Abderrahmane El Mejdoub

Abu Muhammad Abdul-Rahmân Ibn Abul Surûr 'Ayyad Ibn Abu Ishâq Ya'qûb Ibn Salâma Ibn Khashân as-Sanhâji al-Farrâj al-Hilâlî "connu sous le nom" d'al-Majdûb, de la lignée des saints d'élites originaires des Ouled-Faraj, une des tribus des arabes des Dukkâla, subdivision des Baní Hilâl. Le surnom al-Majdûb (l'illuminé, le ravi) lui a été attribué par ses contemporains. (Autre orthographe : Abderrahmane El Mejdoub, Abd er-Rahman El-Medjedoub, El-Mejedoub ou El-Majdoub).

Naissance et enfance

Abdul-Rahmân al-Majdûb est né en mois de Ramadân de l'année 909 de l'hégire (1504), au village de Tît-n-Fatter, aujourd'hui Tît, un faubourg de la ville d’al-Jadida, sur la cote de la région d'Azemmour. Il y grandit, et c'était là le berceau de ses ancêtres. Puis son père sidi Abul Surûr 'Ayyad partit pour les environs de Miknâsat al-Zaytûn (Meknès) et s'établit en un lieu nommé Irruggân en 914 h (1508-09).

Ses maîtres

Abdul-Rahmân al-Majdûb partit à Fès où il étudia chez les grands savants de l’époque. Puis adopta le soufisme. Les quartes maîtres de sidi Abdul-Rahmân sont : Ali as-Sanhâji, Abû Rawâîn, Saïd al-Mashtara'i et' Omar al-Khattâb, tous d'une façon ou d'une autre, se rattachaient à la Shadhûliyya soit par un isnâd remontant au maître Zarrûq, soit par un isnâd remontant, par le maître al-Tabba', à al-Jazûlî. Cependant après la mort de sidi Ali as-Sanhâji, sidi Abdul-Rahmân continuait à rendre visite à ses autres maîtres, en tirait bénédiction et instructions, ne négligeant pas les devoirs de considération qui leur étaient dus. C'est ainsi qu'il reçut l'apprentissage du dépouillement de la volonté propre (salb al-irâda) de son maitre Omar al-Khattâb. Mais c'est auprès d’Ali as-Sanhâji ad-Dawwâr, qui fut son premier maître, que sidi Abdul-Rahmân fut enfanté spirituellement et reçut les grâces spirituelles (l'héritage initiatique).

Son enfantement spirituel

L’enfantement spirituel d’al-Majdûb par le maître Ali as-Sanhâji ad-Dawwâr, et sa confirmation dans l’état « mystique », se produisirent dans le monde caché : il reçut cet état de l’âme même du maître, en son absence physique.

Il resta alors, une année durant, à crier : « Allâh ! Allâh ! » Ne sachant pas ou était son compagnon, ni ou se dirriger pour le retrouver. Et lorsqu’il le rencontra à Fès, il le reconnut. Lorsqu’il eut rencontré son maître, il vît, dans le monde caché, que celui-ci l’élevait de son nombril sur son doigt ; et voici que les « gens de Dieu » étaient réunis ; et le maître Ali as-Sanhâji ad-Dawwâr leur disait : « celui qui m’aime, qu’il donne à celui-ci ! »

Cela se produisit effectivement dans le monde visible : al-Majdûb tournait de l’un à l’autre et chacun lui donnait. Certains même, le pourvoyaient ou bien faisaient de lui leur héritier sans qu’il ait à faire sa tournée chez eux.

Enfin, on ignore combien de temps al-Majdûb a passé auprès de son maître, on raconte qu’il ne l’a rencontré qu’une seule fois seulement.

L'extatique (al-Majdûb), le Malâmatî

Al-Majdûb, c'est-à-dire un illuminé, un ravi, un homme caractérisé par des états de transes extatiques (ahwâl). Le terme Majdûb finit même par le désigner de façon particulière, en même temps où, pourtant, les extatiques étaient légion.

