il faisait une sévère critique de sa préhension du Divin. N'ayant cependant qu'une information rapide des thèses actuelles qui reprochent à l'aristotélisme notre construction trop rationaliste de Dieu, il observait que nous conférons à l'Etre suprême des attributs exactement calqués sur les nôtres. Intelligence, volonté, justice, c'est notre lot humain. Mais nous le conférons, à Dieu. Et l'ascèse, qui est un délire silencieux qui nous approche de l'Un, ne serait-elle pas la suprême illusion ? Percevons-nous l'Essence pure ou une création de notre intellect, de nos sens, même quand nous les avons vidés de toute matérialité ? Benalioua, à travers l'immense écart des temps et des formations mystiques, s'est posé, vers la fin de sa vie, le tragique problème de Jean de la Croix. Celui qui doit arriver à s'unir en une union avec Dieu, ne doit pas aller, en s'appuyant au goût, au sens, à l'imagination, mais en croyant son être, lequel n'est perméable ni à l'entendement, ni à l'appétit, ni à l'imagination, ni à aucun autre sens et, en cette vie, ne se peut savoir en sa vraie nature ; bien au contraire, le plus haut que l'on puisse ici sentir, entendre, goûter de Dieu est infiniment distant de ce qui est Dieu et du fait de le posséder purement (209).
Telle est la cime de la méditation aliouienne. Dieu ne peut être atteint que par la purgation intellectuelle, sentimentale, sensorielle. Mais qui garantit la perfection de ce dépouillement ? Dès lors, l'ascèse, si poursuivie soit elle, n'est-elle point en péril ? Il restera toujours un doute, une angoisse, un reflet d'anthropolâtrie. Et poussé à ses limites suprêmes, le système ne sera plus qu'un nihilisme inquiet, discernant après la faillite de l'intelligence, l'impuissance de l'intuition à saisir le Divin.
DÉVELOPPEMENTS DE LA CONFRÉRIE
La confrérie de Cheikh Benalioua s'est développée, après 1920, avec une incomparable rapidité. Elle a séduit des intellectuels français, dont M. Abdelkarim Jossot, de qui nous avons donné de copieux extraits (210). Ces disciples ont vu, en Cheikh Benalioua, une tragédie de la pensée moderne, la réaction de l'âme contre une civilisation mécaniste qui, oublieuse du cœur, réduit le monde à une froide géométrie. Les profès, souvent d'une haute culture et d'une indéniable probité spirituelle, appartiennent à cette catégorie d'esprits, anxieux d'évasion et de régénérescence métaphysique qui, vers 1923, demandèrent à l'Orient d'impérieuses raisons de rêver et de vivre. Benalioua fut un de leurs maîtres. Sa révélation soudaine les illumina. Ils le suivirent d'enthousiasme, heureux d'une pensée qui, dédaignant les lourds dossiers de l'intelligence, atteignait d'un bond le Divin. Et il reste pour eux l'un de ces mages qui portent dans leur enseignement les souffles lointains de l'Asie. On peut, écrit M. Frithjof Schuon, comparer la rencontre d'un de ces messagers à ce que serait, par exemple, en plein vingtième siècle, celle d'un Saint du moyen-âge ou d'un patriarche sémitique ; telle était, aussi l'impression que nous a donnée celui qui fut, à notre époque, un des plus grands Maîtres du Soufisme: le Cheikh EI Hadj Ahmed Aboul Abbas ben Mostefa ben Alioua, connu aussi sous le nom de Cheikh El Alaoui qui s'est éteint, il y a quelques mois, à Mostaganem (211).
C'est le propre du Soufisme maghrébin d'informer à la fois la plus fine intellectualité et le fanatisme des douars. Benalioua n'y a point échappé. Il éveilla des vocations dans tous les milieux. Son action prosélytique eut des résultats considérables, tant à Paris où exista, 26, boulevard Saint-Germain, une zaouïa réservée aux ouvriers musulmans, que sur le territoire algérien.
Les adhérents du Cheikh étaient ordinairement recrutés dans les régions les plus attardées. En Kabylie, il n'eut qu'un succès d'estime. Mais il compta des disciples au Maroc, en Tunisie, en Tripolitaine, au Yémen, en Syrie. Son journal, Balagh El Djezaïri, fut lu en Arabie, en Angleterre, en Amérique. Sa propagande provoqua, en certaines régions, surtout dans l'arrondissement de Sétif, une effervescence, un état latent de rébellion, que Benalioua réussit péniblement à calmer. Bien mieux, à la suite d'une polémique de presse, un fanatique du Cheikh tenta d'assassiner M. Benbadis, directeur du journal Constantinois El Chihab, qui avait âprement critiqué la nouvelle doctrine. Les disciples, échappés à l’emprise maraboutique locale, vivaient dans une hypnose exacerbée. Ils affectaient le dédain des autorités, le détachement des biens de ce monde, l'insensibilité complète aux séductions de la vie. Certains divorcèrent pour pratiquer l'ascèse (212). D'autres se dépouillaient de leurs biens, ne conservaient qu'un mauvais burnous et brûlaient, en l'honneur du Cheikh, les billets de banque qu'ils avaient amassés (213). Bref, ce fut une psychose de contemplation, un enthousiasme de sacrifices, qui font rappeler dans un cadre modeste, le climat orageux des grandes créations spirituelles.
Ce n'est certes pas la théodicée du Maitre qui avait prise sur les foules. Ce fut ce don rare de magnétisme personnel qui faisait de lui un irrésistible pôle d'attraction. M. Frithjof Schuon l'a fort bien vu. La cadence des chants, des danses et des incantations rituelles semblait se perpétuer en lui par des vibrations sans fin ; sa tête se mouvait parfois dans un bercement rythmique, pendant que son âme était plongée dans les inépuisables mystères du Nom divin, caché dans le dhikr, le souvenir... on l'entourait de la vénération que l'on devait à la fois au saint, au chef, au vieillard et au mourant ... (214).
On mesurera la portée de son influence aux paroles suivantes recueillies de ses élèves : Les Confréries religieuses sont toutes des séguias (canaux). L'eau pure ne coule que dans celle de Benalioua (215). Un fidèle a dit à Alger, dans un café de la rue Porte-Neuve : Je ne savais ni lire, ni écrire. Maintenant, je lis et écris couramment par les seuls mérites de ce Cheikh envoyé de Dieu (216). Enfin un jeune Tunisien, Mohammed Laïd Ben Abid EI Bahri, apôtre convaincu, donna à Tébessa une conférence où il démontra que le rôle de Benalioua est prévu dans le Coran et la Sunna que le nouveau Cheikh est un véritable Mahdi et que sa destinée se réalisera entièrement, le jour où le nombre de ses adeptes sera égal à 320.000, nombre d'envoyés de Dieu qui l'ont précédé (217).
Il est assez difficile de délimiter avec précision l'aire géographique de la confrérie et sa distribution numérique. Pour l'Algérie, un recensement effectué en 1929 donne:
Département d'Alger (Alger, Palestro, Médéa, Chélif, Djurdjura, Dra-El Mizan) 195 Khouanes.
Département d'Oran (Oran, Mostaganem, Frenda, La Mina, Cassaigne, Renault, Djebel Nador, Bel Abbes, Tlemcen) 375 Khouanes.
Département de Constantine (La Meskiana, Bougie, Akbou, Guergour, Taher, Sétif, Biban, Maadid, Righa, Batna, Ain-Touta, Guelma, Souk-Ahras, Bône, La Calle) 5855 Khouanes.
Soit un total de 6425 Khouanes.
Mais il semble bien que ce chiffre doive être au moins doublé. Le succès de la secte en Algérie procède de causes diverses. C'est, d'abord, le déclin des vieilles Confréries, désormais assagies, disposant d'un confortable casuel et dont les points de vulnérabilité se sont multipliés. Misère spirituelle et richesse temporelle ! Ensuite la collusion apparente entre les pouvoirs publics et les anciennes congrégations la dégradation du mystique en politique, suivant la loi signalée par Péguy (218) leur décomposition en schismes locaux, en petites chapelles, qu'exploite l'ambition de Moqaddems dissidents le goût du nouveau, héréditaire parmi les autochtones l'évolution des esprits le besoin ancestral de s'insurger moralement contre les doctrines et les idées reçues et, pour tout dire, l'éternel ferment anarchique de ce peuple berbère qui cherche à s'unir quand il est conquis et à se dissocier quand il est libre.
Il ne faut point, d'autre part, sous-estimer ni le rôle de Benalioua, restaurateur d'une chaude spiritualité pour quelques initiés, ni la radioactivité de son système. Par son action personnelle, son prestige, son rayonnement, il a su créer une sorte de mirage collectif, une hypnose religieuse dont la masse se défend avec peine. Au début de sa propagande et alors qu'il paraissait suspect, on le fit surveiller par des observateurs qui prirent son contact. Ils revinrent éblouis, catéchisés, entraînés eux aussi par ce vertige de l'esprit et de l'âme dont le Cheikh Benalioua a emporté le secret.
Dans le Rif oriental et la région de Melilla, le succès de Benalioua fut particulièrement brillant. 1700 Rifains prirent part, en 1931, au pèlerinage de Mostaganem, 2200 en 1932, 3100 en 1933. Comment expliquer cette extension de la Confrérie dans une zone relativement éloignée ? Benalioua met, nous l'avons vu, au service d'un illuminisme grossier, la métaphysique la plus abstruse, la mieux épurée. Si quelques rares esprits de Melilla peuvent saisir la théorie de la perception extérieure voilant l'Infini, la masse est fanatisée par ce rituel obsédant, tyrannique, éminemment suggestif où tout est calculé pour amener l'envoûtement léthargique de la pensée. Il n'y eut peut-être jamais, dans l'histoire des Confréries musulmanes, d'effort plus puissant pour mécaniser les âmes, en vue de l'exploitation du Divin. Système où les réflexes héréditaires, les procédés modernes, les ressorts intimes les plus secrets, sont mis en œuvre, pour halluciner la psychologie religieuse berbère. Elle est encore intacte dans le Rif et toute de superstitions, de crédulité, de foi à la thaumaturgie. Le merveilleux des autres congrégations, les pôles attractifs du maraboutisme local ne comptaient guère à côté de Benalioua et de sa fascination sur un cerveau rifain. C'est également dans les régions les plus arriérées du département de Constantine, rappelons-le, que le Cheikh a le mieux réussi.
Un fait reste significatif. Comme nous objections à l'un de ses zélateurs rifains qu'il habite l'Algérie, c'est-à-dire un pays soumis au Roumi, il nous fut répondu que le Maître, en réalité, vit en même temps à La Mecque. C'est son double, un autre lui-même qui n'est pas lui tout en l'étant, qui réside à Mostaganem ou à Alger. Une fois par an, lors du pèlerinage de la Confrérie, les deux doubles se rejoignent à Mostaganem. Cette réincarnation, cette union soudaine, invisible à la foule, sont connues seulement de quelques initiés privilégiés qui, par leur foi ardente et leur soumission, sont dignes de percevoir le miracle.
Ces dédoublements ne sont pas rares dans les fastes de l'hagiographie berbère. Citons, par exemple, les deux tombeaux de Sidi Abderrahmane, vénérés par les Rahmaniyas algériens (219), les doubles sépultures de Moulay Yacoub dans le Rif précisément (220), de Bou ‘Asrya dans le Gharb marocain (221). Mais la dualité n'avait jusqu'à présent, à notre connaissance du moins, été attribuée qu'au sépulcre lui-même, jamais au marabout vivant.
Les évaluations que nous avons faites chiffrent à 7000 au moins, dont 17 Moqaddems, le nombre des affiliés rifains vers 1932 (222).
Nous ne possédons aucune donnée précise sur l'extension de la Confrérie à l'étranger. Le Cheikh a déclaré à un rédacteur de l'Echo d'Oran qu'il avait 100.000 adeptes. Suivant M. Probst-Biraben, ce chiffre dépasserait 200.000 (223).
Depuis la mort de Benalioua, la Confrérie se disperse. Malgré les efforts de son successeur spirituel, M. Bentounes, l'éternelle loi du Maghreb la segmentation religieuse a joué aux dépens de l'unité spirituelle et organique. L'Aliouisme de l'Est se condense en petites chapelles autonomes. Les Khouanes du Rif rentrent sous l'obédience héréditaire de leurs marabouts. Le Balagh Djezaïri, désormais flottant, sans doctrine et présenté en humble style, est disputé entre divers rédacteurs, peut-être plus soucieux de publicité que de métaphysique et de spiritualité.
L'élan créateur que le Cheikh donna à sa confrérie paraît près d'être épuisé. Benalioua ne représente plus, deux ans après sa mort, que la déception d'un grand rêve. Que reste-t-il de son enseignement ? De pauvres bribes de rituel. Sa doctrine qu'il voulut libératrice, et qui garde la marque de son ivresse spéculative, n'est plus guère, parmi ses derniers élèves, qu'une scholastique froide, inerte, décharnée, privée du fluide brûlant dont l'anima le Maître.
POLITIQUE ET MORALE
Il ne faut pas s'attendre à trouver chez Benalioua une construction politique définitive. La pensée du Cheikh, sollicitée par les problèmes religieux, ne s'est guère fixée qu'occasionnellement sur les rapports des nations et des hommes. Il avait à cet égard les idées de sa génération et de sa culture, celles d'un Algérien qui a atteint sa majorité intellectuelle entre 1890 et 1900, et qui, formé à la méditation mystique, a passé dix années de sa vie en Orient (* * *)
Il y avait en lui, nous l'avons déjà vu, un sentiment très vif de la solidarité islamique. Il n'a cessé de prêcher l'union des Musulmans, sans s'arrêter aux différences de sectes et de races. Et nous l'avons montré, en ses ardentes croisades pour le développement de l'arabe, langue liturgique de l'Islam (224).
Son long séjour en Orient l'avait, d'autre part, familiarisé avec les sociétés secrètes qui, lors du régime turc, luttèrent en faveur du particularisme linguistique (225). Il semblait les connaître à fond et, peut-être, y avait-il conservé des intelligences. On pourrait découvrir en lui des traces secrètes de panislamisme, si ç'est être panislamiste que de prêcher le rapprochement des Musulmans et l'exaltation de la foi. Mais il reste indéniable qu'il eut des relations avec la plupart des grands leaders musulmans. Son Balagh a publié des articles de M. Chakib Arslan et du Cheikh tunisien Ta’alibi (226).
Comment envisage-t-il les rapports de la France et des indigènes ? Il reconnaît, certes, l'immense bienfait de notre domination. Il a assez voyagé, assez comparé, pour convenir qu'elle est, en somme, libérale et légère. Si l'on mettait, disait-il, sous les yeux des indigènes la véritable Algérie d'avant la conquête, avec ses terres incultes, ses marécages semant la mort, ses populations décimées par les épidémies, les guerres intestines et le paupérisme, sans voies de communication et courbée sous la domination de quelques potentats. Et si l'on filmait l'Algérie actuelle avec ses grandes villes, ses chemins de fer, ses routes carrossables, ses grands ports, ses télégraphes, ses autos, ses champs immenses de blé, d'orges et de vignes, ses nombreux jardins verdoyants, ses écoles en nombre considérable, ses nombreux hôpitaux et ses chefs justes et bienveillants, il va de soi que l'indigène ne manquerait pas de faire là comparaison et aimerait davantage la France.
Il y a une idée qui me paraît bonne, c'est de faire ; ériger par voie de souscription, s'il le faut. Un monument sur la place du Gouvernement à Alger.
Ce monument représenterait la France souriant à un colon et à un fellah se donnant l'accolade et sur les bas-reliefs, d'un côté ferait revivre, par quelques scè-nes, l'Algérie d'avant la conquête et l'autre, l'Algérie actuelle.
C'est le seul moyen, à mon avis, d'effacer le passé qui choque et de démontrer aux indigènes et aux puissances étrangères que la France est venue en Algérie pour civiliser et non pour spolier les indigènes. (227)
Toutefois, il ne nous épargne pas ses critiques. Il y a, çà et là, dans son journal, El Balagh, de regrettables écarts de plume. C'est ainsi que notre administration jugerait parfois que les autochtones algériens restent une race inférieure (228) ; qu'ils font toujours les frais des conflits européens (229) ; que la presse de langue arabe n'est pas libre (230) ; et si le peuple indigène n'est pas libre de se servir de sa presse pour faire entendre à ses plaintes, quels moyens lui restent-ils donc ? (231). Le style de Benalioua rend alors un son nostalgique. On y sent comme des sanglots retenus. Les mots se pressent, heurtés, hachés, plaintifs, dans le halètement douloureux de la phrase.
L'un de ses thèmes favoris, c'est l'action des missionnaires. Nous avons déjà analysé l'attitude du Cheikh à l'égard du christianisme, qui a toujours suscité sa curiosité. Mais il demeure intraitable sur la propagande évangélique qu'il croit surprendre en certains milieux indigènes. Il est un fait certain que le peuple musulman se trouve menacé dans sa constitution, de divers côtés ; mais le danger des missions chrétiennes est le plus grave et le plus grand. C'est parce que les Musulmans et leurs représentants dédaignent ce danger que nous le voyons important. C'est cela qui augmente le mal (232). Benalioua évoque fréquemment la question et, parfois, avec une extrême vivacité de plume (233). Notons, au surplus, qu'à cette époque toute la presse arabe, de Tunis à Bagdad, entreprend la même croisade (234).
Benalioua a pris franchement position contre le communisme. Le 6 juin 1934, El Balagh publiait la lettre de l'un de ses affiliés, M. Abdallah ben Ali El Hakimi, réqui-sitoire virulent à l'adresse du néo-marxisme, donné comme oppressif, matérialiste et athée (235). Le Cheikh était largement acquis au progrès. Mais il le voulait dans la confiance et la quiétude des esprits. Bien qu'il prêchât les délices de la pauvreté, il estimait que chaque homme a droit à un minimum de bien-être et que la propriété, si humble soit-elle, est un service social. Selon lui, posséder c'est travailler au bien commun et permettre le travail d'autrui. C'est œuvrer pour l'ordre et dans l'ordre. Jamais homme ne fut plus étranger à la révolution. Il haïssait la violence. Il n'admettait la guerre que pour la défense de la foi. Et il suivait avec une curiosité passionnée les efforts de l'Europe pour une organisation internationale de la paix (236).
Il voyait l'avenir civique des Musulmans algériens sous la forme d'une naturalisation dans le statut personnel. Car il n'admettait pas, on l'a vu, que ses coreligionnaires abandonnassent leur droit successoral et matrimonial. Il invoquait l'exemple de la Pologne, de la Yougoslavie, de la Roumanie, pour montrer qu'on peut être excellent citoyen, collaborer à la vie publique et participer à ses charges, sans pour cela cesser de pratiquer l'Islam dans l'intégralité de ses prescriptions.
Les déclarations importantes faites par le Cheikh à un journal algérien, permettent de mieux saisir le cheminement de sa pensée. La religion musulmane, demandai-je au Cheikh, est-elle hostile à la civilisation et au progrès actuel ? Pas du tout. La religion musulmane est très libérale et recommande l'instruction et les sciences aussi bien dans les pays musulmans que dans les pays chrétiens. Elle met la science au-dessus des pratiques religieuses même.
cc En lisant notre histoire, on verra que les Arabes avaient eu des architectes, des docteurs, des ingénieurs, des marins, des géographes et aussi des philosophes. Les Arabes se sont intéressés aux civilisations anciennes, notamment à la civilisation grecque.
En effet, des auteurs grecs avaient été traduits et leurs livres existent encore. Pourquoi voulez-vous que nous qui sommes contemporains de la civilisation eu-ropéenne, nous ne nous intéressions pas à cette merveilleuse civilisation ?
Pour ma part, il n'y a pas un jour qui ne passe sans que je recommande à mes adeptes d'envoyer leurs enfants à l'école pour y apprendre la langue française, sans que j'invite ceux qui font partie de ma secte à observer les règles de l'hygiène, à respecter les biens du voisin, à respecter les lois françaises.
La religion musulmane est basée sur le respect de toutes les croyances, de la moralité et de la charité, ' ajoute-t-il gravement. Apprendre à conduire une auto-mobile, s'assimiler aux merveilleux travaux de la mécanique, apprendre à réfléchir, à méditer sur tout ce qui peut procurer du bien-être à l'homme, cela n'est pas incompatible avec la religion. Pasteur, m'a-t-on dit, était un homme religieux, mais cela ne l'a pas empêché de rendre les plus grands services à l'humanité par ses merveilleuses inventions. Non ! La religion n'empêche pas l'homme d'atteindre les plus hautes cimes de la science, la religion n'est qu'un guide. Elle s’efforce à rendre l'homme meilleur en détruisant chez lui les mauvais instincts. Si Dieu avait voulu laisser l'homme abandonné à lui-même, il n'aurait pas révélé à ses nombreux prophètes l'Evangile, le Talmud, la Bible et le Coran pour guider l'homme • vers le droit chemin. Nous ne faisons que rendre toujours vivaces dans l'esprit des hommes les préceptes de Salomon, d'Abraham, de Jésus-Christ et de Mahomet (237).
Pas plus qu'il n'a érigé une doctrine politique, Benalioua n'a construit d'éthique qui lui soit personnelle.
Sa morale, celle qu'il préconisait devant ses disciples, est celle des Derkaouas. C'est, avant tout, une morale religieuse, une annexe de la prédication confrérique. Vivre simplement, dans l'abstinence et la prière, pratiquer l'aumône, éviter la société des puissants, être humble de parole et d'habit, tels sont ses préceptes généraux (238). Mais il semble bien qu'au cours de ses dernières années, le Cheikh ait élargi sa conscience de l'humanité. Il faisait, dans ses conversations, une place de plus en plus grande à la charité. Il prêchait l'oubli des injures, la nécessité du pardon. Aimez-vous les uns les autres. Cette formule, qu'il conseilla d'abord aux Musulmans (239), il finit par l'étendre à toutes les races, à toutes les confessions. Il avouait dans le privé professer la doctrine de l'Ahmadiya indienne, avec laquelle il entretenait des rapports assidus (240) ; la fraternité avec Dieu commande une ardente charité. Il enseigne la fraternité aimante des hommes, écrira M. Probst-Biraben (241). De fait, il était parvenu à une sorte de tolstoïsme, où la résignation au mal se teintait de miséricorde, où le dédain de la vie s'éclairait d'une tendre sollicitude envers le prochain. Mais ce prochain, c'était aussi la bête, le végétal (242). Il s'exaltait en y songeant. Ses yeux profonds se mouillaient. Son effusion confondait dans un élan d'amour l'homme, l'animal et le brin d'herbe. Avec son lyrisme incisif, son sens de l'image biblique, son éloquence haletante, il apparaissait alors comme le poète de la souffrance universelle, le prophète inspiré de la réconciliation des âmes.
Cet amour cosmique fut sa suprême ascension. Quelque temps avant sa mort, il nous confia sa répugnance à s'alimenter. Manger de la chair est un meurtre, disait-il. Et le végétarisme est lui-même un attentat contre la vie. Il faut étendre la fraternité humaine aux animaux et aux plantes. C'est une horrible nécessité de ne pouvoir vivre qu'aux dépens des choses vivantes. Mais surtout, pas de crime inutile ! Cueillir une fleur est un comble de cruauté. C'est peut-être se fermer à jamais la haute miséricorde de Dieu.
Ce sont les dernières paroles que nous aurons entendues du Cheikh Benalioua. Et nous nous sommes souvent demandé si cette large pitié universelle, ce dégoût d'une nourriture qui avait été chose vivante, n'ont pas aggravé la lente consomption dont il est mort.
Tel fut le Cheikh Benalioua.
Haussons-nous maintenant au-dessus du détail monographique. Nous mesurerons ainsi le chemin parcouru. Nous aurons une vision plus large du maitre et de l'œuvre. Nous tenterons de saisir les grandes lignes d'horizon de son paysage intellectuel et les idées centrales autour desquelles il s'ordonne.
