Une diffamation au sujet du Cheikh Benalioua - Bône-journal du 20/10/1922

L’article que nous présentons ici publié dans le journal "Bône-Journal", datant du 20/10/1922, présente une pure diffamation au sujet du Cheikh Ahmed Alawi de la part de certaines personnes se disant de Bordj-Bou-Arréridj.
 
Un groupe de notables indigènes nous demande l'insertion de l’article suivant : Dans son numéro du 13/10/1922, le journal "En Nadjah" de Constantine, a publié la lettre suivante, adressée par un groupe de notables indigènes de Bordj-bou-Aréridj, au sujet d’un certain chef de la Confrérie du nom de Benalioua :

Louanges à Dieu ! Et le Salut et la Paix sur son prophète.

Attention ! Attention ! O Constantinois.

Le Cheik Benalioua, de Mostaganem, auquel le sol du département de Constantine fut interdit est arrivé à Bordj-bou-Aréridj. Sa foudre, éclatée au milieu des milliers de musulmans les éparpilla, les divisa en deux parties adverses et alluma dans leurs cœurs une haine immense et légendaire. La Confrérie dont il est le chef, ressuscita les haines de partis depuis longtemps apaisées. C’est ainsi que bon nombre de nos ignorants Khouans de Benalioua divorcèrent d’avec leurs épouses parce que celles-ci ne pouvaient convaincre leurs pères ou leurs frères à adhérer à cette confrérie. Des mères furent donc répudiées et obligées de quitter le domicile conjugal pour le motif précité.

Il nous faudrait beaucoup de feuilles de papier pour développer les mystères de cette Confrérie, de son Chef et de ses adeptes.

En somme, la situation des Bordjiens est vraiment lamentable et dangereuse.

Ayant appris le prochain voyage du Cheik Benalioua, et attendris par les dangers que nos frères de cette localité vont courir, nous tenons à les prévenir.

A cause de cette confrérie des femmes furent divorcées, des maisons et des terrains vendus, des labours négligés, des familles et des enfants abandonnés et nous ignorons encore le but de ce chef religieux qui veut modifier la religion Mohammadienne en semant la discorde partout où il est passé.

Que Dieu nous préserve des calamités de l’avenir et des maux de Benalioua et de sa Confrérie.

Et le salut.

Un groupe de Bordjiens ??? sans signatures, ni noms.

Bône-journal du 20/10/1922

 

Réponse de la population de Bordj-Bou-Arréridj

Réfutation des accusations portées contre le Cheikh Ahmed Alawi, Étant donné qu’il s’agit d’un témoignage sincère et d’une déclaration de désaveu, elle a été publiée dans le journal "Lissane Eddine", n°6, du 6 février 1923 :

Une lettre nous est parvenue de Bordj-Bou-Arréridj, sous le titre : "Parmi les choses les plus étonnantes : que certains s’appuient sur le doute", dans laquelle les habitants de Bordj-Bou-Arréridj déclarent leur innocence face aux accusations qui leur ont été attribuées.

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux

Nous, membres de la communauté de Bordj-Bou-Arréridj, appartenant aux corps du conseil municipal et du conseil électoral, c’est-à-dire au niveau administratif et commercial, déclarons à nos frères que nous avons effectivement transmis notre témoignage à Son Excellence le Gouverneur Général, sur ce que nous avons constaté de la conduite du Cheikh Sidi Ahmed Ben Mostefa Alawi de Mostaganem, telle qu’elle nous est apparue à travers ses nobles actions lors de son passage en Kabylie.

Notre intention en cela n’était rien d’autre que de témoigner de la vérité et de reconnaître les faits, car il n’est pas du ressort d’un homme juste de nier le mérite de celui dont les terres elles-mêmes attestent aujourd’hui des bienfaits. Et comme on dit : "Le témoignage direct vaut mieux que mille récits."

Nous avions parmi nous certains individus venus de Kabylie qui, avant l’arrivée du Cheikh, étaient imprégnés de vices en tout genre, à tel point qu’ils ne laissaient de côté aucun acte immoral, à l’exception peut-être du polythéisme (que Dieu nous en préserve). Le meurtre d’âmes innocentes et autres forfaits similaires étaient presque devenus chez eux des habitudes quotidiennes.

Mais depuis l’arrivée du Cheikh parmi eux, et la diffusion de ses conseils et exhortations, tous ces comportements déviants ont disparu, comme si cela appartenait au passé. Leur état s’est transformé de manière visible, et aujourd’hui, on ne rapporte à leur sujet que des choses réjouissantes : des réunions spirituelles, des conseils dans la voie de Dieu.

En résumé, leurs biens et leurs récoltes passent la nuit sans même un gardien, et notre région a bénéficié, par la bénédiction de ce maître, d’un bien-être et d’une sécurité sans précédent.