Il entra dans cette situation relative à l'extase divine et au rapprochement amoureux comme c'est le cas pour celui qui est voulu et aimé, et que la pure sollicitude éternelle et les grâces électives poussent vers l'objet recherché comme il dit dans un des ses quatrains :

Attiré, aimé, désiré
Habitant dans la terre des hauteurs
Et ce que décréta notre Dieu fut
Dans la tête, point ne me fera effacé.


C'était un Malâmatî, c'est-à-dire un homme dont le comportement peu conformiste, voire provocateur, suscitait aussitôt l'animosité et suspicion. Nous savons qu'il eut maille à partir avec les commerçants, les notables, les clercs et le pouvoir politique de la ville d'El-Qsar. Il eut quelques démêles avec le milieu soufi, et non avec les moindres de ses représentants dans la ville puisque, selon les traditions orales, un de ses protagonistes fut un Misbâhî.

Inspiration, transe, quatrains

C'était un homme qui, surtout dans ses moments d'exaltation, était doué d'une certaine éloquence et d'une certaine veine poétique ; ses quatrains sont devenus proverbiaux dans tout le Maghreb ; durant quarte siècles ils ont été à la source de créations nouvelles et ininterrompues, lesquelles lui sont généreusement attribuées.

Néanmoins, contrairement aux idées reçues, Abdul-Rahmân al-Majdûb ne perdait pas toute notion de lui-même et n'était pas totalement retranché du monde sensible et de ses perceptions. Simplement il en était de lui comme des parfaits : il satisfaisait aux devoirs religieux et aux prescriptions légales, s'acquittant des "droits" (de Dieu), et n'en laissait passer aucun, ni du coté de la vérité, ni du coté de la réalité. Il avait des épouses et des enfants ; il avait une zawiya où l'on nourrissait les étrangers, les voyageurs et autres qui y venaient ; on y accomplissait les cinq prières, en rang ordonné et au moment précis, scrupuleusement. Il lui arrivait de lancer l'appel à la prière lui-même, si celui qui en était chargé n'était pas là. Lorsque ses compagnons se réunissaient pour le Dhikr selon la coutume des confrères, ils le pratiquaient dans la position assise ; et si l'un d'eux, entrant en effervescence, se levait ou se mettait à danser, il les faisait taire et dispersait cette réunion.

Il lui survenait souvent, une très forte inspiration qui l'arrachait de sa place. Cela se manifestait alors en lui par des mouvements continus et inhabituels de sa part, et des discours rythmés du genre des "gens de la coutume" et selon leurs mesures poétiques, dont les gens conservaient une grande partie en mémoire et qu'ils se transmettaient les uns aux autres dans leurs réunions et dans leurs séances de Dhikr. Ils contiennent en effet des réalités et allusions sublimes, des expressions relatives au "gout" (de l'amour divin), que comprennent ceux qui ont "goûté" et dont les initiés reconnaissent l'intention profonde. Ainsi, que des divinations concernait les événements et faits à venir. Et effectivement beaucoup de choses qu'il annonçait et auxquelles il faisait allusion se produisaient. Mais lors qu’arrivait le moment de la prière rituelle et qu'il en entendait l'appel alors qu'il était sous l'emprise de cette inspiration et possédé par cet "état", il disait : "l'annonce du Roi vient d'arriver", il voulait dire l'appel à la prière ; il revenait alors à son sens comme s'il n'avait rien eu. Et lorsqu'il avait terminé la prière, il revenait à cet état comme si c'était un vêtement qu'il avait enlevé puis qu'il revêtait de nouveau. C'est là une marque distinctive des états divins purs de tout mélange, et c'est pourquoi il n'y eut en lui aucune manifestation de dérangement mental.