Nous avons d'abord montré qu'au point de vue métaphysique, Benalioua s'inscrit en pleine tradition mystique. Mais il la dépasse. Son Dieu est inconceptible, voire inconceptuel. Le concevoir, c'est l'enfermer dans nos classifications, l'emprisonner dans un mot, le déformer dans une doctrine où la vérité ne se dessine pas avec plus d'exactitude qu'un objet dans un miroir brisé. Dire que Dieu est la Pensée pure, la Pensée qui se pense, c'est effectuer la même opération que la feuille d'arbre qui imaginerait un Dieu suprêmement vert. Ce sont là postulats grossiers de l'anthropomorphisme. C'est déifier un attribut, humain ou végétal, la pensée ou la feuille. Benalioua s'y refusait. Nul ne fut plus éloigné de la construction rationaliste du Divin.
Nous sommes ensuite parvenus à la seconde halte de l'itinéraire aliouien. Le monde est un rayonnement infini dont le principe fécondant est Dieu. Au fur et à mesure que cette lumière descend, elle se charge de matière, pour devenir la vie elle-même, l'homme, l'animal, la plante, le minéral. Dieu est émanation extérieure et immanation dans la créature. Toutefois, émanation et immanation s'intériorisent l'une l'autre. Que le soufi se tende, qu'il se purifie, qu'il échappe aux voiles de la raison et des sens, il aura soudain l'aperception de l'Un. Cette intuition, comme l'intuition bergsonienne, est un effort qui se transcende. Et quand il sera réalisé, au prix d'une douloureuse torsion, ce sera enfin l'absorption en Dieu jusqu'à complète infusion.
Nous avons ainsi été conduits au sommet de la méditation aliouienne. Cette préhension du Divin ne serait-elle pas une suprême illusion ? Le dialogue mystique de Dieu et de l'âme, ne se réduirait-il point au soliloque de l'âme ? Est-il sûr que ce soit Dieu que nous saisissons par l'intuition profonde et non une projection dernière de notre anthropomorphisme ? Cela, Benalioua ne l'a point formulé. Il l'a entrevu et suggéré. Mais c'était pour lui une pénible angoisse, un débat tragique dont il n'entrevoyait pas l'issue. Car, dans cette hypothèse, le système aboutit au nihilisme intégral, à l'immense solitude humaine dans le vide éternel.
Et nous avons, enfin, examiné comment le Cheikh a pu, bon gré, mal gré, inclure cette métaphysique dans les précisions dogmatiques de l'Islam. Nous l'avons vu, rajeunissant l'interprétation averroïste, transposant sa croyance religieuse dans l'idée philosophique et l'idée philosophique dans l'extase. Il professait la multiplicité des sens et, du littéral à l'allégorique, leur parfaite vérité. 1l admettait la spiritualité réduite en schémas verbaux et en mimétisme rituel. Mais dépassant la médiocrité prude et méticuleuse des scoliastes, il s'élevait d'un bond au-dessus des versets, pour en découvrir en traits de feu le sens universel. Et il croyait à l'évolution des dogmes, que la sagesse divine adapte à chaque esprit et à chaque génération, comme elle réserve à chaque siècle un nouveau messager.
Deux grands courants circulent à travers l'œuvre de Cheikh Benalioua. Elle est, d'abord, une philosophie de la mobilité, puisque tout évolue, même les dogmes, et qu'il y a entre la création et Dieu un vivant échange de rapports. Et c'est, ensuite, une philosophie de l'Unité, puisque tout émane d'un principe essentiel par dégradations successives, et que les crédos, si contradictoires qu'ils soient, sont conciliables et également vrais. La doctrine de Benalioua est une méthode beaucoup plus qu'un système. Mais c'est aussi, mieux qu'une méthode, une as-cèse d'intuition, effleurant la vérité moins par la recherche que par une brusque illumination.
Cette doctrine mouvante, nombreuse, où s'entrechoquent les matériaux les plus disparates, a indéniablement subi de multiples influences. Influences alexandrines, avec l'émanatisme plotinien, le panthéisme inavoué mais certain, la possibilité de retrouver Dieu par l'extase ; influences syro-iraniennes, avec l'évolution prophétique des Imamites et des Ahmadiyas, les réminiscences d'El Halladj, le Babisme et son credo en devenir ; influences averroïstes et thofailiennes, avec la thèse des sens étagés, ouverts aux diverses catégories d’intelligences ; influences occidentales, enfin, avec l'écho, la préfiguration peut-être, de quelques thèmes bergsoniens, des infiltrations de modernisme chrétien et l'impitoyable critique de la connaissance rationnelle. Bref, un amalgame de doctrines souvent antithétiques, dont Benalioua faisait en lui, par un brassage quotidien, une unité ardente.
C'est dire qu'à notre sens, l'originalité de Benalioua est plus apparente que réelle. Elle aura surtout consisté à harmoniser des antinomies en une philosophie univo-que. Ne lui décernons pas, comme on l'a fait, la palme du génie métaphysique. Mais qui nierait sa vive sensibilité à la vérité et le désintéressement de sa médita-tion ? Qui lui refuserait l'impétuosité de la recherche, le goût ·de la spéculation, l'ingéniosité parfois trop subtile de la pensée ? Son type d'intelligence ne fut pas unilinéaire, mais fuyant, multiple, sinueux, tout en pointes aiguës et brillantes. Sa marque restera profonde dans la conscience religieuse algérienne. Et si Benalioua ne fut peut-être pas un fécond inventeur d'idées, il n'en aura pas moins apporté son humble note au débat ouvert, depuis des siècles, entre Aristote et Plotin.
Notes:
Comment expliquer cette intériorité réciproque de Dieu et de l'Homme ? Le soufisme n'est que la modalité musulmane de l'émanatisme plotinien (50). La création tout entière dérive de Dieu par une suite d'ondes sans cesse dégradées qui, parties de l'Idée pure, se chargent progressivement de matière. Les néo-platoniciens tirent de Dieu la matière elle-même, considérée comme la dernière ondulation en laquelle le flux de l'émanation divine vient expirer sur les confins du néant… (51).
Remarquons ce que cette métaphysique qui touche de fort près le panthéisme, a d'hétérodoxe et d'opposé à la tradition coranique. C'est par là que Benalioua, qui se prétend cependant orthodoxe, soulève les accusations d'hérésie portées contre lui en Algérie. Il arrive en somme à l'exégèse moderniste de Kaourani et Naboulousi, honnis du sunnisme : pour eux, comme pour lui, la profession de foi islamique, la Chahada, signifie non la transcendance et l'unité de Dieu, mais bien l'absolue immanence du Divin dans les êtres (52). Le fameux Taouhid, l'affirmation de l'Unité de Dieu, c'est pour le mystique, l'Unité en Dieu, l'infusion de l'âme dans la Divinité ; pour le canoniste orthodoxe, c'est l'Unicité, la distinction parfaite du Créateur et de sa créature (53). Benalioua a été jusqu'à écrire : Le monde a une âme et cette âme, c'est Dieu. Dieu a un corps, et ce corps, c'est l'Univers. Les ascètes sont l'incarnation de l'esprit divin (54).
Mais l'intuition extatique de Dieu n'est pas, comme on pourrait le croire, un nirvana flottant, rêveur, paresseux. Le fanâ musulman comporte au premier plan l'omniprésence de Dieu ; le nirvana hindou est indépendant de l'idée de Dieu et il s'ouvre sur la métempsychose (55). Quant à l'illumination soudaine, elle est comme l'intuition bergsonienne elle-même, que les lecteurs superficiels interprètent comme une instinctive aperception de la vérité, alors qu'il s'agit d'une opération difficile, douloureuse, impliquant une extrême tension (56).
Pour Benalioua, et la plupart des Soufis, c'est un effort, analogue à la contraction conseillée par Plotin : Il faut contracter sa pensée jusqu'à l'Un véritable, étranger à toute multiplicité, l'Un qui a toute simplicité et qui est réellement simple (57). La doctrine de Benalioua est ardue. Mais elle révèle au Mourid l'essence divine d'une façon parfaite ; il atteindra alors le degré de la connaissance, de la signification et de la certitude mystiques ; elle a pour but également de douer le Mourid de la vue intérieure qui permet de sonder les mystères ; elle lui enduit, les paupières du collyre de l'union avec Dieu, de l'absorption en Dieu jusqu'à complète infusion. Cette absorption, que seul le mysticisme peut permettre, et qui est par conséquent spéciale, comporte plusieurs stations qu'il faut franchir (58). L'extase de Benalioua est une communion intégrale de l'âme avec Dieu (59). Il écrit, dans la deuxième qasida de son Diwan : Je m'anéantis en Dieu ; je retourne ainsi à mon principe premier (60). La contemplation devient dès lors une hypertension de !'âme, un dépouillement douloureux des facultés et des sens, le geste de l'attention qui se transcende elle-même. Benalioua s’écrie ainsi :
O mon cœur,
Écoute et comprend, Dieu !
Ne sois pas distrait ;
Ne déborde pas,
De crainte de révéler le secret de Dieu (61).
Cette adéquation de l'homme au Divin, seuls quelques rares initiés peuvent· la pratiquer. Benalioua se croyait du nombre. Il était le père nourricier des âmes, l'illuminé par la lumière divine, celui dont la présence en notre siècle est un bienfait de Dieu …. (62). Il aurait pu, dit-il, se dispenser d'invoquer, comme le font les autres saints, l'indispensable chaîne mystique, car c'est le Prophète lui-même qui l'a interpellé de vive voix pour le charger de sa mission. C'est donc le Prophète, et non pas seulement une généalogie spirituelle, qui légitime son autorité (63). Il s'intitulait Ghaouth, le premier en titre dans la hiérarchie des Saints. Il se disait le plus grand des Soufis de son temps. Commentant un hadith suivant lequel à la fin de chaque siècle apparaît un Imam, rénovateur de la Foi, Benalioua se proclame Imam, le dernier de ces rénovateurs étant avant lui le Cheikh Darkaoui :
Proclame ô narrateur !
Le nom de Alaoui
Qui succède au Darkaoui,
Telle est la volonté de Dieu (64).
Et ailleurs je suis l'imam ;
Si je pouvais voir la lumière qui m'inonde,
Elle remplacerait à mes yeux la Qibla (65).
Il avait rapporté de son long séjour en Orient des formules fortement imprégnées de Bâbisme. Un soir qu'il était en extase, l'un de ses fidèles l'entendit soupirer :
Venez à moi vous qui cherchez.
Je suis la Porte de la Connaissance.
Et une autre fois :
Je suis, dans un corps charnel,
La plus haute vérité (66).
Le Cheikh Benalioua fut d'une rare émotivité métaphysique. Il atteignait d'un élan les hauts sommets de l'ontologie. Son ingéniosité était extrême, et il excellait à vêtir d'une métaphore, d'une allégorie charmante, la sécheresse des idées. Dieu, disait-il, dans le privé, est comme une lumière pure. Son rayon illumine le Prophète ; il m'a illuminé à mon tour. Mais au fur et à mesure qu'il descend sur l'homme, sur les bêtes, les plantes, les minéraux, le rayon s'alourdit de matière. De sorte que, pour retrouver en nous son Essence, il faut fondre cette matière au feu brûlant de l'Amour. La vapeur, l'eau, la glace sont une substance unique ; elles donnent de Dieu et de ses dégradations dans l'espace, une image suffisamment approchée.
Nous avons eu l'occasion d'exposer à Cheikh Benalioua divers systèmes philosophiques de l'Occident. Il les comprenait à merveille. Mais sa dilection allait à la métaphysique de M. Bergson, qu'il regrettait amèrement de ne pouvoir suivre dans le texte. Il en saisissait, dès l'exposé verbal, les finesses les plus ténues et les traduisait sur le champ par une image éclatante. Il nous commenta ainsi la célèbre distinction entre l'intelligence outil, et l'instinct-intuition seul capable d'appréhender la vie (67) : la charrue du fellah s'est substituée à la plume du Taleb. L'explication que donne M. Bergson de la sophistique des Eléates (68) le ravissait et il tirait d'ingénieux apologues de la fameuse flèche de Zénon.
Son œuvre écrite n'apporte aucune variation essentielle à la théodicée de l'Islam. Le devoir religieux, écrit Benalioua, consiste pour vous, ô responsable, à croire sincèrement à l'existence de Dieu, des anges, des livres divins, des envoyés de Dieu, au jugement dernier et à croire à la prédestination (69). Comme au surplus la plupart des penseurs musulmans, lesquels n'ont véritablement compris que le Stagirite logicien, non le Stagirite métaphysicien (70), Benalioua est parvenu difficilement à la conception aristotélicienne de. L’Être suprême, pure, absolue, dégagée de tout anthropomorphisme moral ou physique, exclusive des vertus, des désirs, de vouloir, sans communication avec l'Univers. Dieu, dit-il, est omnipotent, il a toutes les perfections, aucune imperfection ne peut l'atteindre ; il n'est ni père, ni enfant de quoi que ce soit ; par ses attributs spéciaux il se distingue de toutes les créatures, dans l'ensemble et dans le détail. Rien ne lui est comparable. II voit et entend tout (71).
Benalioua s'est soigneusement gardé de poser les problèmes, chers à la philosophie arabe, de la substance, de l'essence et de la causalité. II voyait là une puérile jonglerie de la raison raisonnante. Ces tours de passepasse scolastiques le faisaient sourire. Et pour en montrer l'inanité, il reprit un jour sa métaphore que nous avons citée : Ce sont là, dit-il, charrues qui veulent labourer le ciel.
Mais s'il dédaignait les rébus usuels de la dialectique musulmane, il s'intéressait vivement à notre spéculation occidentale. Nous avons déjà dit son goût pour M. Bergson. Il prétendait en avoir deviné, bien avant de lés apprendre, les schèmes essentiels. De fait, ses propos s'enrichissaient de curieuses réminiscences. Il comprenait fort bien la scission d'une évolution créatrice, d'ailleurs voulue par Dieu si elle n'est pas Dieu lui-même, en un Instinct moulé sur la Vie et une Intelligence appliquée à la matière, consubstantielle à la matière, mais inapte dès lors aux hauts problèmes de l’Être. Que la raison se trouve à l'aise dans le physique, cela va de soi ; mais le métaphysique lui est fermé, et s'ouvre seulement à l'Instinct-Intuition. De là, poursuivait le Cheikh, l'erreur capitale qui consiste à transporter les méthodes géométriques de l'esprit, aux choses que l'âme, aidée par Dieu, peut seule découvrir (72). Bien qu'il eût pour la théologie une très vive admiration et qu'il n'en suspectât pas les trouvailles, il considérait que l'idée rationaliste du Divin restera toujours entachée d'anthropomorphisme. Qui a raison, ou de la fleur imaginant Dieu comme un parfum, ou d'Aristote concevant Dieu qui se pense éternellement ? Aristote et la fleur font la même démarche : l'un divinise sa pensée, l'autre ses effluves. Tous deux ont raison, concluait le Cheikh. Car Dieu est Tout, et chaque partie de la création n'ouvre sur lui qu'un minuscule angle de vue.
Autre influence moderne. Benalioua avait été séduit par la thèse bergsonienne qui fait du langage une compression, un dessèchement, une immobilisation du senti (73). La fluidité de la vie se fige dans les mots. Il y a, disait Benalioua, 100 noms de Dieu. Nous n'en connaissons que 99. Si nous connaissions le centième, le monde croulerait aussitôt. Car, ce mot unique, n'ayant jamais été prononcé, n'a pas encore emprisonné le sentiment qui mène à Dieu. Et ce sentiment, subitement révélé, explosant soudain, ferait sauter l'Univers. On trouvera là la transposition, bien musulmane, d'un concept occidental.
Les idées d'espace et de temps ont été disjointes de bonne heure et soigneusement disséquées, d'abord par la métaphysique grecque, par notre psychologie ensuite. Sans doute, la philosophie musulmane ne les a-t-elle point négligées. Mais là encore, avec d'étranges imprécisions de vocabulaire (74), elle a déployé d'inutiles sophismes à concilier le concept aristotélicien d'un temps éternel, sans commencement, et le principe musulman d'un temps créé par Dieu. Benalioua parait avoir longuement médité la question.
Pour la plupart des penseurs, ou le temps dans le non-être n'a point de sens, ou il n'est que la durée. Celle-ci serait, dès lors, au fond du temps ... le moment permanent dans lequel s'étend la présence divine ; ce qui est au fond du temps et qui renferme en soi l'éternité et la perpétuité (75). De fait, quelques écrivains de l'Orient ont plus ou moins distingué entre temps et durée, entre un temps sensible, mesurable, arithmétique, qui serait le mouvement de la sphère céleste, et un temps suprasensible, humainement perçu et vécu. M. de Boer rapproche cette classification de la fameuse discrimination bergsonienne entre temps et durée (76). Ghazali a durement combattu la doctrine aristotélicienne du temps commencé, pour tenter de faim triompher les thèses classiques de l'orthodoxie. Nous ne pouvons ici suivre sa discussion. Mais on y trouve parfois des notes très modernes. C'est ainsi que temps et espace seraient des conditions de notre perception, beaucoup plus que des réalités objectives (77). Même intuition chez Avicenne, pour qui le temps ne s'imagine qu'avec le mouvement et qui cite à cet égard, pour en montrer le caractère tout subjectif, la légende des Sept Dormants (78). M. Louis Massignon a, le premier, noté la différence capitale qui existe entre l'arithmologie gréco-latine, projetant les nombres dans l'espace géométrique, et l'arithmologie musulmane, projetant les nombres dans le temps (79). Cette remarque en dit long sur les antinomies spirituelles de l'Occident et de l'Orient. Elle éclaire certaines faces, les plus caractéristiques peut-être, de la pensée et de l'art arabes.
Benalioua restait, quant à sa conception du temps et de l'espace, dans cette tradition philosophique. Il confessait que le temps peut n'être que subjectif. Il se maintenait ainsi dans le sillon ouvert par Ghazali et Avicenne. Mais il le débordait parfois. Il comprenait parfaitement, sans cependant y apporter une adhésion définitive, la théorie kantienne des catégories. Son invention philosophique, là comme ailleurs, n'était jamais en défaut. Il nous expliqua un jour que Dieu perçoit sans doute en simultanéité ce que nous percevons en succession. Mais malgré son goût du bergsonisme, il ne no.us a point paru qu'il ait pleinement saisi le système de la durée étoffe du Moi, du temps spatialisé et géométrisé qui reste, on le sait, l'un des principes les plus originaux de M. Bergson. C'est que, dans cette hypothèse, la métaphysique se dilue en psychologie, s'organise en expérience d'introspection minutieuse, opération malaisée pour un Musulman, tourné par la tradition de sa race vers la considération du Divin, à l'exclusion de toute analyse du Moi. Car la psychologie notre psychologie moderne s'entend implique trop de positivisme pratique, trop de dissection attentive, pour ne pas rester, longtemps encore, une science de l'Occident.
L'œuvre écrite du Cheikh Benalioua ne porte guère trace de ses incursions dans la philosophie moderne. Soit qu'il les jugeât inopportunes ou dangereuses, soit qu'il n'y vît qu'une manière de dilettantisme renanien, ses réflexions s'adressaient surtout, au cours d'entretiens intimes, à ses amis européens. II montrait alors sa ferveur des grands jeux de l'esprit. Agile et légère, sa dialectique effleurait les problèmes. Elle les renouvelait, les avivait au passage d'un brillant trait de pourpre. Il platonisait avec une grâce élégante. Son imagination primesautière, chatoyante, infiniment nuancée, s'installait d'un coup d'aile dans les systèmes les plus abrupts. Et son amitié des idées était si passionnée, qu'il les apaisait, les réconciliait, les fondait dans une large synthèse d'amour.
DOGMATIQUE ET ACTION RELIGIEUSE
Dogme et évolution
Comment Benalioua a-t-il pu concilier son panthéisme évanescent avec la dogmatique du Coran et de la Sunna ? Comment pouvait-il, tout en s'affirmant orthodoxe, croire à sa consubstantialité à Dieu ?
Panthéisme ? Il s'en est toujours défendu. Mais, comme on l'a finement remarqué (80), il y a deux panthéismes. L'un superficiel, extrinsèque, plus en mots qu'en doctrine ; l'autre inconscient, diffus, tout en virtualités qui, sans se manifester explicitement, détermine les itinéraires de l'esprit et en imbibe les théories. C'est de cette seconde catégorie que relève Cheikh Benalioua. Il accordait parfaitement son Dieu immanent et émanatiste avec le Dieu de l'Islam. Son herméneutique était aussi souple qu'agile. II confessait, en petit comité, la pluralité anagogique du Coran. Il haïssait le littéralisme servile des docteurs algériens, et trouvait aux livres sacrés toute une hiérarchie de sens (81). Son exégèse, rusée, ondoyante, aventureuse parfois, tournait à merveille l'obstacle de la lettre. Elle en faisait jaillir l'esprit. Il avouait que les hautes vérités sont un don divin à l'initié et qu'il faut, pour le vulgaire, les habiller de mythes (82). C'est ainsi qu'il rejoignait Averroès, Ibn Tofaïl et Ghazali. Où est Dieu ? Suivant Averroès, les trois sortes d'intelligences répondront : les premières (esprits d'exhortation) : dans le ciel ; les secondes (esprits de dialectique) : au-dessus de tout ; les troisièmes (esprits de démonstration) : il n'est nulle part, bien que son action s’étende sur tous les êtres de l'espace. Il est en soi. Le monde et l'espace sont en lui, plutôt qu'il n'est dans le monde et dans l'espace (83).
Benalioua adoptait cette doctrine. Il croyait à la multiplicité de l'interprétation, de la littérale à l'allégorique. Il pensait que les sens d'un texte sont étagés les uns au-dessus des autres, ceux du bas, le rez-de-chaussée, pourrait-on dire étant réservés à la foule. Il goûta particulièrement le mot de Renan que nous lui avions cité : Nous avons donné à Dieu un riche écrin de synonymes ... Dieu, âme, autant de mots que l'humanité interprétera dans un sens de plus en plus raffiné (84). Ce que je crois, comme Musulman, disait Benalioua, je le transpose comme penseur dans l'idée puis, comme mystique, dans l'harmonie des sphères. Et mes trois croyances, si contradictoires qu'elles paraissent, ne font qu'une. Son admiration était vive pour le roman d'lbn TofaïI dont il récitait fréquemment les phrases suivantes : Mais à peine Haïy Ibn Yaqdhân s'était-il élevé au-dessus du sens exotérique, à peine avait-il commencé à exposer des vérités contraires aux préjugés dont ils étaient imbus, qu'ils se rembrunirent … (85). Et encore : Ces secrets…. Nous les avons laissés couverts d'un voile léger qu'auront vite fait de déchirer ceux qui en sont capables, mais qui deviendra opaque et impénétrable pour quiconque n'est pas digne d'aller au-delà (86). Pour Benalioua, les livres sacrés sont de sens multiples ; les interprétations doivent varier de génération à génération et les dogmes évoluent comme les hommes, tout en restant identiques dans leur substance éternelle. Il reprenait à son compte une exclamation de Bâb : Il y a longtemps que j'ai dépassé le monde des mots (87). Nous sommes, on le voit, en plein modernisme (88). Le mysticisme, au surplus, répugne à s'enfermer dans des concepts rigides ; il les gonfle de sa vie bouillonnante, les déborde et à la fin les brise en éclats (89).
Le symbolo-fidéisme de Benalioua, son ascèse brûlante, allaient de pair avec ce que nous appellerons le Prophétisme évolutif, l’auto perfectionnement de la Révélation divine (90). Le chiisme ismaïlien, que le Cheikh paraît avoir beaucoup étudié en Syrie, a institué une mystique et une théodicée essentiellement dynamiques, faites d'étapes chronologiques, d'acquisitions dogmatiques s'affinant avec les âges. Dans les Prophètes, instruments successifs de la révélation, résident l'âme et l'intelligence universelles, par le moyen desquelles Dieu a créé la matière première et le monde (91). Chacun d'eux apporte à l'humanité les fragments d'une vérité de plus en plus complète, de sorte que Mohammed lui-même n'est plus le sceau de la Prophétie et qu'il sera surpassé.
