Mostaganem est une ville dont la partie arabe est nettement séparée de la ville européenne ; la nature du bien a imposé cette séparation, consistant en un profond ravin, laissant à chaque partie son caractère particulier. La ville arabe s’appelle Tijditt, c’est là que se trouve la zaouia Alaouia, face à la mer, qui devint célèbre parce que là reposent les cendres du Cheik El Alaoui et qu'il demeure vivant en ses foqaras (adeptes).
Pour relater l'histoire de cette Zaouïa j’invite le lecteur à lire ce qu'écrivit le docteur Marcel Carret, de Tanger, européen d'origine, qui publia ses souvenirs du Cheikh El Alaoui, fondateur de cette confrérie soufie.
Cette Zaouïa comprend deux constructions séparées par une route : à droite, c'est un large enclos, en grande partie à ciel ouvert, avec un préau ; c'est là que se tient annuellement le congrès appelé chez les soufis, « Ihtifal » qui réunit chaque année des disciples d'Afrique du Nord, d'Orient et d'Europe, au nombre imposant de 5000 environ.
A gauche, à l'entrée après un petit passage, il y a une salle de prière imposante avec sa coupole orientale, peinte en vert, entièrement recouverte de nattes (sorte de tapis en alfa, carrée, de grandes dimensions, donnant accès à la salle de méditations. Le Mihrab de l'Imam, derrière laquelle se trouve la bibliothèque du Cheikh El Alaoui contenant des manuscrits et ouvrages de sa propre main, notamment une explication du Coran ; toutes les sciences modernes contemporaines s'y trouvent représentées et sont expliquées dans ce livre sacré du regretté Cheikh El Alaoui.
Cette salle sert aussi pour les réceptions du Cheikh, ses invités et ses adeptes. Enfin, face à la Bibliothèque, à un degré plus élevé, se trouve le « Dharih », la salle où reposent les cendres du Cheikh El Alaoui, fondateur de cette confrérie soufie.
Le Cheikh El Alaoui est décédé en 1934 ; sa disparition a jeté la consternation générale dans tous les milieux. Il avait dirigé durant sa vie un quotidien arabe appelé « El Balagh » qui lutta contre tous ceux qui ne voulaient pas reconnaître l'existence divine et plus spécialement contre les réformistes qui veulent tromper la masse. Il dirigea aussi un autre journal appelé « Lissan Eddine ».
Plusieurs chrétiens ont été unanimes à reconnaitre, à leur première visite, qu'il ressemblait au Christ. Un des « foqaras » me rapporte l'anecdote suivante :
« Un Père Jésuite fit un jour visite au Cheikh, ayant formulé le désir d'entrer en contact avec les chefs religieux musulmans. Lorsqu'il fut mis en présence du Cheikh, il demeura pendant un quart d'heure à l‘observer dans un mutisme complet ; puis, reculant, il prit la fuite en abandonnant ses souliers. Il fut rejoint à 400 mètres plus loin et on lui demanda la cause de cette fuite. Il leur répondit : « J'ai l'impression que c'est le Christ qui est assis là, je n'ai pas pu soutenir le regard qui me scrutait ».
À la mort du Cheikh Alaoui, la confrérie demeura sans Cheikh et l'on se demanda quel était celui qui dirigeait la confrérie. Puis, un jour, les gens reconnurent au Cheikh Sidi Hadj Adda Ben Tounès, sa position de chef spirituel de la confrérie. Car dans le soufisme, le successeur ne se désigne pas. C'est Dieu qui désigne l'homme le plus dévoué à sa cause pour répandre la science divine. Dans ce mouvement, les savants ne pourront jamais adhérer à ces confréries tant qu'ils n'auront pas rejeté leur « savoir acquis » pour se plier aux ordres Divins.
Le Cheikh Sidi Hadj Adda Ben Tounès, qui dirige la confrérie Alaouie, préside aussi le Mouvement des « Amis de l'Islam » lesquels donnent occasionnellement une causerie à Oran au Touring Club.
Depuis 1934, la confrérie connut un essor nouveau grâce au dévouement du Cheikh Sidi Hadj Adda Ben Tounès, qui se dépense sans compter pour enseigner ses disciples, leur prodiguer des conseils quant à leurs obligations religieuses, ainsi qu'à celles s'attachant à la vie, à la fraternité humaine et à la haute spiritualité. Ici, en Algérie, tous ceux qui ont connu le Cheikh ou ses adeptes, sont unanimes à reconnaître ses qualités et sa noblesse, Il est à noter que le Cheikh jouit auprès des milieux chrétiens, d'une chaude sympathie, d'une vénération et d'une estime sans égales. Il reçoit ses visiteurs non musulmans avec courtoisie, respecte leurs convictions et leur démontre, durant tout l'entretien, que la synthèse des religions est la meilleure base d'une fraternité durable. D'ailleurs sa renommée dépasse l'Afrique et l'Orient. D'Europe et d'Amérique, des dizaines d'illustres personnalités, ayant pris contact avec lui, embrassèrent la foi islamique, lis sont aujourd'hui disséminés dans le monde et diffusent son idée spirituelle fraternelle. A chaque congrès, ses adeptes se déplacent de très loin et viennent chaque fois plus nombreux. Dans le but d'éclairer le monde sur cette confrérie soufie, et répondent au désir de ceux qui nous demandèrent de leur exposer un précis de sa doctrine, nous avons sollicité du Cheikh Sidi Hadj Adda Ben Tounès, de vouloir répondre à quelques questions.