Son état était celui des justes, et sa voie celle des hommes à la foi sincère. Il cherchait dans ses actes à acquérir la sincérité à l'égard de Dieu et à rendre toujours meilleure sa relation avec Dieu. Il ne se préoccupait pas de la manière dont les créatures le considéraient, car son sens intérieur était concentré sur la vérité, se suffisant de la science de Dieu qui est antérieure à tout et se coupant de la compagnie des créatures, et il disait :

Creuse pour enfuir ton secret et tasse-le
En terre à soixante-dix brasses
Et laisse les créatures à leur perplexité,
Jusqu'au jour de la résurrection.


Ses excentricités

Il lui arrivait souvent d'accomplir des actes qui, au début, suscitaient la répugnance des gens, lesquels étaient pris par surprise. Mais ces actes, si on en examinait la réalité et la finalité, revêtaient un autre aspect, différant de celui qui avait initialement été envisagé; et en les considérant ainsi, on en arrivait à les trouver bons, à en reconnaître le bien fondé ou à concéder que les faire était permis...

Voici un exemple de qui arriva à ce propos, il passa un jour devant le marché campagnard bondé de gens. Lorsqu'il y pénétra, les gens s'agglutinèrent autour de lui et se bousculèrent en foule, au point d'en abandonner presque leurs affaires et de les compromettre. Voyant cela, il passa près d'un danseur en train de tambouriner sur son instrument ; il se plaça devant lui et se mit à danser. Lorsque les gens virent cela, ils s'écartèrent de lui et se dispersèrent, et ne restèrent avec lui que ceux qui avaient l'habitude de suivre ses pas. Ses compagnons en eurent grande honte car les langues marchaient bon train en décochant leurs traits médisants. Il dit alors : «Qu'ai-je à faire de toutes ces fourmis qui s'accrochent à moi ? Cela vous fait-il plaisir que je sois adoré à la place de Dieu, Et supposons que j'ai commis une bévue ! Eh bien, j'en demande pardon à Dieu!»

Un autre exemple : il était en voyage avec ses compagnons. Ils passèrent près d'un troupeau de bovins alors que la nuit était proche. Un de ces bovins s'était écarté du troupeau. Abdul-Rahmân al-Majdûb leur dit : «prenez-le et égorger-le!» ils le firent. Les choses étant ainsi, et les bovins étant retournés à leur étable, voici que la propriétaire du bœuf se mit à rechercher sa bête égarée. Elle vint, l'obscurité étant tombée, et elle dit: «Hé! Pauvres (en Dieu)! Quelqu'un de vous n'aurait-il pas vu un bœuf par là ? La seule chose qui me soucie, c'est que j'avais fait le vœu de le donner à sidi Abdul-Rahmân al-Majdûb !» Ils lui répondirent : «il vient d'arriver à destination! Abdul-Rahmân al-Majdûb que voici a pris ce qui était à lui !» Tous ceux qui étaient là furent émerveillés de sa prescience et de la connaissance qu'il avait de la chose alors qu'il ne l'avait pas vu auparavant... Et il arriva dans cette affaire que le maître Abul Mahâsin Yûsef al-Fâsî, encore disciple, était avec lui, et il ne mangea point de ce bœuf avant que le fond de l'affaire lui apparaisse clairement, par souci de s'en tenir au sens apparent de la loi religieuse.