Cette évolution s'est poursuivie avec le Bâbisme. Qu'il soit, comme le suggérait Gobineau, parallèle à l'idéologie proudhonienne, qu'il constitue, suivant M. Huart, le réflexe rationaliste de l'Iran contre l'Islam, ou qu'il demeure étranger à toute religion positive, ainsi que le pense Le Châtelier (92), le Bâbisme n'en a pas moins accéléré dans le Mahométisme oriental, le principe de l'élan progressif. Le Bab écrivait : La Révélation a toujours progressé dans les âmes des Prophètes successifs et, à chaque apparition nouvelle, les préceptes se sont modelés sur l'état des esprits… (93). Après le Bâb, le Béhaïsme a encore élargi la doctrine. Tant et si bien, qu'il ne s'agit plus que d'une sorte de super-religion, qui n'épouse aucun dogme et qui finit par cette formule : La religion doit servir à l'union et à l'harmonie des peuples du monde. N'en faites pas une Cause de différends et d'hypocrisies (94). Voici un appel du Béha à ses fidèles : La mer de !'Unité est tumultueuse de vagues qui se choquent, et le Zéphyr de l'Union souffle du parterre des fleurs de la Miséricorde …. Le Drapeau qui guide va se lever. Les rideaux qui cachent l‘Unité du Monde vont être déchirés. L'Occident et l'Orient ne seront plus qu'un (95). Après la révélation de Mohamed, après le Chiisme, le Cheïkhisme, l'Imamisme, Bâb et Beha, l'Islam n'est plus ainsi qu'une religion universelle où s'apaisent et s'estompent les dogmes. Il y a donc un Islam clos, celui du sunnisme, et un Islam ouvert, dont le devenir prophétique n'est pas encore épuisé (96).
Benalioua, qui rapporta de son séjour en Orient, une information très complète de la pensée asiatique (97) ne cachait pas son admiration pour le Bâb et ses disciples. Le Cheikh se croyait, après Bâb et le Derkaoui, le message le plus récent du Prophétisme. Mais encore une fois, tout en pensant universel, il entendait bien penser Islam tout court. Au fur et à mesure qu'il avançait en âge, il accentuait sa thèse d'un système de croyances qui se superposent, tout en se pénétrant, depuis l'anthropomorphisme condensé en images grossières jusqu'à l'idéalisme le mieux épuré.
Propagande islamique
C'est dans cette voie qu'il est resté l'un des plus fermes défenseurs du sunnisme. Il a déployé un zèle fiévreux à dégager l'Islam algérien des végétations parasitaires qui l'ont peu à peu envahi. Dans son hebdomadaire El Balagh El Djezaïri, qu'il préparait minutieusement et dont chaque article était corrigé et complété par ses soins, ce m0arabout n'a cessé de combattre les basses superstitions maraboutiques et certains usages qui ont peu à peu enveloppé la Foi maghrébine d'une épaisse gangue païenne. C'est ainsi qu'il s'est élevé avec véhémence contre la dévotion aux tombeaux coutume stupide et antimusulmane (98). Il a été l'un des premiers à prêcher la rénovation et l'enseignement de la langue arabe dont il déplorait la décadence (99). Il exaltait le retour à l'Islam des Compagnons, le pur Islam tout chaud de la révélation prophétique et non encore figé par le travail théologique postérieur (100).
Avec une singulière âpreté, un sens aigu de l'apologétique et des dons remarquables de polémiste, Benalioua s'élevait contre la perte de la Foi et la tiédeur des Musulmans, algériens. On pourrait composer, de ses articles, un florilège de fougueux prosélytisme. Il vaut mieux mourir pour la Foi, que de vivre dans l’ignorance…. (101). L'Islam se plaint à Dieu. Il est trahi par les siens. Ses propres docteurs ont déserté la lutte qui tendait à le maintenir. S'il pouvait parler, il énumérerait à Dieu les maux qui le frappent. Les Musulmans l'abandonnent, sans savoir qu'ils abandonnent ainsi leur gloire, leur noblesse, leur salut dans ce monde et dans l’autre…. (102). Les nôtres se dispersent dans l'erreur comme un vil troupeau …. Nos coreligionnaires ne peuvent même plus conserver ce qui reste, en fait, de pratiques religieuses, pour les sauver en ce monde et dans l'autre. Ils sont entourés, envahis de tous côtés, ce qui sera leur perte. Que Dieu nous garde ! Si sa pitié ne se manifeste pas bientôt les Musulmans seront complètement déchus un jour…. (103). L'indifférence est partout ! Seuls, les degrés de cette indifférence sont différents (104). Quelles protestations contre l'indifférence religieuse contemporaine !
Benalioua incrimine sévèrement la civilisation matérialiste, incurieuse du spirituel, qui gagne lentement l'âme des indigènes. Il les dépeint aveugles, ignorants, imperméables au rayonnement du Divin, abâtardis par ce que Péguy appelait la démystification (105). Il met en cause, non seulement le peuple, mais encore et surtout, ses pasteurs. De nos jours, les souverains musulmans font preuve du plus grand désintéressement pour tout ce qui concerne la religion ; aussi pouvons-nous dire qu'ils causent à l'Islam plus de tort encore que les étrangers. Par suite de leur négligence et de e leur inertie, quiconque veut se moquer de la religion, 0u lui nuire, peut, en effet, le faire sans avoir rien à craindre (106).
Et ce philosophe que nous avons vu anxieux de métaphysiques quintessenciées, qui a compris le Bâb et toujours proscrit le bas littéralisme, s'attaque ensuite à l'occidentalisation des esprits et des mœurs. Non point qu'il renie ses idées de large synthèse religieuse. Loin de là. C'est toujours sa thèse averroïste que le dogme populaire, la pensée suprême du philosophe et l'intuition de l'initié, sont les formes fuyantes de la vérité et que diminuer l'une, c'est avilir les autres. Mais il se répand contre le port du chapeau, du pantalon, contre les habitudes de pensée et de vie européennes dont il signale le progrès (107).
Notre jeunesse s'est plongée dans cette civilisation moderne qu'elle crut être licite, alors qu'elle est périssable. Nos jeunes gens en sont arrivés à un degré d'immoralité détestable (108). Les lamentations de Benalioua prennent çà et là un rythme prophétique. Il combat de toutes ses forces l'imprégnation occidentale, et pour convaincre, sa prose jaillit impétueuse, bouillonnante, chargée d'images qui s'entrechoquent. Sa campagne contre la naturalisation des indigènes fut d'un timbre littéraire très aigu (109).
La naturalisation, écrit-il, porte atteinte à la Foi, à nos croyances, à nos coutumes, à notre statut personnel :
O Peuple, jusqu'à ce jour, tu as conservé ton unité, ta nationalité algérienne, ton caractère ; tu es resté, jusqu'à ce jour, fidèle à ta religion ; ton attachement à l'Islam t'a placé au premier rang des pays musulmans ; tu as hérité d'un passé glorieux, le passé de tes ancêtres qui n'ont jamais trahi le pacte qu'ils ont conclu avec Dieu ; tu as toujours respecté ce dépôt sacré. Peux-tu sacrifier ton passé, faire bon marché de tant de vertus, ou permettre à des parvenus, guidés par l'intérêt, de le faire ?
C'est une imposture, que de clamer au monde entier qu'on représente tout le peuple algérien, et que le peuple serait heureux d'immoler au mythe de la naturalisation, sa nationalité arabo-berbère, ses croyances, son passé, tout ce qui constitue son honneur. O Peuple ! Tu as donné à la France des preuves de ton dévouement. Tu mérites une récompense. Cette récompense tu l'obtiendras. Mais elle ne saurait être liée à ta naturalisation (110).
Comment remédier à cette défaillance de l'Islam algérien ? Cheikh Benalioua, se plaçant sur le terrain du dogme, estimait que c'est dans la religion elle-même qu'il faut trouver les moyens de la ranimer. Il veut rendre à l'Islam sa primauté. Il le situe à la source de toute la civilisation occidentale. Il y inclut toute la philosophie moderne, une éthique raffinée, une large pitié sociale (111). Besoin n'est pas, pour l'humble fidèle, de se plier aux philosophies de l'Occident. L'Islam est doué d'une richesse inépuisable. Il reste transcendant, éternel, suprêmement bienfaisant. Et c'est du Coran que viendra la régénération (112).
Mais que, d'abord, la France comprenne le Mahométisme ; c'est son devoir, puisque la moitié de Son empire est musulman. L'Islam fait partie de la France ; celle-ci est, par suite, obligée de lui faire confiance, tout comme à ses autres fils dévoués, sans quoi la vie de cette agglomération de races et de religions serait toujours troublée. La méfiance est due à l'ignorance des vérités islamiques, et aussi, au fait que cette religion est considérée à tort par la grande majorité des occidentaux comme un assemblage d'anarchistes dont la devise religieuse est l'effusion du sang (113). Il faut ensuite que les Musulmans retrouvent le sentiment de la fraternité intra-confessionnelle. Qu'ils soient unis, dans le temps comme dans l'espace. Cela, Ibn Saoud l'a gravement méconnu, en ne se portant pas au secours des Tripolitains opprimés par l'Italie (114).
Et Benalioua publiait un sermon véhément à ses coreligionnaires pour les inviter à s'unir et à s'aimer :
On n'est supérieur que par la crainte de Dieu et par les vertus islamiques. Être supérieur par sa vertu n'implique ni suppression d'égalité quant à l'instruction, ni l'éducation et le devoir d'être un guide probe dans la bonne voie. Cette fraternité nous impose le devoir d'appliquer l'égalité des droits qu'a chacun en ce monde et en l'autre. Nous devons donner à nos frères l'enseignement vrai. Empêchez donc vos deux frères d'être ennemis ; évitez leur inimitié et la colère. Faites qu'ils soient liés par la fraternité islamique et nationale. N'ayez en vue que la fraternité religieuse et les liens qui unissent les hommes ; Dieu vous récompensera, si vous parvenez à améliorer les rapports entre vos frères et vous. Votre Livre recommande sans cesse la fraternité islamique. En appliquez-vous les principes ? Ne l'affirmez pas ; car nous vous voyons ennemis les uns des autres, vous haïssant, vous tournant le dos, vous abandonnant sans secours, vous maudissant, vous dénigrant. Vous vous accusez mutuellement d'impiété et vous ne respectez pas les femmes des autres. Vous êtes heureux lorsque le mal atteint l'un de vos frères. Vous aidez les bandits contre vos frères. Vous vous trahissez les uns, les autres. Vous vous rendez coupables des actes réprouvés par la Loi. Est-ce là la fraternité islamique ? Vous mésestimez la haute valeur de cette fraternité qui pourtant vous relèverait ; appliquée, elle vous donnerait la prospérité, le succès, la maîtrise ; la gloire, si vous marchiez coude à coude avec des sentiments fraternels. Mais le destin nous est contraire, Dieu seul a le pouvoir de changer toutes choses et nous n'obéissons ni aux prescriptions de la religion, ni à celles de la vraie humanité.
Ô Croyants ! Les peuples ne sont arrivés aux sommets de la gloire et de la souveraineté que par la fraternité, la solidarité, le respect dû aux Chefs, par l'assistance aux faibles. Ces peuples ont sacrifié ce qu'ils avaient de plus cher ….
Au Secours ! Au secours de vos frères faibles, misérables, avilis. Vous rendrez compte à Dieu de ce que vous aurez fait pour eux. Croyants, craignez Dieu. Un même sang coule en leurs veines et dans les vôtres. Ne les abandonnez pas à l'insulte, à l'injure, à la médisance, à la diffamation, au mépris, à la moquerie, à l'avilissement. Vous avez tous une même âme, une même origine. Un homme sensé voudrait-il du mal à l'un de ses propres organes ? ... Vous ne serez croyants et frères, que si vous vous aimez les uns les autres, que si vous vous assistez pour la défense de notre race et de notre foi, quand bien même ce combat vous coûterait la vie. Il n'est pas défunt, celui qui est mort pour la renaissance de ce qui fit sa gloire et sa noblesse…. (115).
Benalioua, on le voit, a été l'un des précurseurs de ce que l'on a appelé le mouvement néo-wahabite algérien (116). Il en avait, à l'avance, défini et délimité le programme. Ce n'est que plus tard, après sa brouille avec Benbadis et Tayeb EI Okbi, qu'il rompit violemment avec la nouvelle école. Il lui reprochait son intransigeance, son fanatisme, ses gaucheries dialectiques. Il pensait que, par ses prétentions politiques, elle compromettait la cause musulmane en Afrique du Nord. On peut dès lors surprendre dans son œuvre une réaction assez vive. Marabout, il revient à la défense de ce maraboutisme qu'il avait d'abord attaqué en ses basses manifestations. Manarien de grande classe, il combat le manarisme algérien. Il serait souhaitable que le Maghreb évoluât dans le bon sens, et non sous l'impulsion que veulent lui donner les Ulémas du groupe Benbadis ; ceux-ci font la guerre aux marabouts, sans se douter, qu'en détruisant les croyances populaires, ils favorisent la propagande des missionnaires... (117).
Sa lutte contre les Ulémas algériens qui l'attaquent sans merci, l'appellent Cheikh Houloul ou Cardinal tuberculeux - devient de jour en jour plus âpre. Il abandonne les positions avancées qu'il avait d'abord occupées. Il se replie sur l'Islam traditionnel et s'improvise défenseur du Malékisme algérien. Son style devient âpre, mordant, hérissé de pointes. La religion interdit-elle le prêt à intérêt et l'usage de l'alcool ? les Ulémas hypocrites les tolèrent. La religion prohibe-t-elle la naturalisation et le port du chapeau ? Ils les autorisent. La religion prescrit-elle la récitation du Coran dans les cérémonies funèbres ? Ils contestent cette prescription et la combattent. La religion recommande-t-elle d'honorer les prophètes et les Saints ? Recommande-t-elle d'implorer leur intercession ? Ils accusent d'hérésie tout croyant qui suit ces recommandations... (118).
Il pense que l'Islam ne se rénovera point par les Réformistes, en qui il ne veut plus voir que des ambitieux gagnés par le siècle et sans véritable spiritualité. C'est au peuple qu'il s'adresse, ce peuple qu'il aima profondément et dont il espérait le réveil religieux. Mais les intermédiaires entre la masse et lui, ce sont ces ma-rabouts qu'il a maintes fois combattus. Il leur propose une croisade islamique pour revigorer les âmes défaillantes. Et à diverses reprises, il inséra dans le Balagh, son appel hautain : Messieurs, il ne me convient pas de me dresser devant vous pour vous rappeler vos devoirs, ni de vous faire des avertissements, cependant que votre rôle consiste à exhorter le monde et à le diriger dans la voie droite, si je n'avais constaté de la défaillance dans l'exercice de votre autorité et des symptômes de désagrègement dans votre communauté. Certains parmi vous se livrent à une besogne qui n'est compatible ni avec votre rôle de prédicants, ni avec votre mission de semer la bonne parole.
Votre position aux yeux de tout le monde est très élevée et votre dignité la plus haute. Dieu vous a donné un aspect qui inspire au public une vénération mêlée de crainte ; il vous a coiffés de l'auréole de la puissance et de l'honneur et vous a mis à même d'exercer un prestige très étendu ; vos signes sont des ordres ; vos avis sont des sentences ; votre parole est écoutée, votre volonté exécutée. Quelle en est la raison ? Est-ce une force en soi qui s'exercerait sur le public et l'attirerait naturellement ? Ou bien réside-t-elle dans une vertu d'ensemble qui ferait que votre communauté lui doit d'être vénérée. Non certes. La seule raison réside dans vos rapports avec Dieu et dans le fait que vous appartenez à son entourage ; seule cette attitude, vous procurera une gloire et une autorité que ne purent atteindre les plus grands conquérants.
Comment pouvez-vous donc, Messieurs, renoncer délibérément à ce prestige venu de Dieu ?
Ce que nous espérons de vous, c'est de réunir vos efforts pour renforcer la croyance chez les musulmans, et surtout là où s'exerce votre ascendant ; vous fortifierez leur âme et ils vous donneront la foi de répondre à toutes les exigences de leur religion : ils pratiqueront ce qu'elle juge licite et s'écarteront de ce qu'elle interdit.
Vous agirez ainsi dans le but de faire recouvrer au peuple sa gloire, et celle-ci réside dans la religion, de sorte qu'en insufflant une vie nouvelle aux personnes et aux collectivités et si, grands et petits s'imprègnent des 'préceptes de l'Islam, nous aurons tout obtenu. C'est le moindre que nous puissions attendre de vous, Messieurs, et je ne crois pas que vous soyez incapables de l'accomplir. Quant à celui qui refusera d'exercer son prestige pour l'accomplissement de cette mission, Dieu le lui retirera.
Il serait indigne' de vous voir agir contrairement aux exigences de votre condition qui vous a valu cette autorité connue de vous-mêmes et du public. Je ne puis excuser votre communauté ni l'accuser en cas de défaillance. Je dis seulement que parmi vous il y a des despotes et d'autres qui le sont moins ; en général, vous êtes faibles par rapport à la puissance de vos ancêtres qui dormaient très peu la nuit, comme le dit le Coran.
Je vous rappelle ce hadith : Cette religion est née dans l'indifférence et elle y retournera. Actuellement, le monde semble retourner aux périodes de la préhistoire ; vous n'ignorez rien des événements qui se sont déroulés au cours des siècles qui ont suivi l'hégire. Quelle va être votre attitude devant les dangers qui vous menacent dans ce que vous avez de plus cher, c'est-à-dire votre religion ? Etes-vous prêts à les conjurer ou bien vous résigner ? Si pour vous l'alternative se ramène à la résignation, vous aurez failli à vos devoirs envers la Chari’a. Le Prophète, diriez-vous, prêchait la résignation. Oui, mais pas pour ce qui touche au prestige de la religion. La mission que vous remplissiez hier n'est pas celle qui vous incombe aujourd'hui. Hier, la religion était dans l'épanouissement de sa gloire, elle vous couvrait de son prestige ; aujourd'hui elle est étrangère ; elle laisse indifférents ses sectateurs ; elle est menacée et vous appelle à son secours. Pouvez-vous l'aider et l'assister ? Si oui, dépêchez-vous et faites vite et rappelez-vous ces paroles de Dieu : Si vous aidez Allah, il vous aidera et raffermira vos pas (119).
Mais son initiative n'aboutit pas. S'il parvient un moment à fédérer le maraboutisme contre les réformistes, il sent vite les jalousies de ses collègues inquiets des grands progrès de sa confrérie. Dans un dernier appel d'une allure magnifique, il laisse entrevoir une mélancolie fière et désabusée : Vous devriez donc, ô chefs de Zaouias, vous appliquer à faire de vos personnes et de vos affiliés des soufis purs de toute souillure. Sinon, nous et vous, craignons que le verset suivant ne nous soit appliqué : Vous encourrez la grande haine de Dieu, en ne faisant pas ce que vous prêchez. Votre situation alors que vous vous donnez des apparences soufistes, m'autorise à vous exhorter à un relèvement moral. Le peuple ne vient à vous que parce que vous devez lui faire connaître Dieu …. C'est par là que vous avez mérité autrefois et que vous êtes fiers de porter le beau manteau islamique parmi l'élite et le peuple. Qu'elle serait belle, cette tunique, si vous la portiez encore le Jour où la Vérité sera reconnue et où l'imposteur et l'homme sincère apparaîtront devant Dieu (120).
La dogmatique de Benalioua reste, sauf quelques déviations, dans la lignée ach’arite. Nul mieux que lui ne sut concilier la théocentrie rigoriste de l'Islam, avec un émanatisme indéfiniment poursuivi. Pourquoi modifier les dogmes ? Ils sont nécessaires aux hommes, enrichis d'une vénération séculaire, et, en tout état de cause, sans cesse vivifiés par l'interprétation ésotérique chère à Benalioua. Et d'ailleurs, n'évoluent-ils pas d'eux-mêmes ? Ils affirment l'éternelle continuité de Dieu dans la mutabilité des doctrines.
L'eschatologie
L'eschatologie coranique est, on le sait, anthropomorphique. C'est une eschatologie de désert, de sable stérile et brûlant, une eschatologie assoiffée de fraîcheur et de verdures, qui ouvre aux bienheureux un au-delà de sources vives, de houris, de voluptés corporelles (121). On a observé à cet égard : Il serait puéril de nier la nature sensuelle de ces jouissances, mais il serait au moins étrange de concevoir que des êtres doués d'un corps, n'aient point à accomplir toutes les fonctions inhérentes à leur nature, s'ils ne font aucun tort ni aucune violence à leur prochain. Ces besoins sont, en somme, la conséquence inévitable d'un organisme dont Dieu est le seul auteur (122).
Les Ach’arites et beaucoup de théologiens ne se sont guère élevés au-dessus d'une exégèse lourdement littérale. Les Moutazilites et les penseurs soumis aux traditions hellénistiques ont donné du Paradis et de l'Enfer musulman, des interprétations plus spiritualistes (123). Dans ses entretiens confidentiels, Benalioua commentait l'opinion hallâdjienne : il y a les Elus bien-aimés, gratifiés de la pleine volupté béatique, et le commun des croyants, les simples ritualistes, les humbles serviteurs du texte, qui retrouveront seulement le paradis d'Adam (124). Le Cheikh ajoutait que les premiers disparaissent dans l'irradiation divine, avec la jouissance ineffable d'être enfin réunis à la Substance infinie.
Il pensait, avec El Ach’ari, qu'il n'y a pas de peine éternelle (125). Il approuvait El Ghazali qui réduit le pont, fin comme un cheveu et plus tranchant qu'un sabre, d'où les réprouvés tombent dans l'Enfer, au symbolique sentier où, entre leurs tendances contradictoires, cheminent péniblement les justes (126).
Les obligations fondamentales du Croyant
Il y a, écrit-il, cinq obligations dans l'Islam : la chahada (profession de foi musulmane), la, prière, la dîme, le jeûne, le pèlerinage.
On voit que Benalioua, comme beaucoup de sunnites, ne retient pas la Guerre Sainte (127). L'Islam, dès son premier éveil, a soigneusement distingué entre les diverses formes du Djihad. Le prophète disait déjà au soir d'une razzia : Nous sommes revenus du petit djihad, pour entreprendre le grand djihad contre soi-même. Bref, la plus haute signification de ce terme, c'est la lutte contre nos propres passions, contre nos tendances à l'incrédulité et au polythéisme. Cheikh Abdou a rendu cette distinction familière. Son Rissalat al Tawhid, d'une inspiration à la fois si libérale et si orthodoxe, consacre tout un chapitre à démontrer que l'Islam s'est surtout propagé par des moyens pacifiques (128). Benalioua partageait ces opinions. Il haïssait, d'ailleurs, la violence. Il ne croyait guère à une conjuration européenne contre le Mohammadisme. Rien, disait-il, ne menace plus l'Islam que certains Musulmans.
La Chahada
Benalioua admet, contrairement à l'opinion de beaucoup de théologiens classiques, que la Chahada peut être, à défaut de l'arabe, dite dans une autre langue. Le responsable, écrit-il, doit témoigner qu'il n'y a d'autre Dieu que Dieu et que Mohammed est L’envoyé de Dieu, en langue arabe, si cela lui est possible. Sinon, il prêtera le même témoignage dans une autre langue, car le but en cela est la reconnaissance de l'Unité de Dieu et de la mission de Mohammed…. (129).
Le Cheikh nous avoua ne voir aucun inconvénient à la traduction du Coran en français, voire en berbère. Quelle hardiesse ! le Coran est un livre révélé, et dans la langue de Dieu. Il y a même toute une science de la récitation, qui règle l'articulation consonantique, le rôle des gutturales, la nasalisation, la durée de la pause après chaque verset (130). Et l'on se souvient des furieuses polémiques qui accueillirent la traduction du Coran en langue turque. L'Université d'El Azhar nomma une commission d'Oulémas pour élucider le problème. Après de longues délibérations, on émit l'avis que la traduction explicative du sens du Coran est permise, à la condition que cette traduction ne prenne pas le nom du Coran tout court. Mais la reproduction du Coran mot pour mot n'est pas permise … (131).
La prière
C'est ici que Benalioua a apporté au malékisme algérien certaines dérogations (132).
La prière, écrit-il, est considérée comme la parole de l'homme adressée à Dieu (133). Mais elle doit être un élan du cœur. Benalioua proscrivait le formalisme ritualiste qui a remplacé, pour beaucoup de Musulmans algériens, la fraîche spontanéité de l'oraison. Il estimait, avec Halladj, que les rites du culte ne sont pas l'essentiel de la religion ; ils en constituent les moyens, ce sont les instruments que Dieu nous fournit pour atteindre aux réalités (134). La religion, disait-il, n'est qu'un guide (135). La prière n'est pas un mimétisme sans pensée. Il faut penser et sentir Dieu. L'élément capital, c'est la présence attentive du cœur, le hodour al qalb de Ghazali (136). Mieux vaut, concluait le Cheikh, une oraison sans génuflexion, qu'une génuflexion privée d'âme.