C’est pour cela que nous avons proposé avec insistance à Son Excellence le Gouverneur Général et aux responsables de notre gouvernement d’autoriser le Cheikh à voyager librement dans notre région, afin de préserver la paix durablement. Et nous leur avons démontré, par une preuve irréfutable, que les maux sociaux ne persistent que dans les lieux où le Cheikh n’est pas encore passé. Nous avons même apposé nos signatures pour nous porter garants de tout ce que ce maître pourrait dire ou faire.

Son Excellence le Gouverneur Général a répondu favorablement à notre requête – qu’Allah le récompense pour cela.

Mais voilà que, tandis que nous nous réjouissions de la présence de ce Cheikh dans notre région et de sa tournée spirituelle bénéfique, le directeur du journal "En Nadjah" (que Dieu lui pardonne) publie dans son numéro 83 (13) une information selon laquelle une lettre émanant d’un large groupe de personnes à Bordj-Bou-Arréridj met en garde les habitants de Constantine contre la venue du Cheikh, de peur qu’ils ne soient trompés comme le furent, selon eux, les gens du Bordj-Bou-Arréridj, en évoquant des calamités prétendument causées par lui...

Nous disons alors : Gloire à Toi, Seigneur ! Voilà une immense calomnie.

Mais qui sont donc les "habitants du Bordj-Bou-Arréridj", au juste ? Serait-ce autre que nous-mêmes ? Impossible ! Sauf si ceux qui ont écrit cette lettre ne sont pas des musulmans, ou alors si cette lettre a été fabriquée de toutes pièces par des mal-intentionnés.

C’est pourquoi nous vous demandons, Monsieur le Directeur et Monsieur le Rédacteur du journal "Lissane Eddine", de publier dans votre journal notre désaveu clair de ce qui nous a été faussement attribué, et d’affirmer publiquement notre attachement constant à ce maître, en déclarant que nous restons pleinement satisfaits de ses actions dans notre région, et que nous nous portons garants de toutes ses paroles et œuvres auprès de notre gouvernement.

Et que la paix soit sur vous.

Signés : Un groupe d’habitants de Bordj Bou Arréridj.







Commentaire analytique et critique de l’article calomnieux contre le Cheikh Alawi (Ben Alioua) par Derwish Alawi :
 
L’article publié dans le journal "Bône-Journal", datant du 20/10/1922, au sujet du Cheikh Alawi, constitue un exemple flagrant des campagnes de diffamation dirigées contre les figures du renouveau spirituel et du soufisme pur en Algérie, dans le contexte du colonialisme français et des luttes idéologiques et sociales internes. 

L’article accuse le Cheikh Alawi de semer la discorde et de diviser les musulmans, allant jusqu’à prétendre que des foyers auraient été détruits et des femmes répudiées à cause de lui. Ce sont là des allégations sans fondement ni preuve crédible, reposant sur un discours émotionnel et manipulateur, destiné uniquement à nuire.
 
Le texte émane de prétendus "notables", dont aucun nom n’est mentionné, ce qui affaiblit considérablement sa crédibilité. De telles accusations étaient souvent encouragées par des cercles liés à l’administration coloniale, ou par des courants opposés au soufisme, qui voyaient dans l’influence du Cheikh une menace à leur propre pouvoir, qu’il soit religieux ou social.
 
Accuser le Cheikh de vouloir "changer la religion du prophète Mohammed (§)" révèle une ignorance profonde de la nature de sa mission, qui visait au contraire à raviver la dimension spirituelle de l’Islam, et non à le modifier. Le Cheikh Alawi mettait en garde contre l’immobilisme, les déviations doctrinales et formelles, et appelait à un juste équilibre entre la charia (la loi) et la haqîqa (la vérité intérieure).
 
Il convient de replacer cet article dans son contexte historique. La France coloniale combattait toute forme d’influence religieuse susceptible de menacer son autorité, en particulier celle des confréries soufies non alignées sur le pouvoir.
 
La montée de courants salafistes rigoristes, hostiles au soufisme et le considérant comme une forme de polythéisme ou d’égarement, a mené à une opposition ouverte contre le Cheikh Alawi, malgré son rejet clair de toute forme d’excès ou d’hérésie.
 
Des tensions locales entre disciples de différentes confréries étaient parfois exploitées à des fins politiques pour monter l’opinion contre certains cheikhs.
 
L’article en question ne peut en aucun cas être considéré comme un document historique fiable. Il s’agit plutôt d’un pamphlet de propagande, rempli de contrevérités, dont le but était de nuire à la réputation du Cheikh Alawi et de saper sa mission réformiste. Or, les faits et l’histoire contredisent clairement ces accusations : le Cheikh Alawi demeure une figure emblématique de la modération et de la spiritualité, un promoteur de la paix et de l’unité, et non un fauteur de discorde.
 
Son influence spirituelle et intellectuelle reste vivante jusqu’à aujourd’hui, en Algérie comme ailleurs – ce qui constitue en soi un démenti éclatant à toutes ces accusations mensongères.

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