Son histoire en vêtements féminins

Quant à l'histoire par laquelle les faiseurs de ragots le déshonorent, et que gobent les gens (à la cervelle) figée, à savoir qu'il s'habillait en vêtements féminins, les choses ne sont pas telles qu'ils prétendent, il n'a fait cela qu'un jour, et non pour s'habiller. L'affaire se passa comme suit : à une certaine époque, les gens eurent un très grand besoin de pluie, et leurs demandes s'étaient répétées pour cela sans succès. Alors, un de ceux qui croyaient dans le maître vint à lui, espérant sa vertu bénéfique par le fait qu'il sortirait avec les gens pour demander la pluie à l'Istisqâ. Il sortit donc avec eux. Lorsqu'ils s'avancèrent affrontant l'étendue sèche et désolée, lui chercha son appui en Dieu dans ce but. Alors les portes du ciel s'ouvrirent et une pluie d'une abondance telle que les gens s'enfuirent pour se mettre à l'abri. Quant à lui, il resta là, exposé. Puis il entra dans la ville. Alors les gens manifestèrent une joie et un bonheur sans pareil et reconnurent le triomphe de sa vertu bénéfique et de son mérite. Leurs cours s'épanchèrent, s'adonnant à toutes sortes de générosités et n'ayant d'ambition que de faire des aumônes : entre autre, une femme jeta sur lui une chemise fourrée, il l'enfila sur son cou ; une autre femme lança sur lui un foulard, il le mit sur sa tête. Ce n'était point pour s'habiller: c'était pour manifester sa joie de la libéralité de Dieu. Mais alors, ceux qui le désavouaient se répandirent en critique, aveugles à la vertu bénéfique dont le profit venait de s'étendre largement sur le pays.

Sidi Abdul-Rahmân al-Jazzâr « le Boucher » ?

Sidi Abdul-Rahmân al-Majdûb s'établit plus tard dans la région du « Habt » jusqu'à la fin de sa vie. Au début de sa carrière il lui arriva d'acheter des moutons, promettant au vendeur de lui en régler le montant. Puis il égorgeait ces bêtes et en distribuait la viande aux faibles et aux pauvres. Lorsque le vendeur arrivait pour en recevoir le prix, il tirait l'argent du monde invisible et lui réglait le prix des moutons. Ce fut pour cette raison que, dans les propos des gens, se répandit l'affirmation qu'il était boucher, alors que le fait ne se produisit qu'environ une fois ou deux.

Mariage charitable

Il lui arrivait de se marier avec une femme pauvre que personne ne remarquait ni la regardait. Il ne se mariait avec elle que pour être son protecteur et l'adjoindre à la famille, en raison de la dureté du temps et de ses difficultés ; et lorsqu'elle s'était remplumée, la situation s'était améliorée, il répudiait cette femme… une fois, il laissa sa famille sans rien, lors de quelque famine, et il partit dans la « Dukkâla » travailler pour ses orphelins là-bas. Il passa avec ceux-ci cette période de famine, puis il revint à sa famille et les trouva qui avaient été l'objet de la sollicitude de Dieu bien mieux que s'il avait été avec eux. Car celui qui est pour Dieu, Dieu est pour lui.

Persécution par les Arûsiyîn, dynasties d'al-Qsar

Un jour, à al-Qsar. Il passa prés de l'endroit où se tenait le commandant de la ville qui tenait séance au grand marché. Celui-ci le vit et dit à un de ses compagnons : «appelle-moi ce (...) que nous nous amusions de lui !» et il dit à Abdul-Rahmân al-Majdûb : «Hé marabout ! Est ce que tu veux boire un peu de vin?» Il lui répondit : «oui!» Il savait où il voulait en venir. Le commandant appela un serviteur à lui et dit : «apporte un gobelet de vin qui se trouve à la maison!» Il le lui apporta. Et le maître but jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'un petit peu dans le gobelet, et il dit : «cette chose là est douce!» Le commandant dit : «voyez ce marabout! Il boit du vin et en plus il ment!» Abdul-Rahmân al-Majdûb les quitta. L'une des personnes présentes prit ce gobelet, but de ce reste et dit : «c'est doux, comme il l'a dit !» le commandant rétorqua : «toi aussi tu prétends cela?» il répondit : «oui ! Par Dieu!» et il le lui tendit. Il en but et le trouva doux comme il disait. Alors il dit : «hé! Un tel! De quel endroit as-tu pris cela?» Il lui répondit : «de tel récipient!» Il lui dit : «retourne là-bas, et rapporte-nous-en un peu!» Il en apporta, et le commandant le trouva amer. Alors ils vérifièrent que cela était un signe et que (ce signe) était de l'ordre de transmutation de l'essence (des choses). Comme on dit : celui auquel ils remontent est, certes, capable de transmuer les essences.