Les canonistes algériens reprochent à Benalioua ses infractions au formalisme traditionnel :
a) Et d'abord, il ne parle pas de la Sutra. ..... Le fidèle s'assure qu'autour de lui le sol n'est point souillé et qu'il peut y accomplir valablement les rites de la Prière : il limite son enceinte sacrée en fichant à terre devant lui sa lance, disent les anciens textes, ou simplement en y plaçant tout objet bien visible : c'est en deçà de ce point qu'il posera son front sur le sol dans la prosternation. Si un être humain ou un animal passait dans cet espace consacré, durant sa prière, celle-ci serait nulle (137). Telle est la Sutra. Benalioua n'en fait mention nulle part, bien qu'il y satisfît personnellement.
b) Il n'est pas assez rigoureux quant à l'heure des cinq prières obligatoires. C'est ainsi qu'il admet la validité du Dohr jusqu'au moment de l'âsr (138). Il écrit, d'autre part : Quel que soit le moment que le responsable ait choisi dans la latitude qui lui est laissée, il est considéré comme ayant fait ses prières en leur temps (139). Or, l'horaire de l'oraison a été très soigneusement fixé.
Et il y a là beaucoup plus qu'un scrupule de minutieuse liturgie. De peur que les prières musulmanes, coïncidant avec un phénomène solaire, soient prises pour des actes d'idolâtrie à l'adresse du soleil, on a prescrit aux fidèles de ne commencer leurs oraisons du Sobh et du Maghreb que quelques instants après le lever et le coucher de l'astre. De même pour le Dohr…. (140). Sans doute, admet-on pratiquement un certain délai pour la prière ; mais les rigoristes reprochent à Benalioua d'avoir été trop libéral à cet égard et d'autoriser ainsi la confusion des salats dans le temps.
c) Benalioua a démenti plusieurs fois le fait que, pendant la prière, ses disciples se tournent vers Mostaganem et non vers la Mecque comme le veut la tradition musulmane. Il a lui-même, dans son Guide, insisté sur l'obligation de regarder dans la direction de la Ville sacrée (141). II est cependant prouvé que beaucoup de ses Khouanes, ceux du département de Constantine notamment, s'orientent pour prier vers Mostaganem (142). Et Hassan Ben Abdelaziz, n'écrit-il pas en toutes lettres, dans son apologétique alaouite : Mostaganem est devenue la Qibla pour les pèlerins (143).
d) La tradition malékite algérienne a soigneusement réglementé les poses successives du croyant durant la prière. Il doit réciter la Fatiha debout, les mains allongées. Or, et c'est sur ce point qu'il a été le plus vivement attaqué, Benalioua prescrit de placer les mains sur la poitrine, tenant avec l'index et le pouce de la main droite le poignet de la main gauche (144). Il conseille même le croisement des bras. C'est là une pratique des Hanéfites et le Cheikh a dû se défendre, pour légitimer son attitude, dans son livre Nour El Atmid Fi ouad’ El yed ala El yed. On lui a reproché de pratiquer le qabd (qui consiste à saisir la main gauche de la droite dès le début de la prière), aussitôt après la formule sacramentelle Allah Akbar, abandonnant ainsi le sadl par lequel on ramène les bras dans le sens vertical (145). Quoi qu'il en soit, la plupart des affiliés de Benalioua croisent les bras sur la poitrine avant la première rak’a (146).
Aucune innovation quant à la dîme (Zakât), au jeûne et au pèlerinage (Hajj) (147). Mais le véritable croyant, suivant Benalioua, ne doit pas perdre de vue que ces obligations enveloppent un sens mystique secret. Le jeûne, c'est l'extinction des désirs humains pour mieux recevoir Dieu, le dépouillement psychologique qui permet de recueillir une parcelle du souffle divin. Le pèlerinage, c'est l'itinéraire vers l'Un, avec ses rites consacrés qui comportent tous une signification symbolique. Aller à la Mecque est louable disait le Cheikh ; mais c'est surtout le voyage de l'esprit vers la maison d'Allah qu'il faut réaliser. C'est l'ihram de la pureté qu'il faut revêtir. C'est le péché qu'il faut fuir, comme on fuit préci-pitamment d'Arafat. Et le Zem-Zem n'est que le puits de la Vérité éternelle où l'âme viendra toujours s'abreuver.
Le Christianisme et Benalioua
Une importante question reste à résoudre : celle de l'adhésion de Benalioua au mystère chrétien de la Trinité. Suivant un dessein qui lui est attribué, tant par cer-tains Catholiques que par ses ennemis indigènes, Benalioua songea à préparer une entente entre le Christianisme et l'Islam, en demandant au premier d'abandonner, ou du moins d'interpréter le dogme de la Trinité. Le programme fut vivement discuté dans un Congrès, au sujet duquel la Semaine Religieuse d'Oran écrivait : Ce Congrès, est l'indice d'un esprit nouveau qui peut rapprocher du Catholicisme les Musulmans, ou les en éloigner, selon la direction qui sera donnée à ces assemblées et à d'autres réunions du même caractère (148).
On savait, d'autre part, qu'en visitant ses affiliés du département de Constantine, le Cheikh avait révélé son admiration pour l'Evangile, et manifesté l'intention de le faire traduire en arabe vulgaire pour le divulguer dans les douars (2149). On signalait aussi ses relations amicales avec certains ecclésiastiques. L'un de ses critiques les plus acharnés blâma l'usage de l'encensoir dans les cérémonies aliouiennes, et le fait que les Khouanes du Cheikh tiennent ostensiblement le chapelet à la main, au lieu de le porter suspendu sur la poitrine (150). En même temps, les néo-wahabites algériens l'accusaient, toujours à propos du chapelet, de propager là une bid’a (innovation) non prévue par le Prophète (151).
Il est, en somme, arrivé à Cheikh Benalioua la même aventure qu'à Ghazali à qui on a, de nos jours, attribué, un peu précipitamment sans doute, l'acceptation de la Trinité chrétienne. M. Louis Massignon, se référant à un manuscrit de Constantinople dont il a publié l'analyse et des extraits caractéristiques, montre que cette assertion repose sur un blocage intentionnel et rusé de citations par le jacobite Ibn Al Tayeb (152).
Inutile de rappeler la condamnation formelle de la Trinité prononcée par le Coran (153). La Trinité est une forme du chirk. C'est l'association d'un compagnon à Dieu, une modalité du polythéisme. Ce n'est pas une Unité, c'est un tri-théisme. Si, comme l'a constaté M. Bjorkman, le concept chirk n'apparait guère dans les sourates de la période mekkoise, il va ensuite en s'accentuant dans le livre sacré (154). L'Unité divine, vidée de toute hypostase, est la pierre de touche de l'Islam. L'évolution de ce concept dogmatique primitif, telle qu'elle apparaît dans le hadit, a conduit à flétrir comme chirk non seulement l'altération extérieure de la foi à l'unité de Dieu, mais encore toute espèce de culte qui n'est pas une fin en soi (155). La Chahada affirmation de !'Unité divine, n'aurait d'autre sens que la négation explicite de la Trinité (156).
Le Cheikh Benalioua fut, dès lors, inculpé de la plus grave hérésie de l'Islam. Bien qu'il s'en soit âprement défendu et qu'il ait toujours excipé de son monothéisme, nous avons tenu à consulter l'un de ceux qui l'ont le mieux connu et avec qui il eut d'amicales et longues controverses. Nous donnons un extrait de la lettre qu'a bien voulu nous adresser le Père Giacobetti, des Pères Blancs.
Saint-Cyprien (Algérie), le... mars 1936.
..... Je vous dirai ce que j'ai eu à discuter avec le Cheikh Benalioua avec lequel j'ai eu d'excellentes relations, comme avec tous les chefs de zaouias que j'ai rencontrés sur mon chemin.
C'était au mois de juillet 1926. Appelé à Louvain, pour une conférence sur les confréries religieuses musulmanes, je rencontrai le Cheikh Benalioua qui, lui, se rendait avec plusieurs foqaras de sa confrérie à l'inauguration de la mosquée de Paris.
Assis sur une peau de mouton, il se reposait sur le pont des secondes du bateau qui nous transportait à Marseille. Nous causâmes longuement et amicalement. Le Cheikh me montra un ouvrage qu'il préparait sur l'entente entre Français catholiques et musulmans. Dans ce but il avait fait deux collections de textes. La première renfermait les textes du Coran qui parlent de tolérance et de bonté envers les contradicteurs de Mohammed, au début de sa mission, lorsqu'il essayait d'attirer à lui juifs et chrétiens. Je lui demandais comment il interprétait le verset du sabre qui abroge tous ces versets. Il ne sut que me répondre.
Dans la seconde, il avait réuni tous les témoignages des auteurs savants et philosophes européens qui ont rendu à l'Islam un tribut d'admiration. On sait combien sont précieux, aux yeux des musulmans si pauvres en preuves de leur religion, ces éloges portés 1- par des étrangers en sa faveur.
Il me demanda si je ne pouvais pas collaborer avec lui pour lui traduire en français ces différents textes. J’acceptai en principe.
Pour terminer notre conversation amicale, le Cheikh me demanda si les chrétiens ne pourraient pas s'entendre avec les musulmans pour ne former qu'une seule religion (157). Il me dit : Renoncez au mystère de la Trinité et à celui de l'Incarnation. Plus rien ne nous séparera. En effet (c'est le P Giacobetti qui parle), les musulmans, dans leur formule, nient explicitement la Trinité : Il n'y a de Dieu qu'Allah signifie explicitement d'après tous les savants de l'Islam : Il n'y a pas trois personnes en Dieu. L'Islam feint de croire que nous admettons trois Dieux et que nous sommes polythéistes. Rien de plus faux. Le Dieu unique de l'Islam, c'est la négation explicite de la Trinité.
Par voie de conséquence, ils nient la divinité de Jésus-Christ, que nous croyons être le Fils de Dieu fait homme. Pour l'Islam, c'est un simple serviteur de Dieu. Ses miracles éclatants ne comptent pas à leurs yeux pour prouver sa divinité, alors que Jésus ne les a faits que dans ce but bien spécifié.
Je répondis à Benalioua que s'il voulait avoir cette paix avec les chrétiens, il n'avait pas à leur demander de se suicider. Car c'est cesser d'être chrétien que de renoncer aux deux principaux mystères de leur religion.
Il me répondit par cette explication ingénieuse : Mais les Juifs de l'Ancien Testament ne croyaient pas explicitement à la Trinité et, pourtant, ils étaient dans la véritable religion.
Oui, répliquai-je, ils n'avaient pas la notion explicite de la Trinité, mais ce mystère a bien des points d'appui dans la Bible et jamais les Juifs de l'Ancien Testament ne l'ont nié comme le font les musulmans. Les faits et les preuves de l'Evangile témoignent avec la dernière évidence que Jésus s'est donné comme Fils de Dieu et que le Saint-Esprit s'est manifesté d'une manière éclatante. Nous nous quittâmes bons amis.
Le Cheikh tint compte de notre conversation et en parla dans ses écrits. Il n'avait pas oublié le passager qu'il avait rencontré sur le pont d'un bateau ...... (Fin).
Ce témoignage est irrécusable. Benalioua, loin d'adhérer à la Trinité, en demandait au contraire l'abandon au christianisme. La vérité est que le Cheikh nourrissait, à l'égard de toutes les religions, une avide curiosité. Il semblait avoir, des données scripturaires, voire de la tradition patristique, des notions assez étendues. Il goûtait particulièrement l'Evangile de Jean et les Epitres pauliniennes. Son sens métaphysique, fort délié, lui permettait de concilier le concept de pluralité avec celui de l'Unité des trois personnes dans une identité consubstantielle. II admettait la possibilité conceptuelle d'un Dieu. Il la rejetait toutefois. Mais sa compréhension fit croire à son adhésion.
Il n'en reste pas moins qu'il fut toute sa vie comme beaucoup de mystiques musulmans profondément troublé par la hantise de Jésus. Les Evangiles lui étaient familiers. Il s'était, au cours de patientes méditations, nourri de leur enseignement. Un jour qu'on analysait devant lui les conjectures de l'exégèse moderne, de Strauss à M. Guignebert, il révéla son dédain du criticisme religieux. Qu'importe, dit-il en substance, que l'Evangile de Jean soit ou non apocryphe et qu'on ne s'accorde pas sur les synoptiques ! Dieu n'a que faire de nos amusettes philologiques. La Révélation est bien obligée, pour se manifester, d'emprunter les meurs et le vocabulaire d'une époque. Elle a procédé d'abord par miracles (1) pour frapper les sens grossiers d'une humanité primitive. Aujourd'hui, ses interventions vont plutôt à l'âme. Et Benalioua s'avouait vivement impressionné par le cas d'Ernest Psichari, le petit-fils de Renan, parti du dilettantisme agnostique de sa génération pour aboutir à la Foi.
LA CONFRERIE
Une précision est tout d'abord nécessaire. La confrérie religieuse, de type oriental, n'existe pas en Algérie. Avec « de Neveu, et Brosselard », apparaissent les premières études sur les zaouïas et les congrégations, que ces auteurs assimilent aux établissements ou associations confessionnelles de la Métropole. Plus tard, avec « Rinn, Depont et Coppolani », la notion de confrérie se complique. On y incorpore le Soufisme d'où procéderaient les prémisses, la métaphysique, des Toroqs algériennes. On les convainc d'occultisme, d'ésotérisme, de panislamisme. Chaque Zaouïa devient, dans ce système importé d'Orient, un centre de conspiration xénophobe. Or, il n'y eut jamais en ce pays qu'un maraboutisme ramifié, qui s'est parfois organisé en associations, mais qui n'eut que de lointains reflets du mysticisme asiatique. Maraboutisme, d'une très riche hagiographie, mais sans préoccupations métaphysiques, engagé jusqu'à mi-corps dans la forte glèbe du Maghreb. Maraboutisme qui substitue au Dieu décharné de l'Islam des messages vivants de la Divinité. Maraboutisme qui canalise l'Idée et la rend sensible au cœur. Borné, par exemple, et tout utilitaire !
Tel fondateur d'un ordre nouveau, eût-il l'orthodoxie d'un Ach’ari, la divination pascalienne d'un Ghazali, sera moins estimé comme animateur d'une doctrine que comme fabricant d'un rituel. Mieux vaut, pour réussir, colorer un grain du chapelet, que de construire une apologétique hardie. Ici, Ghazali le subtil eût moins fasciné les foules que l'ignare Bou-Baghla. Et si Benalioua suscita des enthousiasmes délirants, ce fut moins par sa théodicée, que par son irradiation personnelle.
Le maraboutisme absorbe la confrérie, la purge de ses ferments orientaux. Il la berbérise, la filtre, la tempère, la cloisonne. Rien de cette pieuse méditation idéaliste qui se repaît, en Syrie, de la pensée d'un Abdelkader El Djilani. Mais la thaumaturgie, les cultes agraires, le naturisme ; pour tout dire, une religion de paysans, évidemment faciles au merveilleux, mais qui transposent dans la foi le réalisme rural de la race. Le Dieu champêtre prime tout.
Tel est le sens que nous donnons à la confrérie algérienne qui, dès la seconde génération, devient une simple association maraboutique, une gens groupée autour des descendants du fondateur.
LE CHOIX D'UN MAITRE
Il est indispensable, pour le Néophyte, de choisir un Maître doué de l'investiture divine.
En effet, pour parvenir à la contemplation de l'Essence, éviter les pièges diaboliques, le débutant a besoin d'un directeur spirituel, porteur de l'illumination. Suivant Margoliouth, Chadhili donnait à ses disciples la faculté de suivre un autre Cheikh (159). Mais il ne saurait y avoir d'individualisme dans la recherche de Dieu. Il y a, en effet, toute une patiente pédagogie théopathique, à laquelle le profès doit se plier, sous les ordres d'un chef expérimenté. Méthode théorique et idéale pour guider chaque vocation, en traçant un itinérarium mentis ad Deum, menant à travers diverses étapes psychologiques à la pratique de la Loi révélée jusqu'à la Réalité divine (160). Seul, Benalioua aurait pu être dispensé de cet apprentissage. Car s'il a eu un directeur spirituel, en l'occurrence Sidi Mohammed El Habib El Bouzidi, originaire de Mostaganem, c'est pour obéir à la règle. Comme nous l'avons expliqué, ce patronage est nécessaire et obligatoire, même pour ceux qui, au début de leur noviciat, peuvent atteindre les plus hautes cimes des connaissances religieuses et doués de l'illumination innée et exclusive (161).
Où le néophyte va-t-il chercher ce Maître spirituel ? Est-ce parmi les chefs des Zaouïas contemporaines ? Non. Bien avant les Néo-Wahabites, Benalioua et ses premiers affiliés ont fait une âpre critique des méthodes du soufisme algérien. Ils ont dépeint certains cheikhs vivant exclusivement sur le prestige de leurs ancêtres, oublieux des nobles devoirs de l'Islam, acharnés à des basses intrigues d'intérêts et insoucieux de spiritualité. L'avènement d'un Directeur spirituel qui continue la chaîne des saints, est le plus heureux des événements qu'on puisse saluer ; malheureusement, au lieu de rechercher sa compagnie, les chefs de zaouïa se sont écartés de cette obligation et se sont égarés dans d'autres voies ; ils ont succombé aux mauvais penchants de leur âme, sans vouloir comprendre les préceptes des saints défunts dont ils se réclament ; plus navrant encore, ils les ont déformés et par une volonté despotique, altéré les principes de leurs confréries couvertes à l'heure actuelle de leurs dépravations (162). Benalioua avait rapidement décelé l'évolution du soufisme algérien, vers une anthropolâtrie qui introduit dans l'Islam des cultes agraires et naturistes, des rites de magie, tout un folklore local fortement teinté de paganisme. Les marabouts, en effet, ont pu être et ils restent encore, çà et là, d'actifs agents du prosélytisme Mohammadien. Mais leur descendance, plus profondément enracinée dans la glèbe berbère, y a puisé des ferments d'individualisme religieux et ce goût invétéré du schisme qui caractérise le Maghreb. Jaloux de leur fief spirituel, les marabouts se révèlent hostiles à l'universalité d'une religion qui éteindrait leur prestige. Ils combattent les tentatives de rénovation et d'épuration qui mettraient leur primauté en échec. Et le véritable Islam n'a peut-être pas d'ennemis plus insidieux que ces saints locaux qui l'ont d'abord propagé, s'y sont installés, l'ont lentement désorientalisé pour le berbériser. Les marabouts ont désislamisé l'Islam (163).
Avec impertinence, ils imputent leurs pratiques ignominieuses à leurs pieux ancêtres, qui sont innocents et qui n'avaient cessé durant leur existence d'enseigner le bien. L'imam Sidi Ahmed Et-Tidjani, s'adressant aux générations de ses Khouanes, a dit : Sachez que Dieu, dans sa prescience et l'exercice de sa volonté, a voulu que les faveurs dont déborde sa bonté aillent à l'aréopage des saints de chaque époque. Celui qui court vers les vertueux de son époque, en vie, membres de l'auguste aréopage, quiconque recherche leur société et se réfugie en eux, reçoit par leur médiation partie de ces faveurs ; s'il s'écarte des vertueux de son temps, se contentant seulement des préceptes des saints défunts, il se met dans le cas du récalcitrant qui se détourne d'un Prophète contemporain, sous prétexte qu'il obéit aux lois des Prophètes antérieurs : celui-là encourt l'hérésie (164).
Un seul guide est possible à notre époque, l'unique dépositaire de l'Essence divine au XXe siècle. C'est l'illuminé par Dieu, la source des connaissances et des sciences mystiques, le pilier de la sagesse, l'auteur éprouvé de miracles, le détenteur du grand Nom et le seul capable de le révéler, Abou El Abbes Sidi Ahmed Ben Mostefa Ben Mohammed Ben Ahmed Ben Mohammed Ben El Hadj Ali, lequel était connu de son temps sous le nom de Benalioua (165).
Nous ne sommes pas de ceux qui se glorifient de servir un saint parce qu'il aura atteint à la perfection ou accompli des miracles et disposé de pouvoirs surnaturels. Nous disons seulement qu'il est l'unique de son temps, le seul directeur spirituel en vie, le seul qualifié pour initier ses contemporains (166).
L'histoire religieuse du Maghreb est pleine de ces vocations qui, par une étonnante loi d'équilibre, surgissent périodiquement, dans le temps et dans l'espace, comme si l'étroit réalisme de la race se libérait de la terre pour s'élancer vers le ciel. La Kabylie se paganise ; la vallée de la Seybouse oublie Dieu ; le bas Chéliff perd sa foi ; les montagnes de Boghari et la région de Mostaganem s'éloignent de l'Islam. Et l'on voit apparaître tour à tour Sidi Abderrahmane, Amar Bou Senna, Ben Tekouk, Cheikh Missoum, Benalioua, par une sorte de phénomène cyclique dont le rythme ne laisse pas d'être surprenant.
Encore faut-il s'imposer à la foule berbère, à la fois railleuse et crédule. Les apologistes de Benalioua s'y emploieront. L'histoire est remplie des révélations de ces fondateurs de Confréries qui appellent à Dieu et par le chemin mystique mènent à l'Union. Notre Cheikh Benalioua peut revendiquer en cela la plus large part. En effet, par sa grande science et par ses grandes vertus, il a obtenu, en un laps de temps très court, des résultats tels que beaucoup de ses disciples sont arri-vés à cet état de béatitude qu'on appelle EI Oussoul. Sa Confrérie étend, à l'heure actuelle, son prestige sur toutes les contrées ; ses œuvres guident et éclairent les gens de toutes les provinces et surtout l'Algérie et les pays voisins.
De tous les recoins, les pèlerins affluent en grand nombre pour recevoir, dans la retraite (Khaloua) l'initiation et se rafraîchissent dans la mer des réalités mystiques. Mostaganem est devenue pour ces pèlerins la kibla. Grâce à ces révélations, les infidèles se sont convertis en grand nombre à l'Islam. Au début de sa mission, notre Maître n'a-t-il pas déclaré : Le Prophète m'a dit, d'un langage clair : Je te fais triompher. Ses contradicteurs, è l'époque, lui avaient demandé la preuve de cette interpellation. Cette preuve, c'est la naissance, le développement et l'extension spontanée de sa Confrérie (167).
Mais cette ivresse d'apologétique ne suffit point. Encore faut-il que le Cheikh apporte ses titres de sainteté. Il convient qu'il justifie de la provenance de ses ondes spirituelles. C'est là qu'interviennent les appuis et la chaîne mystique qu'on a justement rapprochée de la chaîne dorée néo-platonicienne (168). La chaîne est double (silsila, chajara) (169). Elle tend à rattacher, comme cela se fait dans les hadiths, la chaîne des maîtres en mystique à l'enseignement direct du Prophète (170). Tous les cheikhs algériens ont soigneusement, anneau par anneau, forgé leur silsila.
Si l'on croit ses fervents, Benalioua aurait pu s'en dispenser. N'a-t-il pas directement reçu l'investiture divine ? C'est le Prophète lui-même qui l'a, de vive voix, chargé de sa mission (171). Qu'importe ! Hassan Ben Abdelaziz établit la double chaîne aliouienne. On constatera que si les prémisses spirituelles du Cheikh plongent dans le Derkaouisme et le Chadhilisme, le lignage diffère profondément de celui qui a été donné, pour ces deux confréries, par Rinn, Depont et Coppolani, et M. Odinot (172).