I. — Quel est le but de la Confrérie Alaouia ?
« C'est celui de toute confrérie soufie vraiment spirituelle. Définir le soufisme, c'est tout ce qui nous indique la voie divine et la façon de se rapprocher d'Allah par les bonnes actions, jusqu'à ce que l'apôtre se rapproche du but final. N'y parviennent en général que ceux que Dieu a fait bénéficier d'un héritage solide, tel que celui des prophètes (que le salut soit sur eux), C'est là le rapprochement indiqué dans le Coran »
Il. — Quelles sont vos théories ?
« Notre théorie est le retour de l'humanité entière vers la fraternité et la paix par la culture de la bonne morale, ainsi que l'enseignement religieux de haute portée, jusqu'à faire revivre la réelle fraternité se trouvant endormie dons nos cœurs, comme le beurre dans le lait. Si les hommes se sont donné la peine de se rappeler cette fraternité, (que le salut du Seigneur soit sur eux), tout différend disparait alors et laisée place à l'amour et à la fraternité ; toute haine et toute querelle disparaissent et les gens vivront dans un bonheur que rien ne pourrait troubler. Telle est notre théorie ».
III. — Quelle est votre activité ?
« L'activité de notre confrérie est multiple ; elle ne peut être limitée, mais le fait dominant est l'enseignement de la religion, pousser la culture de la haute moralité, éclairer les cœurs, apprendre à se réaliser en Dieu, La confrérie considère qu'en montrant son activité dans ces trois catégories, l'on englobe les principales bonnes actions, En effet, il s'est avéré que tous ceux qui ont adhéré à cette confrérie et obéi à ces enseignements, ont vu leur situation s'améliorer plus que chez les autres. C'est un fait marquant que tout homme impartial se reconnait à la confrérie ».
IV. — Avez-vous des idées personnelles ?
« Je ne suis pas le premier parmi les vrais Cheiks soufis à avoir des idées personnelles et les dons divins nous parviennent sans aucun intermédiaire. C'est la part de chaque cheikh que Dieu a initié pour diriger une confrérie au nom d'Allah et par sa lumière éternelle. Ceux qui n'ont pas reçu ces dons ne sont pas des soufis, mais simplement des philosophes. Ces dons sont la preuve évidente qui différencie le soufi du philosophe. Mais le soufi s'accommode avec le philosophe en le dépassant par ses dons divins. Les philosophes ressemblent au papillon qui rôde autour de la lumière, mais lorsqu'il s'en approche, il chancelle et se fait brûler »
V. — Suivez-vous le Coran ?
« Le Coran est pour la Nation Islamique un élément essentiel, tant pour la prière que pour les rapports entre les musulmans et pour le développement de sa spiritualité. Pour les soufis en particulier, il est le livre spirituel par excellence. IL est connu sous le qualificatif de « Le Jardin de la Connaissance ». À travers les siècles, tous les soufis ont mis en relief tous ses joyaux inestimables. Les soufis laissent entendre dans leurs propos que celui que Dieu n'a point fait bénéficier des clés du Coran, pour faire ressortir son sens exact, ne connaît pas le vrai soufisme ».
VI. — Pourquoi appelez-vous vos adeptes des foqaras ?
Le faqir est celui qui est pauvre dans le vrai sens du mot, moralement ou matériellement. Les gens, par rapport à la richesse de la vérité, sont tous des pauvres. Comme la confrérie a pour but d'indiquer la voie de Dieu, elle fait porter par ses adeptes l'habit de la pauvreté, mais donne le besoin constant au plus riche. Et lorsque l'adepte se perfectionne pour se réaliser en Dieu, il est pauvre et a besoin constamment de Lui. Dieu déclare que l'aumône est due aux pauvres et aux malheureux. Le faqir en a par conséquent besoin ainsi que de la bénédiction et de la clémence divine. »
Et pour terminer, rendons hommage au Docteur Marcel Carret, pour l'ouvrage qu'il a écrit sur le Cheikh El Alaoui et où nous avons puisé certains passages sur la Confrérie. À ce frère en Allah, nous adressons nos plus vifs remerciements et nous serions heureux qu'il soit avec nous au sein de la communauté spirituelle mondiale, où sa valeur est vivement appréciée.
Les lecteurs de « Pro Humanitate », désireux d'obtenir la publication du Cheikh El Alaoui, sont priés de s’adresser à M. Gaddas Mohamed, Boîte Postale 448 à Tunis. La Confrérie publie, depuis trois ans, une revue bilingue en arabe et en français « El Morchid », mot signifient « Le Guide », dirigée par le Cheikh Sidi Hadj Ben Tounès, d'une grande valeur spirituelle. Tous les Français d'Algérie y sont abonnés et se plaisent à la lire. Cette revue sera appréciée par les membres du Conseil Spirituel Mondial et peut leur être fournie sur demande. Abonnement annuel : 700 Fr, de soutien : 1.500 Fr.
GADDAS Mohamed, Délégué du C. S. M. Pour l'Afrique du Nord.
Cet article inclut un extrait de la publication « Pro Humanitate » de mai 1952
La zaouia de Mostaganem - Le Phare de Tunis du 26/12/1952
La zaouia de Mostaganem - Le Phare de Tunis du 02/01/1953 (suite)
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