Ce même commandant « Arûsî » du Qsar avait frappé, un autre jour le Cheikh Abdul-Rahmân al-Majdûb, et avait ordonné qu'on le roue de coups de pieds. Lorsqu'on eu fini de le frapper, Abdul-Rahmân al-Majdûb se releva de terre et lui dit : «par Dieu, j'ai subi trois incursions, ô sidi Nâsir!» Il voulait parler de la guerre contre l'âme, car dans la mesure où on humilie celle-ci et où on l'abaisse, la vérité se dévoile et « l'idée » resplendit.

Lorsque Abdul-Rahmân al-Majdûb les eut quittés, l'un de ses compagnons le trouva en train de se laver les mains en répétant ce geste plusieurs fois. Il lui demanda : «qu'est-ce que cela maître?» Il lui répondit : «c'est ainsi qu'al-Qsar sera lavé des Arûsiyîn !» Ce fut là, en effet, la dernière période de leur gouvernement, puis ils disparurent, et ce commandant fut le dernier d'entre eux.

Ses prodiges (grâces miraculeuses)

Un châtiment exemplaire

parmi ses Karâmât, un homme qu'on appelait al-Bûtî lui vouait une haine intense, acharné à le désavouer, il le nommait par dérision, « al-Majdûm » (le lépreux); et voici qu'une nuit, il vit le maître en songe: dans sa bouche il y avait une trompe; il s'approcha de lui et souffla sur son visage et des postillons de lui l'atteignirent. Au matin, chaque endroit (atteint) par ces goutes étaient lèpre. Et cela ne cessa de se répandre sur son corp au point que, les gens de sa famille éprouvant de la répulsion pour lui, il se monta une petite cahute à l'extérieur de la ville jusqu'à ce qu'il meure exclu et isolé.

Multiplication des figues

Un autre exemple rapporté par le Shérif 'Alami Muhammad Ben Raysûn, celui-ci disait : « j'ai vu al-Majdûb alors que, étant au pèlerinage au (sanctuaire du) maître sidi Abdu-Salâm, il passait prés de nous. On lui avait apporté des figues séchées dans un couffin, et il y en avait très peu au fond du couffin. Il posa sa main dessus, et cela commença à croitre jusqu'à ce que le panier soit rempli. Dans ce fait, et d'autre en même genre, il y a l'indication que la maison d'al-Majdûb est une maison au pouvoir mystérieux construit sur les causes intermédiaires. Il en, est de cela comme du fait que le prophète, que Dieu lui adresse ses prières et ses salutations, nourrit un millier de personnes avec un sa' (mesure de capacité pour le grain). On trouve chez les gens du Hadîth mention de ce genre de choses.

Guérison d'une femme tourmentée

Une femme au nom d'al-Rym, et dont le mari « Ben 'Issa » était l'un des compagnons d'al-Majdûb, vint se plaindre un jour à celui-ci d'un mal qui l'avait atteinte au genou. Il lui dit : «va t'asseoir là-bas à cet endroit!» Il voulait indiquer que son genou ne devait être touché que par son mari ben 'Issa. Puis il se mit à cracher dans sa main et a masser son propre genou. Puis il lui dit : «lève-toi!» Et elle s'en alla, et elle n'avait plus le moindre tourment. Aussitôt le maître se leva, se plaignait de son genou, et il resta douloureux pendant plusieurs mois. Et il disait : «voyez ce qui m'est arrivé a cause d'al-Rym !»