SILSILA El OUERD
Le Cheikh Sidi Ahmed Ben El Hadj Mostefa Benalioua, fondateur de l'Ordre, du Cheikh Sidi Mohammed Ben El Habib El Bouzidi, de Mohammed Ben Kaddour EI Ouakili, de Sidi Mohammed Ben Abdelkader El Bacha, de Abi Yaza El Mouhadji, du grand Maitre El Arbi Ben Ahmed Darkaoui, fondateur de l'Ordre des Derkaoua, de Sidi Ali El Jemmal, de Sidi El Arbi ben Abdallah, de Sidi Kassem El Khassassi, : de Sidi Mohammed Ben Abdallah, de Sidi Abderrahmane El Fassi, de Sidi Youcef El Fassi, de Sidi Abderrahmane El Majdoub, de Sidi Ali Sanhadji, de Sidi Brahim El Fahham, de Sidi Ahmed Zerrouk, de Sidi Ahmed El Hadrami, de Sidi Yahya El Kadiri, de Sidi Ali Ben Ouafa, de son père Sidi Mohammed Ouafa, de Sidi Daoud El Bakhli, de Sidi Ahmed Ben Attallah, de Sidi Bel Abbes El Morsi, de Sidi Abou El Hassen El Chadhili, fondateur de l'Ordre des Chadhiliya, de Sidi Abdeslam Ben Machich, de Sidi Abderrahmane El Attar El Zayyat, de Sidi Taqi Eddine El Fouqeir, de Sidi Fakhr Eddine, de Sidi Noureddine Abou El Hassan Ali, de Sidi Taj Eddine Mohammed, de Sidi Mohammed Chams Eddine, de Sidi Zinedine El Kazouini, de Sidi Ibrahim El Basri, de Sidi Ahmed El Marouani, de Sidi Saïd, de Sidi Saad, de Sidi Fath El Saoud, de Sidi Saïd El Ghazouani, de Sidi Bou Mohammed Jaber, de Sidi El Hassan Ben Ali Ben Abi Taleb, de notre Seigneur Ali Ben Ali Taleb, de notre Prophète Mohammed (§).
SILSILA El BARAKA
Sidi Chadhili, de Sidi Mohammed Ben Harazem, de Sidi Mohammed Salah Ben Benassar, de Sidi Chouaib Boumediene, de Sidi Abi Yaza Mimoun El Gharbi, de Sidi Ayoub Ben Saïd, de Sidi Mohammed Dinnour, de Sidi Abdeljalil, de Sidi Abdallah Ben Abi Bichr, de son père Sidi Abi Bichr El Djaouhari, de Sidi Abou El Hassan En-Naouri, de Sidi Siri Saqti, de Sidi Maârouf El Karkhi, de Sidi Daoud El Taï, de Sidi Habib El Ajami, de Sidi Mohammed ben Sirine, de notre Seigneur Anes Ben Malek, de notre Prophète Mohammed (§) (173).
LITURGIE ET RITUEL
Benalioua fut, comme la plupart de ses grands prédécesseurs, un habile psychologue. Sa propédeutique, subtile et insistante, témoigne d'un sens profond des réflexes mentaux. Il sait que nul ne s'improvise voyant, qu'il existe une pédagogie de l'extase, une méthode expérimentale pour conduire le néophyte au seuil du Divin. On est frappé des étroits rapports qui relient la liturgie de la plupart des Confréries aux exercices spirituels de Loyola. Les analogies sont telles que Muller trouve les origines de la mécanique ignatienne dans les ordres mystiques du Maghreb (174). En fait, dans un cas comme dans l'autre, il s'agit avant tout d'un rituel de répétitions, admirablement agencé pour amener l'exercitant à la pré-extase. Benalioua excellera, lui aussi, à cette savante stratégie des âmes. Et cet inspiré, expert à extraire d'un texte la plus haute spiritualité, ce Maître d'une mystique que sous-tend une métaphysique raffinée, n'hésitera pas à faire appel aux cris, aux danses, à la gesticulation frénétique pour ouvrir à ses disciples la vision du Divin. Nul plus que lui n'a pratiqué la mnémotechnie de l'Absolu.
Mais précisément, c'est ici qu'interviennent les blâmes canonistes. Benalioua fut frappé de retentissantes excommunications. Sa position, entre le maraboutisme et le néo-wahhâbisme manarien, devint malaisée à tenir. Il ne la conserva qu'à force de casuistique et de prestige personnel.
De tout temps, les orthodoxes ont attaqué les pratiques confrériques, leurs exercices surérogatoires et leurs dispenses, leurs costumes spéciaux (coiffures caractéristiques avec bandes de couleurs), leur usage des excitants (café, hashish, opium) et leurs jongleries, leurs croyances en l'efficacité surnaturelle du talqin et de la baraka, leur soumission aveugle à l'illuminisme individualiste et anarchique d'un supérieur irresponsable (175). Toutefois, les théologiens sunnites n'ont jamais définitivement condamné les Soufis ; leurs excommunications ont surtout frappé l'école moniste d'lbn Arabi (176). Or, Benalioua s'y rattache. C'est dire qu'il n'a pas été ménagé.
Le Dikr
Au début de son initiation, le novice doit réciter le Dikr El Aam dont voici la formule :
Une fois : Je me réfugie en Dieu contre Satan le lapidé ;
Trois fois : Au nom de Dieu le Clément et le Miséricordieux ;
Une fois le verset : Le bien que vous présentez à vos âmes, vous le retrouverez en Dieu plus grand et plus considérable. Invoquez la clémence divine. Certes, Dieu est clément et miséricordieux ;
Cent fois : Je demande pardon à Dieu (177).
Cent fois : la prière sur le prophète « dite Salat Omiya » …
Cent fois : La illaha illa Allah….
Le Dikr doit être psalmodié d'une voix harmonieuse. Benalioua a toujours attaché une extrême importance à la douceur musicale de la prière. Il s'entourait de tolbas à la voix harmonieuse (178). Il prétendait que dans la musique flottent les âmes trépassées. Elle est, disait-il, la voix qui nous les restitue. La mélodie ne fut jamais dans sa pensée que le mystérieux appel des Morts.
Dans certaines régions, on termine les litanies par ces mots : Et le Cheikh El Alaoui est le plus grand du monde (179).
Comme beaucoup de ses collègues, Benalioua préconise l'emploi intensif du mot Allah, en insistant sur la dernière syllabe qui doit être indéfiniment prolongée (180). Le Dikr, dit Benalioua, du nom de l'infini Allah, est comme le va-et-vient qui affirme la communication de plus en plus complète jusqu'à l'identité (sans doute l'identification) entre les lueurs de la conscience et les éblouissantes fulgurations de l'Infini (181). M. Abdoul-Karim Jossot l'a bien compris : Le Cheikh des Allaouïas ne propose aucun intermédiaire ; par sa méthode, chacun a la faculté d'ascendre l'ultime sommet et cette méthode consiste simplement à répéter Allah ! Allah ! (182). Puis hou ... hou ... hou ... (lui). Il est curieux de rappeler ici l'une des prescriptions plotiniennes pour arriver à Dieu. Lorsque vous prononcez son Nom, ou lorsque vous pensez à lui, quittez tout le reste ; faites abstraction de tout. Laissez ce simple mot : Lui. Ne cherchez rien à ajouter. Mais demandez-vous s'il ne reste rien que vous n'ayez encore écarté de Lui, dans la pensée que vous en avez (183).
M. Othman Ben El Mekki, professeur à la Zeitouna de Tunis, a vivement critiqué ces pratiques (184). Le fait de ne retenir que la dernière syllabe du mot Allah, de répéter hou... hou... hou... est un gémissement qui n'a aucun rapport avec l'invocation divine (185). Benalioua a répondu dans son livre Allah (186) que son Dikr est tiré du Coran lui-même.
Musique et danses
M. Othman ben EI Mekki reproche également à Benalioua l'abus qu'il fait de la musique et de la danse dans ses exercices liturgiques. Le Cheikh a écrit : On a posé la question suivante à l'imam Abou Hanifa : Que dites-vous des soufis qui s'extasient au son de la musique ? Ils sont, répondit l'imam, parmi les hommes de Dieu qui entreront au Paradis avec leurs timbales et leurs flûtes. Le chroniqueur de l'époque qui a rapporté ce fait ajoute : Dans notre ville, il est une secte dont les adeptes accompagnent leurs litanies par des danses, jusqu'à tomber évanouis ; l'imam n'a jamais réprouvé leurs actes ; il leur rendait visite et les comblait de faveurs ; il répondait à toutes leurs questions.
Un jour, leur chef lui dit : Que dites-vous de certains musulmans qui se réunissent pour se livrer à des exercices liturgiques et invoquer à haute voix la protection des esprits du matin au soir ? Sont-ce des hérésiarques ? L'imam (Abou Hanifa) lui répondit : Nul n'a le droit de douter de la foi d'un musulman, même s'il commet un péché mortel. Or, ces pratiques ne constituent pas un péché mortel (187).
Afin de répondre aux critiques de M. Othman ben El Mekki, Benalioua a multiplié les références. Car s'il n'était pas l'homo juridicus que forme souvent l'Islam, s'il dédaignait les controverses et la jactance des docteurs, il savait au besoin s'enfoncer en plein fourré scholastique.
Pour justifier les gémissements, les hurlements liturgiques, l'évanouissement subit de certains fidèles, il n'est, dit-il, que de se reporter au Coran. Dieu a dit : les croyants ce sont ceux dont le cœur frémit à l'invocation de Dieu. (Sourate VIII, verset 2). On ne peut donc blâmer un récitant qui gémit. Le khalife Omar, ajoute-t-il, entendit un homme réciter ce passage du Coran : Certes le châtiment de Dieu est certain. Le khalife poussa un grand cri et tomba évanoui. Benalioua cite encore le cas de Chafi’i : l'imam entendit un homme dire ce verset du Coran : Et ce jour-là, ils ne pourront proférer un mot. L'imam tomba évanoui.
Le Cheikh invoque encore un hadith suivant lequel parmi les musulmans, il y a un groupe qui entrera au Paradis en sifflant comme les oiseaux (188).
Pour la danse, Benalioua argue du précédent des Abyssins qui entrèrent dans la mosquée le jour de l'Aïd, en dansant et en chantant selon leurs coutumes. Le Prophète (§) était présent et, derrière lui, Aicha les regardait curieusement. Une fois leurs danses terminées, Mohammed les reçut et ne leur adressa aucun reproche (189).
Ajoutons que, malgré une tradition suivant laquelle le Prophète approuvait l'usage des chants et des instruments, la doctrine pure de l'islamisme est pourtant bien l'interdiction de la musique (190).
Il est toutefois recommandé, et par le Prophète lui-même, de moduler parfaitement le Coran. Mais qui établira une distinction nette entre la modulation et le chant ? Et Mohammed n'avait-il pas son ménestrel favori, Hassan Ibn Thabet ? (191). La musique, nous dit un jour Benalioua, n'a pas les arêtes sèches du mot. Fluide et coulante, comme un ruisseau, elle porte l'homme à Dieu.
La Khaloua
L'une des principales innovations de Benalioua, celle par laquelle il s'est détaché des Derkaoua, c'est d'avoir repris en Algérie le rite de la Khaloua (retraite dans un ermitage, dans une salle isolée), usage autrefois pratiqué par la Confrérie turque des Khalouatis (192).
Le néophyte se retire dans une cellule. Là seulement peut s'obtenir l'étincelle divine. La Khaloua, dit le Cheikh, est une cellule dans laquelle je place le récipiendaire après qu'il m'ait juré de ne pas en sortir, s'il le faut, avant quarante jours. Dans cet oratoire, son unique occupation est de répéter, sans arrêt, jour et nuit, le nom divin, en prolongeant chaque fois la dernière syllabe jusqu'à épuisement du souffle. Auparavant, il doit réciter soixante-quinze mille fois la for-mule de la Chahada. Durant la journée, il observe un jeûne rigoureux qu'il rompt seulement le soir.
Certains foqaras obtiennent l'illumination soudaine, au bout de quelques minutes ; il en est d'autres pour qui cela nécessite plusieurs jours ; d'autres, plusieurs se-maines. Je connais un faqîr qui l'attendit huit mois. Chaque matin, il réintégrait la Khaloua en me disant : mon cœur est encore trop dur. Finalement ses efforts furent récompensés (193). Pendant qu'il est en cellule, le néophyte doit répéter le nom d'Allah jusqu'à ce que le sommeil vienne, sommeil rempli, disent les fervents, de visions divines (193). En fait, la durée et les, modalités de cette retraite sont très variables : à Djelfa, elle dure sept jours, et pour les plus ardents, une quinzaine (194) ; dans l'Est, le minimum est également de sept jours (195). Dans la région de Bône (Bejaïa), après avoir dit soixante-quinze mille fois la Chahada, l'impétrant répète pendant trois jours le mot Allah (196).
A la suite de ces pieux exercices, l'affilié perçoit intuitivement le Divin. Certains assurent avoir, dans la cellule, contemplé les personnages les plus fameux de l'Islam (197). Il en est même qui ont vu le Prophète et Dieu en personne (198). Il convient d'ajouter que Benalioua fut fortement soupçonné, à juste titre, selon nous, de pratiquer l'hypnotisme dont il avait pénétré les secrets durant son séjour en Orient (199). D'après une autre thèse, au sortir de la cellule, le disciple est pourvu de l'image d'une circonférence, qu'il doit fixer attentivement jusqu'à ce qu'une vision s'ensuive (200).
La Hadra
Voici, enfin, un tableau de hadra aliouienne : J'allais, en compagnie de mon Maître et Ami (Benalioua), flâner parmi mes coreligionnaires : tous savaient que j'étais l'hôte de leur chef ; tous voulaient m'embrasser. Mes bons frères (les disciples) m'étouffaient ; jamais mes lèvres ne s'étaient posées sur tant de barbes rudes ; jamais mes joues n'avaient été baisées par tant de bouches masculines. Mais ces étreintes étaient tellement sincères, je me sentais entouré de tant d'amour que je n'éprouvais aucun dégoût à serrer contre moi le burnous loqueteux d'un bédouin famélique .... Vint la nuit : des lumières s'allumèrent ; les foqaras (affiliés) se groupèrent en une seule assemblée et entonnèrent leurs chants dont la plupart des refrains ramenaient le message du Prophète : La illaha illa Allah ... J'ai balancé le torse de gauche à droite et de droite à gauche pour suivre le rythme de la qasida que, sur un mode aigu, braillait un gosse d'une dizaine d'années et je me suis surpris à chantonner le refrain clamé par trois mille gosiers... Sur un signe de Si Ahmed Benalioua, tous les foqaras se turent brusquement et se mirent debout. Beaucoup d'entre eux se débarrassaient de leurs burnous et les jetaient autour de nous. Bientôt nous fûmes isolés par une muraille de vêtements. Pressés les uns contre les autres, chacun tenant dans sa main la main du voisin, fléchissant légèrement les genoux, les foqaras commencèrent le Dikr. De milliers de poitrines s'exhalaient des sons farouches, sauvages, terrifiants. Une sorte d'aspiration, qui semblait tirée des ventres, était suivie d'un renvoi rauque, et cela commençait sur un rythme à deux temps, s'accélérait .... Parfois, un cri jaillissait de la foule haletante ; c'était un fidèle qui tombait, terrassé, ne pouvant supporter la puissance de la syllabe qu'il proférait, le hou final de Allahou ..... J'étais entouré d'une masse compacte de plusieurs milliers de bédouins exaltés qui poussaient toujours, avec une frénésie de plus en plus véhémente, leur terrifiant Hou, ouh !... Le Cheikh leva la main. Comme par magie, l'incantation s'arrêta net (201).
LA BÉATITUDE ALIOUIENNE
Nul, plus que Cheikh Benalioua, n'a respecté et vénéré les textes sacrés. Mais avec son système de lecture allégorique, avec sa théorie des interprétations hiérarchisées, il condamne l'étroit dogmatisme de la lettre, réservé à ceux qui se limiteront toujours aux mécaniques d'un rituel. Que peut être, pour un Soufi, le scripturaire, sinon une grossière traduction de l'Intraduisible ? Que valent les mots, même ceux de la langue arabe pour formuler l'informulable ? L'orthodoxie pratique une exégèse charnelle qui ramène à la terre le sublime des versets. Dans la pensée de Benalioua, le texte est coextensif à l'illumination. Il doit s'étirer, s'élargir, se transcender, suivant les besoins du cœur. Mais ces besoins, la raison pure ne les assouvira pas. La doctrine aura beau s'infléchir vers une métaphysique d'intuition, elle ne donnera jamais la perception immédiate et intense de Dieu. Elle restera un mince quadrillé, une construction linéaire, que déborde à chaque minute le flux incessant de la Vie.
Pour atteindre Dieu, une méthode est nécessaire. Cheikh Benalioua l'a définie. Il en a fixé les stations. On y parvient en franchissant trois étapes : on franchit la première par des prières et des exercices liturgiques dans l'abstinence et la prière. Au cours de la deuxième étape, on s'apprête à franchir les stations ; c'est à ce moment qu'on doit approfondir les sciences mystiques. Au cours de la troisième étape, on se laisse absorber insensiblement en Dieu. La première étape est une période d'épreuve ; elle comporte le Dikr El Aam .... La deuxième étape permet de voir les lumières ; elle comporte le Dikr El Khas. Au cours de la troisième étape, l'âme du Mourid se remplit de l'Essence divine.
Pour arriver à Dieu, notre Confrérie trace donc trois voies : purgative, illuminative et unitive. Les exercices de la première permettront à l'âme de se débarrasser de ses imperfections. Alors s'ouvrira devant elle le chemin mystique au bout duquel elle atteindra les stations de la perfection et de l'union avec Dieu ... Le Dikr EI Khas appartient seulement au cercle des initiés. Là il n'y a ni méditation, ni examen de conscience. L'initié doit s'abandonner au délire. L'Essence divine Se révèle à lui sous la forme du grand nom qui est le vocable Allah. C'est le Cheikh qui le lui révèle dans un centre lumineux. Dans son délire, le Mourid doit suivre les conseils de son Directeur pour éviter de se précipiter dans les abîmes de la métaphysique (202).
Résumons l'expérience d'Ibn Arabi dont, à maintes reprises, Benalioua s'est proclamé le continuateur. J'assiste à l'entrée de l'Emir à Fez. Je le regarde et perds soudain conscience de tout ce qui n'est pas l'Emir. Dans cet état, note Ibn Arabi, rien n'existe plus, sauf ma vision de l'Emir et le sentiment que j'en ai. Tout le reste s'est aboli. C'est la nuit des sens. J'arrive ainsi à ne plus appréhender le réel, pour ne voir que l'Emir et l'image subjective que j'en garde. Il ne me reste qu'à anéantir ma représentation personnelle. Alors je suis l'Emir lui-même. Je suis Dieu (203).
Car Dieu ne se pose qu'en fonction de moi-même. Je suis son support, et, dans un certain sens, je le conditionne. L'homme, dit Ibn Arabi, réunit en lui la forme de Dieu et la forme de l'univers. Lui seul révèle l'essence divine avec tous ses noms et attributs. Il est le miroir par lequel Dieu est révélé à lui-même et, par là, la cause finale de la création. Nous-mêmes, nous sommes les attributs au moyen desquels nous représentons Dieu ; notre être n'est qu'une objectivation de l'être divin. De même que Dieu nous est nécessaire pour que nous puissions exister, nous le sommes à Dieu, pour que son essence puisse lui être manifestée (204).
Par son immersion en Dieu, Benalioua devient toutes choses et voit toutes choses en autrui. Tout est partout. Tout est tout. Chaque être est Tout (205). En un clin d'œil, s'écartent tous les voiles qui masquent les éléments mystérieux (206). Nous saisissons ici la conjonction, fréquente au cours des siècles, de la pensée alexandrine et dû mysticisme musulman. Du moment que l'existence des choses créées n'est autre que l'essence même de l'existence du Créateur (207), il y a une interversion de l'homme et de Dieu. Et s'il descend jusqu'à moi, par une série d'émanations indéfiniment dégradées, je peux remonter jusqu'à lui, au moyen d'une gamme d'ascensions dont il sera la dernière étape. Il est à peine besoin de souligner les analogies de ce système avec les leçons sténographiées (208) des Ennéades.
Un scrupule, tout occidental, disons-le, restait à Cheikh Benalioua dans son intuition divinatrice. Il se demandait parfois, devant ses intimes, si la frénésie extatique n'est pas un phantasme et si elle ne représenterait pas, en dernière analyse, la projection irrésistible de l'âme. Là où je crois sentir l'Unique, ne vais-je pas me retrouver moi-même? Ne dois-je point, pour le saisir, dématérialiser mes sensations ? Et suis-je assuré d'y parvenir? Il faisait une sévère critique de sa préhension du Divin. N'ayant cependant qu'une information rapide des thèses actuelles qui reprochent à l'aristotélisme notre construction trop rationaliste de Dieu, il observait que nous conférons à l'Etre suprême des attributs exactement calqués sur les nôtres. Intelligence, volonté, justice, c'est notre lot humain. Mais nous le conférons, à Dieu. Et l'ascèse, qui est un délire silencieux qui nous approche de l'Un, ne serait-elle pas la suprême illusion ? Percevons-nous l'Essence pure ou une création de notre intellect, de nos sens, même quand nous les avons vidés de toute matérialité ? Benalioua, à travers l'immense écart des temps et des formations mystiques, s'est posé, vers la fin de sa vie, le tragique problème de Jean de la Croix. Celui qui doit arriver à s'unir en une union avec Dieu, ne doit pas aller, en s'appuyant au goût, au sens, à l'imagination, mais en croyant son être, lequel n'est perméable ni à l'entendement, ni à l'appétit, ni à l'imagination, ni à aucun autre sens et, en cette vie, ne se peut savoir en sa vraie nature ; bien au contraire, le plus haut que l'on puisse ici sentir, entendre, goûter de Dieu est infiniment distant de ce qui est Dieu et du fait de le posséder purement (209).
Telle est la cime de la méditation aliouienne. Dieu ne peut être atteint que par la purgation intellectuelle, sentimentale, sensorielle. Mais qui garantit la perfection de ce dépouillement ? Dès lors, l'ascèse, si poursuivie soit elle, n'est-elle point en péril ? Il restera toujours un doute, une angoisse, un reflet d'anthropolâtrie. Et poussé à ses limites suprêmes, le système ne sera plus qu'un nihilisme inquiet, discernant après la faillite de l'intelligence, l'impuissance de l'intuition à saisir le Divin.
DÉVELOPPEMENTS DE LA CONFRÉRIE
La confrérie de Cheikh Benalioua s'est développée, après 1920, avec une incomparable rapidité. Elle a séduit des intellectuels français, dont M. Abdelkarim Jossot, de qui nous avons donné de copieux extraits (210). Ces disciples ont vu, en Cheikh Benalioua, une tragédie de la pensée moderne, la réaction de l'âme contre une civilisation mécaniste qui, oublieuse du cœur, réduit le monde à une froide géométrie. Les profès, souvent d'une haute culture et d'une indéniable probité spirituelle, appartiennent à cette catégorie d'esprits, anxieux d'évasion et de régénérescence métaphysique qui, vers 1923, demandèrent à l'Orient d'impérieuses raisons de rêver et de vivre. Benalioua fut un de leurs maîtres. Sa révélation soudaine les illumina. Ils le suivirent d'enthousiasme, heureux d'une pensée qui, dédaignant les lourds dossiers de l'intelligence, atteignait d'un bond le Divin. Et il reste pour eux l'un de ces mages qui portent dans leur enseignement les souffles lointains de l'Asie. On peut, écrit M. Frithjof Schuon, comparer la rencontre d'un de ces messagers à ce que serait, par exemple, en plein vingtième siècle, celle d'un Saint du moyen-âge ou d'un patriarche sémitique ; telle était, aussi l'impression que nous a donnée celui qui fut, à notre époque, un des plus grands Maîtres du Soufisme: le Cheikh EI Hadj Ahmed Aboul Abbas ben Mostefa ben Alioua, connu aussi sous le nom de Cheikh El Alaoui qui s'est éteint, il y a quelques mois, à Mostaganem (211).
C'est le propre du Soufisme maghrébin d'informer à la fois la plus fine intellectualité et le fanatisme des douars. Benalioua n'y a point échappé. Il éveilla des vocations dans tous les milieux. Son action prosélytique eut des résultats considérables, tant à Paris où exista, 26, boulevard Saint-Germain, une zaouïa réservée aux ouvriers musulmans, que sur le territoire algérien.
Les adhérents du Cheikh étaient ordinairement recrutés dans les régions les plus attardées. En Kabylie, il n'eut qu'un succès d'estime. Mais il compta des disciples au Maroc, en Tunisie, en Tripolitaine, au Yémen, en Syrie. Son journal, Balagh El Djezaïri, fut lu en Arabie, en Angleterre, en Amérique. Sa propagande provoqua, en certaines régions, surtout dans l'arrondissement de Sétif, une effervescence, un état latent de rébellion, que Benalioua réussit péniblement à calmer. Bien mieux, à la suite d'une polémique de presse, un fanatique du Cheikh tenta d'assassiner M. Benbadis, directeur du journal Constantinois El Chihab, qui avait âprement critiqué la nouvelle doctrine. Les disciples, échappés à l’emprise maraboutique locale, vivaient dans une hypnose exacerbée. Ils affectaient le dédain des autorités, le détachement des biens de ce monde, l'insensibilité complète aux séductions de la vie. Certains divorcèrent pour pratiquer l'ascèse (212). D'autres se dépouillaient de leurs biens, ne conservaient qu'un mauvais burnous et brûlaient, en l'honneur du Cheikh, les billets de banque qu'ils avaient amassés (213). Bref, ce fut une psychose de contemplation, un enthousiasme de sacrifices, qui font rappeler dans un cadre modeste, le climat orageux des grandes créations spirituelles.
Ce n'est certes pas la théodicée du Maitre qui avait prise sur les foules. Ce fut ce don rare de magnétisme personnel qui faisait de lui un irrésistible pôle d'attraction. M. Frithjof Schuon l'a fort bien vu. La cadence des chants, des danses et des incantations rituelles semblait se perpétuer en lui par des vibrations sans fin ; sa tête se mouvait parfois dans un bercement rythmique, pendant que son âme était plongée dans les inépuisables mystères du Nom divin, caché dans le dhikr, le souvenir... on l'entourait de la vénération que l'on devait à la fois au saint, au chef, au vieillard et au mourant ... (214).
On mesurera la portée de son influence aux paroles suivantes recueillies de ses élèves : Les Confréries religieuses sont toutes des séguias (canaux). L'eau pure ne coule que dans celle de Benalioua (215). Un fidèle a dit à Alger, dans un café de la rue Porte-Neuve : Je ne savais ni lire, ni écrire. Maintenant, je lis et écris couramment par les seuls mérites de ce Cheikh envoyé de Dieu (216). Enfin un jeune Tunisien, Mohammed Laïd Ben Abid EI Bahri, apôtre convaincu, donna à Tébessa une conférence où il démontra que le rôle de Benalioua est prévu dans le Coran et la Sunna que le nouveau Cheikh est un véritable Mahdi et que sa destinée se réalisera entièrement, le jour où le nombre de ses adeptes sera égal à 320.000, nombre d'envoyés de Dieu qui l'ont précédé (217).
Il est assez difficile de délimiter avec précision l'aire géographique de la confrérie et sa distribution numérique. Pour l'Algérie, un recensement effectué en 1929 donne:
Département d'Alger (Alger, Palestro, Médéa, Chélif, Djurdjura, Dra-El Mizan) 195 Khouanes.
Département d'Oran (Oran, Mostaganem, Frenda, La Mina, Cassaigne, Renault, Djebel Nador, Bel Abbes, Tlemcen) 375 Khouanes.
Département de Constantine (La Meskiana, Bougie, Akbou, Guergour, Taher, Sétif, Biban, Maadid, Righa, Batna, Ain-Touta, Guelma, Souk-Ahras, Bône, La Calle) 5855 Khouanes.
Soit un total de 6425 Khouanes.
Mais il semble bien que ce chiffre doive être au moins doublé. Le succès de la secte en Algérie procède de causes diverses. C'est, d'abord, le déclin des vieilles Confréries, désormais assagies, disposant d'un confortable casuel et dont les points de vulnérabilité se sont multipliés. Misère spirituelle et richesse temporelle ! Ensuite la collusion apparente entre les pouvoirs publics et les anciennes congrégations la dégradation du mystique en politique, suivant la loi signalée par Péguy (218) leur décomposition en schismes locaux, en petites chapelles, qu'exploite l'ambition de Moqaddems dissidents le goût du nouveau, héréditaire parmi les autochtones l'évolution des esprits le besoin ancestral de s'insurger moralement contre les doctrines et les idées reçues et, pour tout dire, l'éternel ferment anarchique de ce peuple berbère qui cherche à s'unir quand il est conquis et à se dissocier quand il est libre.
Il ne faut point, d'autre part, sous-estimer ni le rôle de Benalioua, restaurateur d'une chaude spiritualité pour quelques initiés, ni la radioactivité de son système. Par son action personnelle, son prestige, son rayonnement, il a su créer une sorte de mirage collectif, une hypnose religieuse dont la masse se défend avec peine. Au début de sa propagande et alors qu'il paraissait suspect, on le fit surveiller par des observateurs qui prirent son contact. Ils revinrent éblouis, catéchisés, entraînés eux aussi par ce vertige de l'esprit et de l'âme dont le Cheikh Benalioua a emporté le secret.
Dans le Rif oriental et la région de Melilla, le succès de Benalioua fut particulièrement brillant. 1700 Rifains prirent part, en 1931, au pèlerinage de Mostaganem, 2200 en 1932, 3100 en 1933. Comment expliquer cette extension de la Confrérie dans une zone relativement éloignée ? Benalioua met, nous l'avons vu, au service d'un illuminisme grossier, la métaphysique la plus abstruse, la mieux épurée. Si quelques rares esprits de Melilla peuvent saisir la théorie de la perception extérieure voilant l'Infini, la masse est fanatisée par ce rituel obsédant, tyrannique, éminemment suggestif où tout est calculé pour amener l'envoûtement léthargique de la pensée. Il n'y eut peut-être jamais, dans l'histoire des Confréries musulmanes, d'effort plus puissant pour mécaniser les âmes, en vue de l'exploitation du Divin. Système où les réflexes héréditaires, les procédés modernes, les ressorts intimes les plus secrets, sont mis en œuvre, pour halluciner la psychologie religieuse berbère. Elle est encore intacte dans le Rif et toute de superstitions, de crédulité, de foi à la thaumaturgie. Le merveilleux des autres congrégations, les pôles attractifs du maraboutisme local ne comptaient guère à côté de Benalioua et de sa fascination sur un cerveau rifain. C'est également dans les régions les plus arriérées du département de Constantine, rappelons-le, que le Cheikh a le mieux réussi.
Un fait reste significatif. Comme nous objections à l'un de ses zélateurs rifains qu'il habite l'Algérie, c'est-à-dire un pays soumis au Roumi, il nous fut répondu que le Maître, en réalité, vit en même temps à La Mecque. C'est son double, un autre lui-même qui n'est pas lui tout en l'étant, qui réside à Mostaganem ou à Alger. Une fois par an, lors du pèlerinage de la Confrérie, les deux doubles se rejoignent à Mostaganem. Cette réincarnation, cette union soudaine, invisible à la foule, sont connues seulement de quelques initiés privilégiés qui, par leur foi ardente et leur soumission, sont dignes de percevoir le miracle.
Ces dédoublements ne sont pas rares dans les fastes de l'hagiographie berbère. Citons, par exemple, les deux tombeaux de Sidi Abderrahmane, vénérés par les Rahmaniyas algériens (219), les doubles sépultures de Moulay Yacoub dans le Rif précisément (220), de Bou ‘Asrya dans le Gharb marocain (221). Mais la dualité n'avait jusqu'à présent, à notre connaissance du moins, été attribuée qu'au sépulcre lui-même, jamais au marabout vivant.
Les évaluations que nous avons faites chiffrent à 7000 au moins, dont 17 Moqaddems, le nombre des affiliés rifains vers 1932 (222).
Nous ne possédons aucune donnée précise sur l'extension de la Confrérie à l'étranger. Le Cheikh a déclaré à un rédacteur de l'Echo d'Oran qu'il avait 100.000 adeptes. Suivant M. Probst-Biraben, ce chiffre dépasserait 200.000 (223).
Depuis la mort de Benalioua, la Confrérie se disperse. Malgré les efforts de son successeur spirituel, M. Bentounes, l'éternelle loi du Maghreb la segmentation religieuse a joué aux dépens de l'unité spirituelle et organique. L'Aliouisme de l'Est se condense en petites chapelles autonomes. Les Khouanes du Rif rentrent sous l'obédience héréditaire de leurs marabouts. Le Balagh Djezaïri, désormais flottant, sans doctrine et présenté en humble style, est disputé entre divers rédacteurs, peut-être plus soucieux de publicité que de métaphysique et de spiritualité.
L'élan créateur que le Cheikh donna à sa confrérie paraît près d'être épuisé. Benalioua ne représente plus, deux ans après sa mort, que la déception d'un grand rêve. Que reste-t-il de son enseignement ? De pauvres bribes de rituel. Sa doctrine qu'il voulut libératrice, et qui garde la marque de son ivresse spéculative, n'est plus guère, parmi ses derniers élèves, qu'une scholastique froide, inerte, décharnée, privée du fluide brûlant dont l'anima le Maître.
POLITIQUE ET MORALE
Il ne faut pas s'attendre à trouver chez Benalioua une construction politique définitive. La pensée du Cheikh, sollicitée par les problèmes religieux, ne s'est guère fixée qu'occasionnellement sur les rapports des nations et des hommes. Il avait à cet égard les idées de sa génération et de sa culture, celles d'un Algérien qui a atteint sa majorité intellectuelle entre 1890 et 1900, et qui, formé à la méditation mystique, a passé dix années de sa vie en Orient (* * *)
Il y avait en lui, nous l'avons déjà vu, un sentiment très vif de la solidarité islamique. Il n'a cessé de prêcher l'union des Musulmans, sans s'arrêter aux différences de sectes et de races. Et nous l'avons montré, en ses ardentes croisades pour le développement de l'arabe, langue liturgique de l'Islam (224).
Son long séjour en Orient l'avait, d'autre part, familiarisé avec les sociétés secrètes qui, lors du régime turc, luttèrent en faveur du particularisme linguistique (225). Il semblait les connaître à fond et, peut-être, y avait-il conservé des intelligences. On pourrait découvrir en lui des traces secrètes de panislamisme, si ç'est être panislamiste que de prêcher le rapprochement des Musulmans et l'exaltation de la foi. Mais il reste indéniable qu'il eut des relations avec la plupart des grands leaders musulmans. Son Balagh a publié des articles de M. Chakib Arslan et du Cheikh tunisien Ta’alibi (226).
Comment envisage-t-il les rapports de la France et des indigènes ? Il reconnaît, certes, l'immense bienfait de notre domination. Il a assez voyagé, assez comparé, pour convenir qu'elle est, en somme, libérale et légère. Si l'on mettait, disait-il, sous les yeux des indigènes la véritable Algérie d'avant la conquête, avec ses terres incultes, ses marécages semant la mort, ses populations décimées par les épidémies, les guerres intestines et le paupérisme, sans voies de communication et courbée sous la domination de quelques potentats. Et si l'on filmait l'Algérie actuelle avec ses grandes villes, ses chemins de fer, ses routes carrossables, ses grands ports, ses télégraphes, ses autos, ses champs immenses de blé, d'orges et de vignes, ses nombreux jardins verdoyants, ses écoles en nombre considérable, ses nombreux hôpitaux et ses chefs justes et bienveillants, il va de soi que l'indigène ne manquerait pas de faire là comparaison et aimerait davantage la France.
Il y a une idée qui me paraît bonne, c'est de faire ; ériger par voie de souscription, s'il le faut. Un monument sur la place du Gouvernement à Alger.
Ce monument représenterait la France souriant à un colon et à un fellah se donnant l'accolade et sur les bas-reliefs, d'un côté ferait revivre, par quelques scè-nes, l'Algérie d'avant la conquête et l'autre, l'Algérie actuelle.
C'est le seul moyen, à mon avis, d'effacer le passé qui choque et de démontrer aux indigènes et aux puissances étrangères que la France est venue en Algérie pour civiliser et non pour spolier les indigènes. (227)
Toutefois, il ne nous épargne pas ses critiques. Il y a, çà et là, dans son journal, El Balagh, de regrettables écarts de plume. C'est ainsi que notre administration jugerait parfois que les autochtones algériens restent une race inférieure (228) ; qu'ils font toujours les frais des conflits européens (229) ; que la presse de langue arabe n'est pas libre (230) ; et si le peuple indigène n'est pas libre de se servir de sa presse pour faire entendre à ses plaintes, quels moyens lui restent-ils donc ? (231). Le style de Benalioua rend alors un son nostalgique. On y sent comme des sanglots retenus. Les mots se pressent, heurtés, hachés, plaintifs, dans le halètement douloureux de la phrase.
L'un de ses thèmes favoris, c'est l'action des missionnaires. Nous avons déjà analysé l'attitude du Cheikh à l'égard du christianisme, qui a toujours suscité sa curiosité. Mais il demeure intraitable sur la propagande évangélique qu'il croit surprendre en certains milieux indigènes. Il est un fait certain que le peuple musulman se trouve menacé dans sa constitution, de divers côtés ; mais le danger des missions chrétiennes est le plus grave et le plus grand. C'est parce que les Musulmans et leurs représentants dédaignent ce danger que nous le voyons important. C'est cela qui augmente le mal (232). Benalioua évoque fréquemment la question et, parfois, avec une extrême vivacité de plume (233). Notons, au surplus, qu'à cette époque toute la presse arabe, de Tunis à Bagdad, entreprend la même croisade (234).
Benalioua a pris franchement position contre le communisme. Le 6 juin 1934, El Balagh publiait la lettre de l'un de ses affiliés, M. Abdallah ben Ali El Hakimi, réqui-sitoire virulent à l'adresse du néo-marxisme, donné comme oppressif, matérialiste et athée (235). Le Cheikh était largement acquis au progrès. Mais il le voulait dans la confiance et la quiétude des esprits. Bien qu'il prêchât les délices de la pauvreté, il estimait que chaque homme a droit à un minimum de bien-être et que la propriété, si humble soit-elle, est un service social. Selon lui, posséder c'est travailler au bien commun et permettre le travail d'autrui. C'est œuvrer pour l'ordre et dans l'ordre. Jamais homme ne fut plus étranger à la révolution. Il haïssait la violence. Il n'admettait la guerre que pour la défense de la foi. Et il suivait avec une curiosité passionnée les efforts de l'Europe pour une organisation internationale de la paix (236).
Il voyait l'avenir civique des Musulmans algériens sous la forme d'une naturalisation dans le statut personnel. Car il n'admettait pas, on l'a vu, que ses coreligionnaires abandonnassent leur droit successoral et matrimonial. Il invoquait l'exemple de la Pologne, de la Yougoslavie, de la Roumanie, pour montrer qu'on peut être excellent citoyen, collaborer à la vie publique et participer à ses charges, sans pour cela cesser de pratiquer l'Islam dans l'intégralité de ses prescriptions.
Les déclarations importantes faites par le Cheikh à un journal algérien, permettent de mieux saisir le cheminement de sa pensée. La religion musulmane, demandai-je au Cheikh, est-elle hostile à la civilisation et au progrès actuel ? Pas du tout. La religion musulmane est très libérale et recommande l'instruction et les sciences aussi bien dans les pays musulmans que dans les pays chrétiens. Elle met la science au-dessus des pratiques religieuses même.
cc En lisant notre histoire, on verra que les Arabes avaient eu des architectes, des docteurs, des ingénieurs, des marins, des géographes et aussi des philosophes. Les Arabes se sont intéressés aux civilisations anciennes, notamment à la civilisation grecque.
En effet, des auteurs grecs avaient été traduits et leurs livres existent encore. Pourquoi voulez-vous que nous qui sommes contemporains de la civilisation eu-ropéenne, nous ne nous intéressions pas à cette merveilleuse civilisation ?
Pour ma part, il n'y a pas un jour qui ne passe sans que je recommande à mes adeptes d'envoyer leurs enfants à l'école pour y apprendre la langue française, sans que j'invite ceux qui font partie de ma secte à observer les règles de l'hygiène, à respecter les biens du voisin, à respecter les lois françaises.
La religion musulmane est basée sur le respect de toutes les croyances, de la moralité et de la charité, ' ajoute-t-il gravement. Apprendre à conduire une auto-mobile, s'assimiler aux merveilleux travaux de la mécanique, apprendre à réfléchir, à méditer sur tout ce qui peut procurer du bien-être à l'homme, cela n'est pas incompatible avec la religion. Pasteur, m'a-t-on dit, était un homme religieux, mais cela ne l'a pas empêché de rendre les plus grands services à l'humanité par ses merveilleuses inventions. Non ! La religion n'empêche pas l'homme d'atteindre les plus hautes cimes de la science, la religion n'est qu'un guide. Elle s’efforce à rendre l'homme meilleur en détruisant chez lui les mauvais instincts. Si Dieu avait voulu laisser l'homme abandonné à lui-même, il n'aurait pas révélé à ses nombreux prophètes l'Evangile, le Talmud, la Bible et le Coran pour guider l'homme • vers le droit chemin. Nous ne faisons que rendre toujours vivaces dans l'esprit des hommes les préceptes de Salomon, d'Abraham, de Jésus-Christ et de Mahomet (237).
Pas plus qu'il n'a érigé une doctrine politique, Benalioua n'a construit d'éthique qui lui soit personnelle.
Sa morale, celle qu'il préconisait devant ses disciples, est celle des Derkaouas. C'est, avant tout, une morale religieuse, une annexe de la prédication confrérique. Vivre simplement, dans l'abstinence et la prière, pratiquer l'aumône, éviter la société des puissants, être humble de parole et d'habit, tels sont ses préceptes généraux (238). Mais il semble bien qu'au cours de ses dernières années, le Cheikh ait élargi sa conscience de l'humanité. Il faisait, dans ses conversations, une place de plus en plus grande à la charité. Il prêchait l'oubli des injures, la nécessité du pardon. Aimez-vous les uns les autres. Cette formule, qu'il conseilla d'abord aux Musulmans (239), il finit par l'étendre à toutes les races, à toutes les confessions. Il avouait dans le privé professer la doctrine de l'Ahmadiya indienne, avec laquelle il entretenait des rapports assidus (240) ; la fraternité avec Dieu commande une ardente charité. Il enseigne la fraternité aimante des hommes, écrira M. Probst-Biraben (241). De fait, il était parvenu à une sorte de tolstoïsme, où la résignation au mal se teintait de miséricorde, où le dédain de la vie s'éclairait d'une tendre sollicitude envers le prochain. Mais ce prochain, c'était aussi la bête, le végétal (242). Il s'exaltait en y songeant. Ses yeux profonds se mouillaient. Son effusion confondait dans un élan d'amour l'homme, l'animal et le brin d'herbe. Avec son lyrisme incisif, son sens de l'image biblique, son éloquence haletante, il apparaissait alors comme le poète de la souffrance universelle, le prophète inspiré de la réconciliation des âmes.
Cet amour cosmique fut sa suprême ascension. Quelque temps avant sa mort, il nous confia sa répugnance à s'alimenter. Manger de la chair est un meurtre, disait-il. Et le végétarisme est lui-même un attentat contre la vie. Il faut étendre la fraternité humaine aux animaux et aux plantes. C'est une horrible nécessité de ne pouvoir vivre qu'aux dépens des choses vivantes. Mais surtout, pas de crime inutile ! Cueillir une fleur est un comble de cruauté. C'est peut-être se fermer à jamais la haute miséricorde de Dieu.
Ce sont les dernières paroles que nous aurons entendues du Cheikh Benalioua. Et nous nous sommes souvent demandé si cette large pitié universelle, ce dégoût d'une nourriture qui avait été chose vivante, n'ont pas aggravé la lente consomption dont il est mort.
Tel fut le Cheikh Benalioua.
Haussons-nous maintenant au-dessus du détail monographique. Nous mesurerons ainsi le chemin parcouru. Nous aurons une vision plus large du maitre et de l'œuvre. Nous tenterons de saisir les grandes lignes d'horizon de son paysage intellectuel et les idées centrales autour desquelles il s'ordonne.
Nous avons d'abord montré qu'au point de vue métaphysique, Benalioua s'inscrit en pleine tradition mystique. Mais il la dépasse. Son Dieu est inconceptible, voire inconceptuel. Le concevoir, c'est l'enfermer dans nos classifications, l'emprisonner dans un mot, le déformer dans une doctrine où la vérité ne se dessine pas avec plus d'exactitude qu'un objet dans un miroir brisé. Dire que Dieu est la Pensée pure, la Pensée qui se pense, c'est effectuer la même opération que la feuille d'arbre qui imaginerait un Dieu suprêmement vert. Ce sont là postulats grossiers de l'anthropomorphisme. C'est déifier un attribut, humain ou végétal, la pensée ou la feuille. Benalioua s'y refusait. Nul ne fut plus éloigné de la construction rationaliste du Divin.
Nous sommes ensuite parvenus à la seconde halte de l'itinéraire aliouien. Le monde est un rayonnement infini dont le principe fécondant est Dieu. Au fur et à mesure que cette lumière descend, elle se charge de matière, pour devenir la vie elle-même, l'homme, l'animal, la plante, le minéral. Dieu est émanation extérieure et immanation dans la créature. Toutefois, émanation et immanation s'intériorisent l'une l'autre. Que le soufi se tende, qu'il se purifie, qu'il échappe aux voiles de la raison et des sens, il aura soudain l'aperception de l'Un. Cette intuition, comme l'intuition bergsonienne, est un effort qui se transcende. Et quand il sera réalisé, au prix d'une douloureuse torsion, ce sera enfin l'absorption en Dieu jusqu'à complète infusion.
Nous avons ainsi été conduits au sommet de la méditation aliouienne. Cette préhension du Divin ne serait-elle pas une suprême illusion ? Le dialogue mystique de Dieu et de l'âme, ne se réduirait-il point au soliloque de l'âme ? Est-il sûr que ce soit Dieu que nous saisissons par l'intuition profonde et non une projection dernière de notre anthropomorphisme ? Cela, Benalioua ne l'a point formulé. Il l'a entrevu et suggéré. Mais c'était pour lui une pénible angoisse, un débat tragique dont il n'entrevoyait pas l'issue. Car, dans cette hypothèse, le système aboutit au nihilisme intégral, à l'immense solitude humaine dans le vide éternel.
Et nous avons, enfin, examiné comment le Cheikh a pu, bon gré, mal gré, inclure cette métaphysique dans les précisions dogmatiques de l'Islam. Nous l'avons vu, rajeunissant l'interprétation averroïste, transposant sa croyance religieuse dans l'idée philosophique et l'idée philosophique dans l'extase. Il professait la multiplicité des sens et, du littéral à l'allégorique, leur parfaite vérité. 1l admettait la spiritualité réduite en schémas verbaux et en mimétisme rituel. Mais dépassant la médiocrité prude et méticuleuse des scoliastes, il s'élevait d'un bond au-dessus des versets, pour en découvrir en traits de feu le sens universel. Et il croyait à l'évolution des dogmes, que la sagesse divine adapte à chaque esprit et à chaque génération, comme elle réserve à chaque siècle un nouveau messager.
Deux grands courants circulent à travers l'œuvre de Cheikh Benalioua. Elle est, d'abord, une philosophie de la mobilité, puisque tout évolue, même les dogmes, et qu'il y a entre la création et Dieu un vivant échange de rapports. Et c'est, ensuite, une philosophie de l'Unité, puisque tout émane d'un principe essentiel par dégradations successives, et que les crédos, si contradictoires qu'ils soient, sont conciliables et également vrais. La doctrine de Benalioua est une méthode beaucoup plus qu'un système. Mais c'est aussi, mieux qu'une méthode, une as-cèse d'intuition, effleurant la vérité moins par la recherche que par une brusque illumination.
Cette doctrine mouvante, nombreuse, où s'entrechoquent les matériaux les plus disparates, a indéniablement subi de multiples influences. Influences alexandrines, avec l'émanatisme plotinien, le panthéisme inavoué mais certain, la possibilité de retrouver Dieu par l'extase ; influences syro-iraniennes, avec l'évolution prophétique des Imamites et des Ahmadiyas, les réminiscences d'El Halladj, le Babisme et son credo en devenir ; influences averroïstes et thofailiennes, avec la thèse des sens étagés, ouverts aux diverses catégories d’intelligences ; influences occidentales, enfin, avec l'écho, la préfiguration peut-être, de quelques thèmes bergsoniens, des infiltrations de modernisme chrétien et l'impitoyable critique de la connaissance rationnelle. Bref, un amalgame de doctrines souvent antithétiques, dont Benalioua faisait en lui, par un brassage quotidien, une unité ardente.