Un ennemi se moque du fait qu'il est gras

Un homme, de ces gens aux propos obscènes, passa prés de lui un jour. Et il se mit à frapper le maître al-Majdûb sur la nuque avec une nuance de réprobation en disant : «tu es devenu bien gras ! Tu es devenu bien gras! Hé toi!» Il lui répondit : «bien sûr! Et ils ne sont devenus gras qu'après avoir cru ! Mais attends un peu que j'enlève cette branche qui gêne !» -une branche qui était là-. Il dégaina un ébranchoir qu'il avait avec lui et coupa cette branche; et dés le moment où il la coupa, cet homme cria et se recroquevilla, rendu tout tendu par une douleur qui l'avait atteint comme s'il avait été transpercé par quelques chose. Et ce fut la dernière chose que l'on sut de lui.

Son expression : «ils ne sont devenus gras qu'après avoir cru !» se rapproche de la parole du maître al-Shâdhilî, que Dieu l'agrée : «le saint atteint un stade appelé [Nous t'avons accompagné de la sauvegarde et avons aboli de toi tout sujet de blâme]. Quand au maître al-Qassâr, il faisait le rapprochement entre cette parole d'al-Shâdhilî et le Hadîth : «Dieu n'a-t-Il pas considéré les gens de Badr et dit : faites ce que vous voulez, car moi je vous ai pardonné.» et le verset : «Dispense-le donc (le don de Dieu) ou retiens-le sans mesure !»

Quant au fait d'être gras, il provient de l'ardeur du sang de sa mise en ébullition, de son abondance et de sa dilatation, par la force de la lumière du cœur, celle-ci ayant sa source dans la contemplation de la beauté et la surrection de l'esprit à cette vue. Cela tient alors lieu d'alimentation pour le corp, comme dit le prophète, que Dieu lui adresse ses prières et ses salutations : «et moi, durant la nuit, Il me nourrit et m'abreuve.» Cela ne vient donc pas obligatoirement de l'excès de nourriture ; et parmi les saints, nombreux furent ceux dont le corps était caractérisé par la corpulence et l'embonpoint.

Son portrait physique et moral

Al-Majdûb était de taille moyenne, de couleur brune, corpulent, grosse tête, visage rond, épaules larges, poitrine vaste, taille épaisse, gros ventre, cuisses et jambes épaisses, pieds petits. Dans une autre description, on le décrit comme homme courtaud et de couleur cuivrée.

Sa conduite était belle. Il était familier, majestueux. Il parlait avec les gens tout en étant isolé d'eux par son « secret ». Il ne se prévalait ni de ce qu'il faisait ni de la situation qui était la sienne. Il ne voulait connaître ni expression ni parole le concernant. Au contraire, ce qui dominait en lui c'était ce qui émanait de lui et se manifestait en lui de son appel à la suffisance en dieu dans lequel il se glorifiait. Il parlait des choses transcendantes et de leurs mystères. Son état était d'une grande force.

Il plaisantait fréquemment avec sidi Mas'ûd al-Luqmânî entre autres, et il y a à ce propos, les concernant, des anecdotes qui sont connues. Il faisait de l'escrime au bâton avec son servant sidi Muhammad al-Niyyâr, cela afin de refroidir ce qu'il avait en lui et faire revenir son âme à son sens; cela est connu chez d'autre que lui : on s'adonne à ce qui est susceptible de refroidir l'ardeur de «l'état» et de faire revenir à l'existence ordinaire.

A propos de l'extase et du fait qu'il en gardait le secret, il disait : «tous les gens sont des Majdûb, et moi, on m'en a particularisé !» Il parlait de cette appellation, et ce qu'il voulait dire, c'est que chacun est « attiré » par ce à quoi il attache de l'importance, soit en ce qui concerne ce bas-monde ou la subsistance quotidienne (l'au-delà), soit en ce qui concerne autre chose. Cela signifie que celui dont le cœur est attaché à quelques chose, quelque soit cette chose, est attiré par elle.