C'est dire qu'à notre sens, l'originalité de Benalioua est plus apparente que réelle. Elle aura surtout consisté à harmoniser des antinomies en une philosophie univo-que. Ne lui décernons pas, comme on l'a fait, la palme du génie métaphysique. Mais qui nierait sa vive sensibilité à la vérité et le désintéressement de sa médita-tion ? Qui lui refuserait l'impétuosité de la recherche, le goût ·de la spéculation, l'ingéniosité parfois trop subtile de la pensée ? Son type d'intelligence ne fut pas unilinéaire, mais fuyant, multiple, sinueux, tout en pointes aiguës et brillantes. Sa marque restera profonde dans la conscience religieuse algérienne. Et si Benalioua ne fut peut-être pas un fécond inventeur d'idées, il n'en aura pas moins apporté son humble note au débat ouvert, depuis des siècles, entre Aristote et Plotin.
Notes:
(1) Cf. DEPONT et COPPOLANI, Les Confréries religieuses musulmanes, 508 et s. A. Cour, Derkawa, in Encyc. de l'Islam. Liv. 16, 971 et s.
(2) Le Senoussisme algérien ne garde que de lointaines affinités avec le Senoussisme tripolitain. Il n'est plus qu'un maraboutisme, coulé dans un moule confrérique, autour des Bentekouk.
(3) L'ouvrage classique de M. Henri DELACROIX, Etudes d'histoire et de psychologie du mysticisme signale le don d'action créatrice de la plupart des grands mystiques. Cf. BERGSON, Les deux sources de la morale et de la religion, 243, 262.
(4) F. SCHUON, Rahimaha Allah, in Cahiers du Sud, août-septembre 1935, 136.
(5) L'œuvre de Benalioua n'est pas traduite. Elle se compose de petites brochures et de ses articles du Balagh El Djezaïri. El Menah Elqadoussia (Tunis). Kitab Nour Elatmid fi ouda el yed ala el yed (Tunis). Kitab El Qaoul El Maqboul (Tunis). Qaoul El Ma’rouf (Tunis). Diwan (Damas). Guide pratique du Musulman (Alger), trad. Guendouz. Sur Benalioua M. Louis MASSIGNON, in Rev. du monde Musulman, L. VII, p. 234. MASSIGNON, Tarika, in Encyclopédie de Islam, 703. Probst. Biraben, Cheikh, Si Ahmed Ben Alioua, in Revue Indigène, novembre-décembre 1927, 198 et s. Un disciple, M. Jossot, a publié sous le pseudonyme de Abdoukarim Jossot, le Sentier d'Allah où se trouve un résumé de la doctrine. Article cité de M. Schuon.
(6) CARRA DE VAUX, Ghazali, 6. Cf. Renan, Averroès et l'Averroïsme, 1· édit., 79.
(7) GOLDZIHER, Le Dogme et la loi de l'Islam, trad. Arin, 81.
(8) CARRA DE VAUX, Avicenne, 24.
(9) CARRA DE VAUX, Les Penseurs de l'Islam, tome IV, 74.
(10) « Averroès ne s'attaque aux théologiens que quand ils « mettent le pied sur le terrain de la discussion rationnelle... (RENAN, op. cit., 164).- « Sa gloire est d'avoir été le principal « commentateur d'Aristote au moyen-âge... » (CARRA DE VAUX, LeS Penseurs de l'Islam, IV, 65). « Il masque soigneusement ses « grandes hérésies » (MACDONALD, Développement of Muslim theology). « La doctrine théologique d'Averroès coïncide en tout « avec celle du Docteur Angélique » (A. PALACIOS, El Averroïsmo téologico de Santo Tomas de Aquino, in Hommage au Professeur Codera, 272).- La philosophie ne peut jamais être en contradiction avec la foi « car la vérité ne peut être contraire à la « vérité ... Lorsque entre un texte religieux et une conclusion démonstrative un désaccord apparent surgit, ce prétendu désaccord doit disparaître par l'interprétation allégorique de l'un « des deux » (Léon GAUTHIER, La théorie d'Ibn Rochd sur les rapports de la religion et de la philosophie, 26, 58).- Suivant Léon Gauthier, Averroès prescrit au penseur « de ne philosopher qu'à huis-clos, loin des oreilles du vulgaire », pour lequel la foi religieuse est la traduction en images des hautes abstractions (p. 178). Le P. de la Boullaye adopte l'explication hermétique de M. L, Gauthier, mais il y ajoute une teinte de pragmatisme. D'après Averroès, écrit-il, " le penseur découvre « Dieu de manière moins imparfaite que le vulgaire ... il étendra « les interprétations allégoriques à tous les dogmes sans exception, regardant comme de purs symboles tous les mots du « crédo populaire... Ainsi, la philosophie religieuse d'Averroès « tourne-t-elle au pragmatisme » (P. de la BOULLAYE, Etude comparée des religions, tome I, 102, 103, 104).
(11) Trad. L. GAUTHIER, Accord de la religion et de la philosophie, in Recueil de Mémoires et de textes, XIX. Congrès des Orientalistes, 269 et suiv.
(12) AVERROÈS, Accord ... 317, 292, 286.
(13) Nous n'ignorons pas que d'autres textes d'Averroès paraissent infirmer son rationalisme « la raison humaine est incapable d'approfondir certains problèmes... Tout ce qui dépasse « la portée de la raison, le Très-Haut l'enseigne à l'homme par « le moyen de la révélation » (Averroès, Tahafout). Cf. à ce sujet la conciliation et l'explication données par M. Léon GAUTHIER, Théorie d'lbn Rochd, 146 et s.
(14) M. Horten, Falsafa, in Ency. Islam, 18 livraison, 52. Cf. CARRA DE VAUX, Avicenne, 273 ; RHODE, Psyché, 377.
(15) GOLDZIHER, op. cit., 105, 106.
(16) GOLDZIHER, Introduction au livre de Mohammed Ibn Toumert, 72, 73.
(17) RENAN, Averroès et l'Averroïsme, 1re édit., 73.
(18) CARRA DE VAUX, Penseurs de l'Islam, tome IV, 173.
(19) Nous faisons allusion aux conceptions, parfois contradictoires, que l'islamologie contemporaine garde de Ghazali. Il y a le sceptique de Renan et de M. Carra de Vaux (Averroès, surtout p. 73, Ghazali) ; le pragmatique et l'agnosticiste de M. Macdonald (Al Ghazali, in Ency. Isl., 20° liv., 154 et s.); le pascalien de M. Asin PALACIOS (L'argument du pari). « Asin a cherché à « trouver l'intermédiaire faisant connaître Ghazali à Pascal, soit « dans le Pugio Fidéi, soit dans Herbelot, sans résultat » (MASS1- GNON, Essai sur les origines du lexique technique de la Mystique Musulmane, p. 43, note 5).
(20) Cf. CARRA DE VAUX, Ghazali, 61.
(21) Voir détail in MUNK, Mélanges de philosophie arabe et juive, 376.
(22) M. HORTEN, Falsafa, in Encyc. Islam, 18° liv., 53. Dans le même sens, CARRA DE VAUX : « Son action (de Dieu) associe quand « il lui plaît, des phénomènes que nous avons l'illusion de regarder comme des causes et des effets ; mais elle peut à tout moment cesser de répéter cette même association et produire ce « que nous appelons le miracle ». (Ghazali, 80).
(23) GOLDZIHER, Introduction au livre de Mohammed Ibn Toumert, 28.
(24) MACDONALD, op. cit., 134.
(25) Textes cités par ARNAUD, Etude sur le soufisme, in Revue Africaine, 1887, 360.
(26) MACDONALD, op. cit., 156.
(27) Tehafut, 17. Cité par CARRA DE VAUX, Ghazali, 67.
(28) Cf. citation de GHAZALI, in CARRA DE VAUX, Ghazali, 71.
(29) Aouarif-al-Maarif, LXII.
(30) WEI, article in Encycl. Islam, 23° liv., 383. Asin PALACIOS, La psychologie suivant Ibn Arabi, in Actes XVI Congrès Orientalistes, III, 79 et s. Citons encore Djelal-ed-Din : « Aperçois « dans ton cœur la connaissance du Prophète, sans livre, sans « maitre, sans instruction ». Et d'un autre : « Quand la 'vérité « Se révèle, la raison se retire "· GOLDZIHER, Le Dogme et la loi de l'Islam, trad. Arin, 143.
(31) L. MASSIGNON, La Passion d'Al Hosayn, Ibn Mansour Al Halladj, Martyr mystique de l'Islam {2 vol.).
(32) MASSIGNON, La Passion…, tome I, 117.
(33) Ibid., tome II, 500.
(34) MASSIGNON, La Passion ... II, 468. Voici un texte significatif d'El Halladj : « Celui qui, ayant soif de Dieu, prend la raison « pour guide, elle le mène paître dans une perplexité où elle « le laisse s'ébattre. Il vieillit dans l'équivoque de ses états de « conscience, et finit par se demander, perplexe : existe-t-il ? " (La Passion., II, 547).
(35) Cité par CARRA DE VAUX, Ghazali, 91.
(36) GOLDZIHER, Introduction au livre de Mohammed Ibn Toumert, 64.
(37) CARRA DE VAUX, Penseurs, III, 249 et s.
(38) GOLDZIHER, Dogme, 81.
(39) MASSIGNON, Passion, II, 544, note 6.
(40) CARRA DE VAUX, Penseurs, III, 271.
(41) LAMMENS, L'Islam, p. 140.
(42) BENALIOUA et HASSAN BEN ABDELAZIZ, El Qaoul el Maarouf, 11.
(43) Idem, 24.
(44) PLOTIN, Ennéades, 1, 88; 1, 8, 7;1,6, 9;V,1,2;VI,5,12.
(45) Ennéades, V, 3, 9.
(46) GOLDZIER, Le Dogme, 128.
(47) Rapprocher de El Halladj : « Le voile ? C'est un rideau « interposé entre le chercheur et son objet, entre le novice et « S0n désir, entre le tireur et son but. Il est à espérer que les « voiles ne sont que pour les créatures non pour le Créateur. Ce « n'est pas Dieu qui porte un voile, ce sont les créatures qu'il a « voilées ». MASSIGNON, La Passion, II, 700. Suivant M. Massignon, le Coran est à l'origine de l'allégorisme de la mystique musulmane. Pour le Voile, Coran (XLI, 4, XXXIX, 8). Essai sur les origines du lexique, 119, 120.
(48) ABDOU-L-KARIM JOSSOT, Le Sentier d'Allah, 33, 34.
(49) Ibid., 35.
(50) Ce rapprochement, généralement admis, a été contesté. Cf. notamment, René GUÉNON ['Esotérisme islamique, in Cahiers du Sud, août-septembre 1935, 37 et s.
(51) L. GAUTHIER, Introduction d l'étude de la philosophie musulmane, 89.
(52) Cf. MASSIGNON, Tasawwuf, in Encycl. Islam, 715 et s.
(53) MICHAUX-BELLAIRE, Conférences, in Arch. Mare. 1927, 57. DUGAT, Histoire des philosophes musulmans, 122, note 2. M. Massignon remarque que l'idée de l'union mystique est en germe dans le Coran, La Passion, Il, 498, 499.
(54) BENALIOUA, Diwan, Qasida I. Voir la critique de Saïd Zahiri., in Charia du 31 juillet 1933. Zahiri appelle Benalioua Cheikh El Houloul (Houloul veut dire union avec Dieu).
(55) Cf. CARRA DE VAUX, Fana, in Encg. Islam, liv. 18, 53 et s.
(56) P. LE TONQUÉDEC, La clef des deux sources, Etudes, et 20 décembre 1932, 535, 681.
(57) Ennéades, V, 3, 16.
(58) Qaoul Maarouf, 17.
(59) Idem, 13, 16, 24.
(60) Diwan, vers 26.
(61) Diwan, Qasida 23, vers 14 et s.
(62) Qaoul Maarouf, 16.
(63) Idem 18.
(64) Diwan, Qasida 23, vers 12.
(65) Diwan, qasida 1, vers 134.
(66) Formules empruntées presque textuellement au Bâb. Nicolas, Seyyed Ali Mohammed dit le Bâb, 204, 366.
(67) Evol. créatrice. Ne disons pas Homo sapiens, mais Homo Faber (p. 151). Et « Du jour où l'intelligence, réfléchissant sur « ses démarches, s'aperçoit elle-même comme créatrice d'idées... il n'y a pas d'objet dont elle ne veuille avoir l'idée, fût-il sans rapport avec l'action pratique » (173). Les deux sources de la morale et de la religion, 146 et d'une manière générale, tout Bergson.
(68) BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience, 85. Evolution créatrice, 333. Les deux sources de la morale et de la religion, 51.
(69) BENALIOUA, Guide pratique du Musulman, trad. Guendouz, 4.
(70) J. DE BOER, Aristutalis, in Enc, Islam, 438 et s.
(71) BENALIOUA, Guide..., 4.
(72) C'est, on le sait, la thèse capitale de !'Evolution créatrice. Également, Les deux sources de la Morale et de la Religion, 122 et s., 281 et s.- La pensée et le mouvant, 34 et s. 43 et s., 97, 105, 212, 240, etc... L'énergie spirituelle, 20 et s.
(73) Thème familier de M. BERGSON : Essai sur les données immédiates de la conscience, 98 et suiv. Evolution créatrice, 138-174. - La pensée et le mouvant, 100.- Le Rire, 74, 109, 113 et s., 156 et suiv.
(74) Zaman, dahr, wakt, hin, mala, mada, etc ...
(75) Cité par CARRA DE VAUX, article Dahr, in Encyc. Islam, 15 Liv. 917, cf. dans le même sens, RENAN, Averroès, 86.
(76) DE BOER, Zaman, in Encyc. Islam, liv. T, 1278.
(77) Cf. En ce sens CARRA DE VAUX, Ghazali, 67, 68.
(78) Nadjat, cité par CARRA DE VAUX, Avicenne, 183 et s.
(79) L. MASSIGNON, L'Arabe, langue liturgique, in Cahiers du Sud, août-sept, 1935, pp. 74, 75.
(80) M. Dr CORTE, Aristote et Plotin, 289-290.
(81) Thèses de TOSTARI et de EL HALLADJ, MASSIGNON, Passion II, 704 et S.
(82) Cf. d'ailleurs Coran, III, 5.
(83) L. GAUTHIER, La Théorie d'Ibn Rochd sur les rapports de la religion et de la philosophie, 74-75. La théorie des trois opinions dans Ghazali : celle que l'on partage avec le vulgaire, « celle dont « on entretient quiconque interroge et demande à être dirigé ; « enfin l'opinion que l'homme garde pour lui-même et qu'il ne « laisse paraître qu'à ceux qui partagent sa conviction ». (Ibn Tofail, Hagy, trad. Gauthier, 12-13).
(84) On peut se demander ce que RENAN doit à cet égard à la philosophie musulmane, notamment à Averroès.
(85) IBN THorAIL, Hagy Ben Yaqdhan, trad. Gauthier, 113.
(86) IBN THOFAIL, 117. Benalioua a laissé inachevé un commentaire du Coran, que nous n'avons pu nous procurer et qui serait, nous a-t-on dit, d'un curieux allégorisme.
(87) NICOLAS, op. cit. 245.
(88) A. SABATIER, Esquisse d'une philosophie de la religion : « C'est à l'idée d'un dogme nécessaire, mais nécessairement historique et changeant qu'il convient de nous habituer désormais » (295). M. HBERT, Revue de Métaphysique et de morale, juillet 1902 ; il s'agit de laisser à chacun le droit de « symboliser son sens religieux »· Lmsv, L'Evangile et l'Eglise : « Un travail d'adaptation « a été et sera perpétuellement nécessaire pour que la foi se con" serve dans le monde. » (p. 124).
(89) CE. W. JAMES, L'Expérience religieuse, trad, Abauzid, 360.
(90) GOLDZIHER, Dogme.... 228.
(91) LAMMENS, La Syrie, 183.
(92) GOBINEAU, Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale, 355. HUART, La religion du Bab, 280. LE CHATELIER, Islam au XIX siècle, 48.
(93) BAB, Livre des Préceptes, première unité.
(94) H. DREYFUS, Essai sur le Behaïsme, épigraphe.
(95) EL FIR, de Tauris (in Revue du Monde Musulman, XXI, 261 et suiv.).
(96) Voir dans MASSIGNON, Halladj, II, L'enchaînement des missions, 740 et s.
(97) On en voit les traces dans son journal Balagh El Djezaïri. Pour la doctrine Ahamadiyya, allusions ou exposés in numéros des 29 avril 1927, 3 et 10 janvier 1930. Nombreuses correspondances avec le Yémen entre autres Balagh, 9 août 1929, 27 décembre 1929, 1" décembre 1930. Affaires sionistes, 11 et 25 octobre 1929, 15 novembre 1929, 17 et 24 janvier 1930.
(98) El Balagh, 12 janvier 1931 ; Cf. numéros 6 février 1931, 20 juin 1931, 20 novembre 1931.
(99) Balagh, 19 juillet 1929, 12 et 30 janvier, 6 février, 17 et 24 avril 1931, 14 juillet 1933 entre cent autres.
(100) Balagh, 27 janvier 1933, Aucun remède n'est possible ni efficace si ce n'est le retour aux premiers et véritables principes religieux ; l'Administration serait disposée à nous aider dans la voie que nous envisageons, il suffirait seulement de la tenir au courant de notre mal social et de solliciter franchement son appui.
(101) Balagh, 13 mars 1931.
(102) Balagh, 17 avril 1931.
(103) Balagh, 24 avril 1931, cf. 6 février 1931, 27 et 9 octobre 1931, etc.
(104) Balagh, 26 juin 1931.
(105) Balagh, 15 juin 1928, 15 nov. 1929, 3 janvier 1930, 23 janvier 1931. Ce mot de PÉGUY, in Œuvres complètes, édit. N. R. F., tome IV, Notre jeunesse, p. 46.
(106) Balagh, 31 octobre 1931.
(107) Balagh, 13 janvier 1928, 13 décembre 1929, 17 janvier 1930, 20 juin 1930, 12 janvier 1931, 24 avril 1931.
(108) Balagh, 24 avril 1931.
(109) Voir également sa campagne contre le projet de codification du droit musulman, notamment Balagh, 29 avril 1927.
(110) Balagh, 6 octobre 1933, Il condamnait au même titre la naturalisation et les mariages mixtes. Cf. numéros des 30 août, 6 septembre, 4 octobre, 13 décembre, 20 décembre, 27 décembre 1929 ; 3 janvier, 17 janvier, 6 novembre 1930.
(111) Balagh, 24 décembre 1926, 23 janvier 1931, 23 octobre 1931.
(112) Balagh, 26 février 1932.
(113) Balagh, 14 janvier 1927.
(114) Balagh, 4 décembre 1931. Le roi Ibn Saoud lui-même en qui la communauté musulmane avait mis tout son espoir, a toujours gardé le silence. Nous n'avons plus à espérer qu'en Dieu.
(115) Balagh, 5 juin 1931, (note de Derwish Alawi : en réalité l’article est de Kaddour ben Ahmed Mejâji).
(116) Il vise à la rénovation et à la diffusion de la langue arabe, à la propagation de l'Islam et à sa défense, à son épuration doctrinale par la lutte contre le maraboutisme, à la fraternité inter islamique. Sur les tendances du Wahabisme, du Manarisme et des Salafiya, en général, voir surtout le cours professé par M. L. Massignon. MONTAGNE : L'Evolution des pays arabes. H. LAOUST: Le réformisme orthodoxe des Salafiya in Rev. des Etudes Islamiques, 1932, II, 175 et s. Pour l'Algérie, articles de DESPARMET et J. MENAUT in Bull. Afrique Française, 1933 à 1935.
(117) Balagh, 2 juin 1933.
(118) Balagh, 3 novembre 1933.
(119) Balagh, 7 juin 1929. Plusieurs fois reproduit jusqu'en 1933.
(120) Balagh, 26 juin 1931.
(121) Coran, 262 versets. Les plus anthropomorphiques : V, 88 ; XIV, 28 ; XV, 45-47 ; XVIII, S0; XIX, 63; XXII, 14-28 ; XXXVI, 56-57; XXXVII, 41 et S.3 XLIII, 70-71-72-73 ; XLIV, 52 et s.; XLVII, 16-17 ; LII, 19 et s.; LIV, 54; LV, 46 et s.; LVI, 8 et s.; LXXVI, 5 et s. ; LXXVIII, 32 et s. ; LXXXIII, 23 et s. ; LXXXVIII, 10 et s. ;II, 23 ; IX, 73 ; XIII, 35.
(122) HOUDAS, L'Islamisme, 85.
(123) MAs1GNON, Halladj, II, 689 et s.
(124) Ibid. 694 et s.
(125) Dieu peut toujours pardonner. Coran, IV, 116. L'éternité du châtiment n'existe pas pour le Musulman, quelles que soient ses fautes, pourvu qu'il ait sincèrement professé la Chahada. (Houdas, op. cit. 81-82). Dans le même sens, GAUDEFROY DEMOMBYNES, Institutions Musulmanes, 1re édit. 64.
(126) Mednun, 126, cité par CARRA DE VAUX, Djahannam, in Encycl. Islam, 17• liv. 1.026.
(127) C'est, d'ailleurs, plus un devoir collectif qu'un devoir individuel. Cf. GAUDEFROY-DEMOMBYNES, Inst. Musulmanes, 109 et 3.
(128) Rissalat al Tawhid, trad, Michel et Moustapha Abdel Razig, 123 et s, Nous voyons que la rapidité avec laquelle s'est répandue la religion musulmane, et l'empressement que mirent les gens de toutes les religions à se convertir à elle, sont dus à la clarté de ses dogmes, à la facilité de ses préceptes et à l’équité, de ses lois ... Il ne se passa pas beaucoup de temps qu'on vit des foules nombreuses appartenant aux différentes religions, adopter ses dogmes en toute connaissance de cause et sans qu'il y eut une épée derrière lui, ni un prédicateur le précédant .. (p. 128) cf. également 116 et s.
(129) BENALOUA, Guide.... 5.
(130) Cf. BEN CHENEB, Tadjwid, in Encyc. Islam, liv. K. 631 et s.
(131) EI Ahram, 6 mars 1932.
(132) Pour la prière, cf. WENSINCK, Salat, in Encycl. Islam, liv. B. 99 et S.
(133) Guide..., 8.
(134) MAss1GNON, Halladj, II, 775.
(135) Interview du Petit Oranais, 6 janvier 1924.
(136) WENSINCK, Salat, op. cit. 108.
(137) GAUDEFROY-DEMOMBYNES, Inst. Musulmanes, 69. HOUDAS, L'Islamisme, 124. WENSINCK, op. cit. 102.
(138) Elle doit avoir lieu, réglementairement, aussitôt après midi, Cf. Gaudefroy DEMOMBYNES, op. cit. 66-67.
(139) Guide …. 8.
(140) DESPARMET, Ethnographie traditionnelle de la Mitidja, in Rev. Africaine, 1trim. 1918, 33.
(141) Pp. 6 et 9.
(142) Rapport Préfet Constantine 13 juillet 1921. Note d'un notable indigène, 3 juin 1927.
(143) Qaoul El Maarouf, 24.
(144) Guide..., p. 10.
(145) Rapport d’Aflou, 3 octobre 1921. Cette obligation paraît démentie par les prescriptions du Guide.
(146) Rapports Préfet Constantine 13 juillet 1921, Préfet Alger, 25 août 1921. Renseignements sur Benalioua de Mostaganem, 27 août 192'1. Rapports Préfet Constantine, 2 août 1930 ; Préfet d'Oran, 14 juin 1930.
(147) Guide, 17 et s.
(148) Semaine religieuse d'Oran, 8 février 1930.
(149) Rapport Préfet Constantine, 13 juillet 1921.
(150) Athman Ben El MEKKI El Mirat Fi Idhar El dalalat, Tunis, 1927, reproduit et critiqué dans le Qaoul EI Maarouf de Benalioua.
(151) Suivant GOLDZIHER, le chapelet serait d'origine hindoue, (Vorlesungen, 165). D'abord combattu dans l'Islam, GOLDZIHER, Dogme ..... 136. Cf. du même auteur, Le Rosaire dans l'Islam, in Rev. Hist. Religions, 1890, XXI, 295 et s. Il est à remarquer que chez les Derkaouas, ordre auquel fut d'abord affilié Benalioua, le chapelet doit se porter au cou. (RINN, Marabouts et Khouanes, 233).
(152) L. MASSIGNON, Le Christ dans les Evangiles selon Ghazali, in Rev. des Etudes Islamiques, 1932, IV, 523 et s. Répondant, d'autre part, à M. Asin PALACIOS sur la prétendue reconnaissance par GHAZALI de la dogmatique chrétienne, M. MASSIGNON montre que le texte invoqué par M. Asin Palacios est un simple exercice d'hygiène mentale tendant non à mettre Jésus à la place du Prophète, mais à habituer le Musulman à une conception sans cesse plus épurée du monothéisme (p. 524).
(153) Nombreux versets parmi lesquels : IV, 116, 169 ; V, 77 ; VI, 94, 152; IX, 31 ; X, 19, 29 ; XIX, 84 et s. ; XXIII, 93, 94; XXXI, 12 ; XXXIX, 4, 39 ; CXII.
(154) Walther BJORKMAN, chirk, in Encycl. Islam, liv, G. 393.
(155) GOLDZIHER, Dogme... 37. Le Qoran ne considère pas en Jésus, le Mystère de l'union hypostatique, mais seulement la réalisation de l'union mystique.... (MASSIGNON, Halladj, II, 498, note 4). Cf. DE LANVERSIN, Apologétique, in Terre d’islam, janv. février 1934, 21 et s.
(156) Dans la poésie de Mhammed Ben Abd-er-Rahman, fondateur des Rahmaniya, l'homme aux deux tombeaux, Bouqobrin, dont la zaouïa est à Bounoh, en Kabylie, on y définit ainsi la Djalâla ou récitation des milliers de fois, par les Khouanes (adhérents de la Confrérie) de la formule ou chahâda. La Djalâla, lisons-nous page 97 de la Règle des Rahmaniya, a cette signification : c'est la négation, dans la divinité, d'un autre que Dieu. ma'anà (là ilaha ill-Allah) nafi al-oulohiya 'an ghayrihi ta'âla. Et l'auteur ajoute ; Cette formule est la citadelle inexpugnable de l'Islam : Hassan Houssine c’est ma forteresse, dit Mohammed ; et qui entre dans ma forteresse est à l'abri de mes châtiments (c'est-à-dire de l’enfer). (Père GIACOBETTI, in Union catholique indigène, août 1935, 3).
(157) Préoccupation fréquente ' chez Benalioua. Rapport Préfet Constantine 13 juillet 1921. Témoignage de Mohammed Larbi Ben Belkacem, 27 décembre 1922. Note d'un notable indigène, 3 juin 1927. Rapport Sûreté départementale Alger, 19 septembre 1929.
(1) La théorie islamique du miracle : suivant Goldziher, le miracle est réservé à Dieu, le Prophète n'ayant à cet égard aucun pouvoir. G0LDZIHER, Culte des Saints, 259. Il cite divers versets : VI, 14 -- XXXIII, 21, 45 - VII, 188 - VI, 50 - XVII, 95, 96. C'est la tradition et la dogmatique qui fit du Prophète un thaumaturge et devin (ibid. 263). Cf. IN KHALDOUN, Prolégomènes, I, 189. Opinion d'Averroès, L. GAUTHIER, Théorie d'Ibn Rochd, 125 et s., 146 et s. Théorie de Baqilani, Massignon, El Halladj, 1, 365. Voici la théorie de Cheikh Abdou : Rationnellement, le miracle n'appartient pas à la catégorie de l'impossible, car il n'y a aucune preuve qu'une déviation des règles de la nature, telles que nous les connaissons, soit impossible... Etant donné le dogme que le Créateur exerce Sa puissance et Sa liberté en toute plénitude, il nous est facile d'admettre que rien ne l'empêche de donner aux contingences la forme qu'il Lui plait et de les soumettre aux causes que son Omniscience a fixées... (Rissalat AI Tawhid, trad. MICHEL et Mustapha ADELRAZIK, 58, 59). Abdou fait toutefois une réserve : Dieu seul el les Prophètes peuvent accomplir des miracles. On n'est pas tenu de croire aux miracles des Saints, p. 140.
(159) MARCOLIOUTH, Chadhiliya, in Ency. Islam, liv. E, 257.
(160) MASSIGNON, Tarika, in Enc. Islam, liv. L, 700. Importante étude donnant la liste complète des confréries en 1929.
(161) Qaoul El Maarouf, 19.
(162) Qaoul El Maarouf, 19.
(163) Cf. cet égard MONTAGNE, Les Berbères et le Makhzen, 410. Il va dans dire qu'il n'y a dans ces appréciations aucune intention péjorative. Nous notons seulement des tendances. Nous connaissons de très pieux marabouts, persuadés de leur parfaite orthodoxie et qui seraient désespérés de se sentir en marge de l'Islam.
(164) Qaoul EL Maarouf, 20.
(165) Ibid., 11.
(166) Ibid., 18.
(167) Qaoul El Maarouf, 23, 24.
(168) DEPONT et COPPOLANI, Les Confréries religieuses Musulmanes, 93.
(169) MASSIGNON, Tarika, op. c., 701.
(170) MAss1GNON, Tasawwuf, in Encyc. Islam, liv. L, 718.
(171) Qaoul El Maarouf, 18.
(172) RINN (Marabouts et khouans, 236) indique, comme successeurs algériens du Derkaoui, Larbi Ben Attia, de l'Ouarsenis, puis les Gholamallah de Tiaret. Voici la chaîne, après le Derkaoui, par DEPONT et C0PPOLANI (op. cit., 505-506) : Mohammed El Bouzidi, Hadj Abdelmoumen El Ghouari, Mohammed El Arag, Mohammed Ben Ibrahim, Mohammed Ben Abdeslam El Ghomari, Hadj Mohammed Ould es-Souf, Habib Ben Amian, Mohammed El Miliani, Abdallah Ben Chouirek, Abderrahmane Ould Tayeb. Pour M. Paul ODINOT (Importance politique de la Confrérie Derquaoua in Rens. Col. Afrique Française, 5, 1929) : Benalioua, de Cheikh Bouzidi, de Mohammed Kaddour, du Derkaoui.
(164) Qaoul EL Maarouf, 20.
(165) Ibid., 11.
(166) Ibid., 18.
(167) Qaoul El Maarouf, 23, 24.
(168) DEPONT et COPPOLANI, Les Confréries religieuses Musulmanes, 93.
(169) MASSIGNON, Tarika, op. c., 701.
(170) MAss1GNON, Tasawwuf, in Encyc. Islam, liv. L, 718.
(171) Qaoul El Maarouf, 18.
(172) RINN (Marabouts et khouans, 236) indique, comme successeurs algériens du Derkaoui, Larbi Ben Attia, de l'Ouarsenis, puis les Gholamallah de Tiaret. Voici la chaîne, après le Derkaoui, par DEPONT et C0PPOLANI (op. cit., 505-506) : Mohammed El Bouzidi, Hadj Abdelmoumen El Ghouari, Mohammed El Arag, Mohammed Ben Ibrahim, Mohammed Ben Abdeslam El Ghomari, Hadj Mohammed Ould es-Souf, Habib Ben Amian, Mohammed El Miliani, Abdallah Ben Chouirek, Abderrahmane Ould Tayeb. Pour M. Paul ODINOT (Importance politique de la Confrérie Derquaoua in Rens. Col. Afrique Française, 5, 1929) : Benalioua, de Cheikh Bouzidi, de Mohammed Kaddour, du Derkaoui.
(173) Qaoul El Maarouf, 40.
(174) Herman MULLER, Origines de la Compagnie de' Jésus. Voir la discussion in Re. Histoire des Religions 1898, t. 38, 415.
(175) MASSIGNON, Tarika, op. cit, 701.
(176) MASSIGNON, Tasawwuf, op. cit. 717.
(177) Qaoul El Maarouf, 27.
(178) Rapp. Préfet Constantine, 2 aotît 1930. Rapp. Admr, El Madher, 31 décembre 1921.
(179) Rapport El-Madher, 31 décembre 1921.
(180) Les Kadiriya, les Refaïya, les Derkaoua, entre autres, DEPONT et COPPOLANI, 157, 158, RIN, 247.
(181) Abdoul-Karim Jossot, Le sentier d Allah, 34.
(182) Ibid., 37.
(183) Ennéades, VI, 8, 21, trad. BREHIER.
(184) El Mirat fi idhar Ed Dalalat. Reproduit et commenté dans Qaoul El Maarouf.
(185) EI Mirat, 21.
(186) Impr. El-l’tidal, Tunis.
(187) Qaoul El Maarouf, 42.
(188) Qaoul EI Maarouf, 35.
(189) Ibid., 40.
(190) CARRA DE VAUX, Pensers... IV, 360.
(191) R. DORFRANE, l'Islam et la Musique, in En terre d'Islam, sept.-oct. 1933, 333 et s.
(192) RINN, 290 et s. DEPONT et COPPOLANI, 369 et s.
(193) Abdou-l-Karim Jossot, 35.
(194) Préfet Alger, 25 août 1921.
(195) Rapport annexe Djelfa, 5 septembre 1921. (4) Rapport Constantine, 2 août 1930.
(196) Rapport de l'Administrateur de l’Edough, 13 mars 1922.
(197) Rapport Constantine, 13 juillet 1921.
(198) Rapport de l'Administrateur de Tébessa, 26 avril 1922.
(199) Rapport Constantine, 13 juillet 1921.
(200) Rapport Constantine, 2 août 1930.
(201) Abdou-l-Karim Jossot, 30, 31.
(202) Qaoul EL Maarof, 27-28.
(203) Cf. Asin PALACIOS, Psicologa Segun Mohedin Abenarabi (Actes, XIV Congrès Orientalistes, 129 et s.).
(204) Cité par NICHOLSON, in Insan Al Kamil, in Encyc. Islam, liv. 26, p. 543. CR. Ennéades, V, 1, 2.
(205) Ennéades, VI, 8, 4.
(206) Qaoul El Maarouf, 22.
(207) Ibn Arabi, cit. MASSIGNON, Tasawwuf, op. cit., 718.
(208) Les Ennéades ne sont que la rédaction des vivantes discussions de l'Ecole .... Elles donnent souvent l'impression d'une sténographie. BREHIER, la Philosophie de Plotin, 15.
(209) J. BARUZI, Saint Jean de la Croix et le Problème de l'Expérience Mystique, 458. Quels que soient les rapports de filiation, de parallélisme, de simple coïncidence entre la mystique chrétienne et le soufisme, les analogies sont fréquentes, souvent troublantes. Cf. la comparaison de Jean de la Croix et d’Ibn Abbad, in Asin PALACIOS, Un precursor hispano-musulman de San Juan de la Cruz (Al Andalus, 1933, I, 7 et suiv.) et l’article critique de M. BAHUZI, m Problèmes d’Histoire des Religions, 111 et s.
(210) Benalioua insiste complaisamment sur ces conversions. Cf. notamment Balagh El Djezaïri, 21 décembre 1928.
(211) F. SCHUON, Rahimahu Allah, op. cit., 135.
(212) Rapport Bihan, 6 janv. 1922.
(213) Rapp. Guergour, 3 juillet 1923.
(214) F. SCHUON, op. cit., 136.
(215) Rapp. Constantine, 7 mars 1928.
(216) Sureté Générale, 27 août 1927.
(217) Administrateur Tébessa, 26 avril 1922.
(218) Quand un régime, d'organique est devenu logique, et de vivant historique, c'est un régime qui est par terre... Quand un régime se démontre, aisément, commodément, victorieusement, c'est qu'il est par terre. Notre jeunesse, 51.
(219) DEPONT et COPPOLANI, op. cit., p. 383.
(220) MOULIÉRAS, Le Maroc inconnu, tome II, p. 12.
(221) MICHAUX-BELLAIRE, Le Gharb, p, 258.
(222) La propagande de Benalioua n'a pas abouti en Kabylie. On nous a donné de cet échec une curieuse explication : les gens pieux du Djurdjura, plus éclairés que les Khouanes rifains et constantinois, n'auraient pu concilier les deux orientations de l'homme en prière : la traditionnelle vers la Mecque, la nouvelle, telle de Benalioua, vers Mostaganem.
(223) Echo d'Oran, 13 sept. 1923, PROBST-BIRABEN, in Revue Indigène, nov.-décembre 1927, p. 198.
(* * *) « note de Derwish Alawi : M. Berque ne s’est appuyé sur aucune preuve sur les dix années présumées que le Cheikh Alawi aurait passées en Orient, cette exagération relève du fantasme et de l’imaginaire de l’auteur, ni le Cheikh lui-même, ni ses proches adeptes n’ont affirmé de telle information, aucun détail de la vie du Maitre Alawi n’est ignoré de ses biographes ».
(224) L. MASSIGNON, Cahiers du Sud, août-sept. 1935, 71 et s.
(225) Sur ces Sociétés, Revue du Monde Musulman, XXXVIII, 213. L. MASSIGNON, Eléments arabes et foyers d’arabisations, 5, 108, 116 et s.
(226) Balagh, 20 juin 1930, 29 janv. 1932, 18 mars 1932, 1 juillet 1932.
(227) Déclaration à la Presse Libre, 30 juin 1929.
(228) Balagh, 13 mai 1928.
(229) Balagh, 27 janvier 1931.
(230) Balagh, 19 août 1927, 28 décembre 1928.
(231) Balagh, 17 avril 1931.
(232) Balagh, 1janvier 1930.
(233) Balagh, 5 août 1927, 15 juin 1928, 5 avril 1929, 13 septembre, 18 octobre, 1 novembre, 8 novembre, 15 novembre 1929 ; 1° janvier, 9 mai, 6 novembre 1930 ; 15 mai, 20 novembre, 4 et 11 décembre 1931 ; 29 janvier, 26 février 1932, etc.
(234) Nous ne pouvons citer ici que les articles caractéristiques entre mille. En Egypte, Fatah, 23 octobre 1931, 24 mai 1932. Manar, janvier 1931, Balagh 28 février, 1° juin 1932. Wadinil, 2 et 17 décembre 1930, 8 septembre 1931. Siassa, 5 septembre 1930. Mokattam, 24 mai 1931. El Ahram, 25 janvier et 3 février 1932. En Syrie : Alef-BIJ., 21 et 30 novembre 1930. En Palestine, Filastine, 25 juillet 1930. En Tripolitaine, El Adel, 4 octobre 1930. En Tunisie, Saouab, 26 août et 12 décembre 1930, Voix du Tunisien, 26 janvier, 20 février, 14 mai 1932. Nédim, 12 juillet, 20 novembre 1930, 19 mars 1931. Zohra, 5 janv., 5 mai 1930, 30 avril et 20 ·mai 1932. Nahda, 21 septembre 1930, 17 août 1930, 26 janvier 1932.
(235) Les arguments de l'Islam contre le communisme ont été condensés dans les articles de M. CHEKIB ARSLAN, in Nation arabe, sept. Octobre 1931, Merced, 22 janvier et 5 février 1932, Fatah, 2 sept. 1934.
(236) Balagh, 11 mars 1932.
(237) Petit Oranais, 6 janvier 1924.
(238) Système derkaoui. Cf. RINN, 233 ; DEPONT et COPPOLANI, 503-504.
(239) El Balagh, 13 mars, 24 avril et 29 mai 1931.
(240) El Balagh, 3 et 10 janvier 1930. Voir la pins récente monographie des Ahmadiyas ; COURTOIS, L'Islam missionnaire, l'Ahmadiya Anjuman, in Terre d'Islam, à partir de mars 1935.
(241) Revue Indigène, novembre-décembre 1927, 200.
(242) Rapprocher du climat d'Assise : ne point blesser les arbres (CELANO, II, 66, 67), faire des nids aux tourterelles (Fioretti, XXII).
(174) Herman MULLER, Origines de la Compagnie de' Jésus. Voir la discussion in Re. Histoire des Religions 1898, t. 38, 415.
(175) MASSIGNON, Tarika, op. cit, 701.
(176) MASSIGNON, Tasawwuf, op. cit. 717.
(177) Qaoul El Maarouf, 27.
(178) Rapp. Préfet Constantine, 2 aotît 1930. Rapp. Admr, El Madher, 31 décembre 1921.
(179) Rapport El-Madher, 31 décembre 1921.
(180) Les Kadiriya, les Refaïya, les Derkaoua, entre autres, DEPONT et COPPOLANI, 157, 158, RIN, 247.
(181) Abdoul-Karim Jossot, Le sentier d Allah, 34.
(182) Ibid., 37.
(183) Ennéades, VI, 8, 21, trad. BREHIER.
(184) El Mirat fi idhar Ed Dalalat. Reproduit et commenté dans Qaoul El Maarouf.
(185) EI Mirat, 21.
(186) Impr. El-l’tidal, Tunis.
(187) Qaoul El Maarouf, 42.
(188) Qaoul EI Maarouf, 35.
(189) Ibid., 40.
(190) CARRA DE VAUX, Pensers... IV, 360.
(191) R. DORFRANE, l'Islam et la Musique, in En terre d'Islam, sept.-oct. 1933, 333 et s.
(192) RINN, 290 et s. DEPONT et COPPOLANI, 369 et s.
(193) Abdou-l-Karim Jossot, 35.
(194) Préfet Alger, 25 août 1921.
(195) Rapport annexe Djelfa, 5 septembre 1921. (4) Rapport Constantine, 2 août 1930.
(196) Rapport de l'Administrateur de l’Edough, 13 mars 1922.
(197) Rapport Constantine, 13 juillet 1921.
(198) Rapport de l'Administrateur de Tébessa, 26 avril 1922.
(199) Rapport Constantine, 13 juillet 1921.
(200) Rapport Constantine, 2 août 1930.
(201) Abdou-l-Karim Jossot, 30, 31.
(202) Qaoul EL Maarof, 27-28.
(203) Cf. Asin PALACIOS, Psicologa Segun Mohedin Abenarabi (Actes, XIV Congrès Orientalistes, 129 et s.).
(204) Cité par NICHOLSON, in Insan Al Kamil, in Encyc. Islam, liv. 26, p. 543. CR. Ennéades, V, 1, 2.
(205) Ennéades, VI, 8, 4.
(206) Qaoul El Maarouf, 22.
(207) Ibn Arabi, cit. MASSIGNON, Tasawwuf, op. cit., 718.
(208) Les Ennéades ne sont que la rédaction des vivantes discussions de l'Ecole .... Elles donnent souvent l'impression d'une sténographie. BREHIER, la Philosophie de Plotin, 15.
(209) J. BARUZI, Saint Jean de la Croix et le Problème de l'Expérience Mystique, 458. Quels que soient les rapports de filiation, de parallélisme, de simple coïncidence entre la mystique chrétienne et le soufisme, les analogies sont fréquentes, souvent troublantes. Cf. la comparaison de Jean de la Croix et d’Ibn Abbad, in Asin PALACIOS, Un precursor hispano-musulman de San Juan de la Cruz (Al Andalus, 1933, I, 7 et suiv.) et l’article critique de M. BAHUZI, m Problèmes d’Histoire des Religions, 111 et s.
(210) Benalioua insiste complaisamment sur ces conversions. Cf. notamment Balagh El Djezaïri, 21 décembre 1928.
(211) F. SCHUON, Rahimahu Allah, op. cit., 135.
(212) Rapport Bihan, 6 janv. 1922.
(213) Rapp. Guergour, 3 juillet 1923.
(214) F. SCHUON, op. cit., 136.
(215) Rapp. Constantine, 7 mars 1928.
(216) Sureté Générale, 27 août 1927.
(217) Administrateur Tébessa, 26 avril 1922.
(218) Quand un régime, d'organique est devenu logique, et de vivant historique, c'est un régime qui est par terre... Quand un régime se démontre, aisément, commodément, victorieusement, c'est qu'il est par terre. Notre jeunesse, 51.
(219) DEPONT et COPPOLANI, op. cit., p. 383.
(220) MOULIÉRAS, Le Maroc inconnu, tome II, p. 12.
(221) MICHAUX-BELLAIRE, Le Gharb, p, 258.
(222) La propagande de Benalioua n'a pas abouti en Kabylie. On nous a donné de cet échec une curieuse explication : les gens pieux du Djurdjura, plus éclairés que les Khouanes rifains et constantinois, n'auraient pu concilier les deux orientations de l'homme en prière : la traditionnelle vers la Mecque, la nouvelle, telle de Benalioua, vers Mostaganem.
(223) Echo d'Oran, 13 sept. 1923, PROBST-BIRABEN, in Revue Indigène, nov.-décembre 1927, p. 198.
(* * *) « note de Derwish Alawi : M. Berque ne s’est appuyé sur aucune preuve sur les dix années présumées que le Cheikh Alawi aurait passées en Orient, cette exagération relève du fantasme et de l’imaginaire de l’auteur, ni le Cheikh lui-même, ni ses proches adeptes n’ont affirmé de telle information, aucun détail de la vie du Maitre Alawi n’est ignoré de ses biographes ».
(224) L. MASSIGNON, Cahiers du Sud, août-sept. 1935, 71 et s.
(225) Sur ces Sociétés, Revue du Monde Musulman, XXXVIII, 213. L. MASSIGNON, Eléments arabes et foyers d’arabisations, 5, 108, 116 et s.
(226) Balagh, 20 juin 1930, 29 janv. 1932, 18 mars 1932, 1 juillet 1932.
(227) Déclaration à la Presse Libre, 30 juin 1929.
(228) Balagh, 13 mai 1928.
(229) Balagh, 27 janvier 1931.
(230) Balagh, 19 août 1927, 28 décembre 1928.
(231) Balagh, 17 avril 1931.
(232) Balagh, 1janvier 1930.
(233) Balagh, 5 août 1927, 15 juin 1928, 5 avril 1929, 13 septembre, 18 octobre, 1 novembre, 8 novembre, 15 novembre 1929 ; 1° janvier, 9 mai, 6 novembre 1930 ; 15 mai, 20 novembre, 4 et 11 décembre 1931 ; 29 janvier, 26 février 1932, etc.
(234) Nous ne pouvons citer ici que les articles caractéristiques entre mille. En Egypte, Fatah, 23 octobre 1931, 24 mai 1932. Manar, janvier 1931, Balagh 28 février, 1° juin 1932. Wadinil, 2 et 17 décembre 1930, 8 septembre 1931. Siassa, 5 septembre 1930. Mokattam, 24 mai 1931. El Ahram, 25 janvier et 3 février 1932. En Syrie : Alef-BIJ., 21 et 30 novembre 1930. En Palestine, Filastine, 25 juillet 1930. En Tripolitaine, El Adel, 4 octobre 1930. En Tunisie, Saouab, 26 août et 12 décembre 1930, Voix du Tunisien, 26 janvier, 20 février, 14 mai 1932. Nédim, 12 juillet, 20 novembre 1930, 19 mars 1931. Zohra, 5 janv., 5 mai 1930, 30 avril et 20 ·mai 1932. Nahda, 21 septembre 1930, 17 août 1930, 26 janvier 1932.
(235) Les arguments de l'Islam contre le communisme ont été condensés dans les articles de M. CHEKIB ARSLAN, in Nation arabe, sept. Octobre 1931, Merced, 22 janvier et 5 février 1932, Fatah, 2 sept. 1934.
(236) Balagh, 11 mars 1932.
(237) Petit Oranais, 6 janvier 1924.
(238) Système derkaoui. Cf. RINN, 233 ; DEPONT et COPPOLANI, 503-504.
(239) El Balagh, 13 mars, 24 avril et 29 mai 1931.
(240) El Balagh, 3 et 10 janvier 1930. Voir la pins récente monographie des Ahmadiyas ; COURTOIS, L'Islam missionnaire, l'Ahmadiya Anjuman, in Terre d'Islam, à partir de mars 1935.
(241) Revue Indigène, novembre-décembre 1927, 200.
(242) Rapprocher du climat d'Assise : ne point blesser les arbres (CELANO, II, 66, 67), faire des nids aux tourterelles (Fioretti, XXII).
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