Un jour, son servant al-Niyyâr lui apporta des pantalons et les suspendit à un jujubier. Et al-Majdûb se mit à dire : «Voyez la cause de perdition qu'al-Niyyâr a apporté à son maître.

Une autre fois, il lui apporta des sandales pourvues de grandes crêtes comme en portaient les gens (riches) de l'époque. Al-Majdûb se mit alors à héter ses compagnons en disant : «regardez, braves gens ! Al-Niyyâr a apporté la « Tbânta » à son maître. » La « Tbânta » étant un tablier de cuir que le domestique attache à sa taille pour protéger ses vêtements des objets dont il se sert.

La conclusion de ces anecdotes semble vouloir dire qu'al-Majdûb ne se faisait servir comme un personnage important qu'en apparence, et que des exemples de ce genre sont à comprendre dans l'optique du Malâmatî qui cache sa sainteté sous des dehors qui, extérieurement, la contredisent. Ce sont donc ceux qui n'ont aucune connaissance qui le soupçonnent de cela ou d'autres choses de même genre.

Son décès

Abdul-Rahmân al-Majdûb, durant sa vie, alors qu'il était à Meknès, s’était arrêté sur la tombe de l'Imam Abû 'Imrân Mûssa Ben Mûssa al-Janâtî, disciple d'Abû 'Imrân al-'Abdûsî, et il avait dit : «Ici, nous voisinerons sidi ‘Imrân !» et il avait pris un pieu et l’avait planté en terre de telle façon qu’il disparaisse et soit caché ; et ceux qui étaient là n’y avaient pas fait attention. Lorsqu’il fut sur le point de mourir, à Bûzîrî, il ordonna qu’on le mette sur un cheval à lui de couleur fauve, et qu’on laisse celui-ci aller avec lui jusqu’à ce qu’il s’arrête, et il dit : « si le cheval peine, dites : il n’est de divinité qu’Allâh ! » Et il mourut sur ce cheval, à marshâqa dans la région du habt, alors qu’ils allaient avec lui. Et le cheval ne s’arrêta pas avant d’être arrivé à l’endroit qu’il avait marqué à Meknès. Ce fut là qu’ils creusèrent, et alors ils trouvèrent le pieu qu’il avait planté, tel quel ; et il fut inhumé à sa place même. Cheikh al-Majdûb aurait dit à ses compagnons et a ses enfants : « enterrez-moi à Meknès, car c’est Mekka [ la Mecque] et nâs [gens de la famille] » Et, dit-on, le secret de son inhumation dans cette ville c’est que là était son pays. Il n’était parti dans la région du Habt qu’en vue d’un dessein qu’il avait, à savoir que son héritier, celui qui porterait son secret, était là-bas : c’était là un dépôt qu’il avait à lui remettre ; et lorsqu’il eut accompli son dessein, il revint à son pays.

Sa mort eut lieu la nuit du vendredi coïncidant avec la nuit (veille) de la fête du sacrifice. Il fut enterre à l’extérieur de Bâb ‘Issa, à l’endroit mentionné plus haut, cela le dimanche 12 de Dhul-Hijja de l’année 967 / 28 Mai 1569. Son disciple et successeur Abul-Mahâsin Yûsef al-Fâsî bâtit sur sa tombe un sanctuaire.


Source : Ibtihâj al-Qulûb de Abdul-Rahman Ibn Abdul-Qâdir al-Fâsî (1631-1685/1040h-1096h), traduit en français par A.-L. de Premare, tiré de son livre : Sidi Abdu-Rahman el-Majdûb, les cahiers du C.R.E.S.M (centre de recherche et d'études sur les sociétés méditerranéennes, édition du CNRS Paris.

A lire également Les Gnomes de Sidi Abd er-Rahman El-Mejdoub (format PDF) de comte Henry de Castries, 1850-1927.

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