Adda Bentounès

C'est à Mostaganem, en octobre 1898, que naquit Adda Bentounès, dans une famille de vielle source mostaganémoise modeste par son rang social, le père, boucher de son état, exerçait les charges de mûqaddam au sein de la confrérie Slimaniya dirigée par le Cheikh Qaddour ben Slimane. La famille Bentounès n'était certes pas riche, mais le père, de par ses fonctions spirituelles, essaya de donner une éducation toute religieuse à ses six fils, dont le benjamin était Adda.


Celui-ci, comme ses frères, fut envoyé à l'école coranique et y apprit le Qoran jusqu'à la sourate "Âmma", en somme, il apprit par cœur deux chapitres du livre.

Mûnawwar, le plus instruit des fils Bentounès, était affilié à la confrérie Darqawiya Chadhiliya, il jugea utile d'y conduire son frère benjamin, ayant remarqué chez lui des prédispositions foncières à capter les enseignements qui se dispensaient chez le Cheikh Mohammed al-Bûzaydi et son mûqaddam Ahmed al-Alawi.

L'enfant se faisait remarquer , en effet, dès sa tendre enfance par une spiritualité ardente et toute précoce, il priait des heures entières au pied d'un arbre toutes les fois que son travail d'apprenti cordonnier était terminé.

Une fois, par une fin d'après-midi d'été, alors qu'il été absorbé dans une longue et profonde méditation, un français, qui avait probablement remarqué la présence régulière de l'enfant au même endroit, aux même heures, lui demanda à brûle-pourpoint:

-Tu crois en Dieu, petit musulman?

-Avec toute la force de mon cœur, sidi!

-Mais tu ne l'as pas vu!

-Fait-il du vent sidi?

-Non, et c'est bien dommage. S'exclama le Français, en s'épongeant le front.

-Regardez donc, mon frère, en haut de l'arbre, cette petite feuille qui bouge. Elle bouge au vent, parce qu'elle est légère, si nous somme légers comme elle, nous saurons nous aussi vibrer au vent.

A dix ans, le petit Adda commença à fréquenter la zawiya de sidi Hammû al-Cheikh al-Bûzaydi. Quand le Cheikh al-Alawi prit les destinées de la confrérie en main, qu'il en devint le maître incontesté, il posa un jour à ses disciples la question de savoir ce qu'ils avaient gagné à le fréquenter, le jeune Adda, qui n'avait que treize ans, répondit à peu prés en ces termes:

- "Sidi, avant avant que je ne fréquente la zawiya, tout le monde m'appelait Adda, mais maintenant , je suis appelé par tous les frères "sidi Adda", j'ai gagné l'estime de mes frères et la votre".

Cette réponse fut appréciée par le Cheikh qui le rapprocha d'avantage de lui, c'était lui qu'il envoyait à sa maison demander telle ou telle chose à sa mère, et celle-ci, trouva à son tour l'enfant éveillé pour son âge, plein de dévouement.

Parallèlement à son métier de cordonnier, il suivait des cours de fiqh (jurisprudence), de grammaire, de syntaxe en compagnie de son frère aîné dans la tariqa, Mohammed al-Madani, et ne ratait aucune mûdakara du Cheikh al-Alawi.

Grâce à sa belle voix, il devint le meilleur mûssammi' (chanteur d'odes, de poèmes à la gloire de Dieu et son Prophète) de la zawiya Alawiya, il était en réalité, alors qu'il n'avait pas encore vingt ans, l'un des plus sincères disciples du Cheikh al-Alawi.

Le disciple favoris (1918 / 1934)

appelé avec la classe 18 indigène, il avait servi aux 20e Régiment des tirailleurs Algériens, exerçant les soldats algériens au tir à Mostaganem, il leur apprenait, au retour de chaque manœuvre, à marcher en scandant le nom Suprême, ces marches militaires par le Dikhr lui valurent, de la part du capitaine de la garnison de Mostaganem, une mutation disciplinaire à Bedault, prés de sidi Bel-Abbès.

Quand il fut démobilisé en 1921, il avait le grade de sergent, il retourna naturellement à la zawiya et sa mère désespérait de le marier, Jean Biés rapporte ce dialogue entre la mère et le fils:

-Voici le coffret de mes bijoux, je les gardé pour toi, afin que tu fonde un foyer.

-Que ferais-je de tout cet or?

-Cesse de suivre le Cheikh al-Alawi, élève une famille, ces bijoux sont à toi, je te les donne.

-Et moi, je te les donne, afin que tu me laisse suivre le Cheikh.

Ayant demandé l'autorisation du Cheikh al-Alawi d'aller suivre les cours à la Zaytûna, il partit, en effet, pour Tunis, mais n'y resta que deux ans (1921 / 1923), il fut alors rappelé à Mostaganem auprès du Maître, le neveu de celui-ci, Mohammed Benbernû, mûqaddam de la zawiya, étant tombé gravement malade, le Cheikh al-Alawi pensa alors à son disciple dévoué, Adda Bentounès. L'année suivante, 1924, il le maria à sa nièce "Khayra" qu'il avait adoptée et élevée au rang de sa fille.

Du même coup, il lui témoignait, de façon patente, son affection particulière. Adda Bentounès, jouissant désormais de la confiance totale de son Cheikh, cumulait les charges d'intendant de la zawiya (wakîl), de rédacteur d'al-balagh al-Jazaïri, et, privilège convoité par beaucoup, de chauffeur du Cheikh, ce qui lui permettait d'être le plus longtemps possible en contact avec son maître et surtout de profiter de ses mûdakarât paraboliques. Il puisa ainsi assurément plus que tout autre, depuis le début des années vingt jusqu'à la mort du Cheikh, directement à la source de la sagesse Alawi. Ce fut avec lui que le Cheikh entreprit son seul pèlerinage (1930) à la suite duquel, l'élevant au rang de fils, par un acte passé devant le Qâdi du prétoire (mahkamah) de Mostaganem le 25 juillet 1931, il fit de lui son exécuteur testamentaire et l'établit administrateur des biens de la confrérie comme le stipule l’extrait de l’acte testamentaire référencé KK838, n° 594 du prétoire de la Mâhakma :

Article quatrième, « Les biens de toutes natures présentement constitués habûs seront gérés par l’honorable Sidi Bentounès Adda ould Ben 'Awda, demeurant à Mostaganem, institué au rang de fils du fondateur. Cet administrateur exercera sa gérance selon les prescriptions édictées sans que nul puisse s’y opposer, à moins qu’il ne contrevienne excessivement à la volonté du fondateur quant à la destination du habûs. Il administrera ainsi tous les biens sus-indiqués, sa vie durant ; à sa mort, la gérance sera confiée au plus vertueux de ses fils et s’il n’a pas de postérité habile à cette fonction, l’administrateur sera choisi parmi les adeptes de la Confrérie dont la conduite sera bonne et l’esprit de sagesse sera certain. ».

Le Maître (1934 / 1952)

Mais cela fut loin d'être agrée par certains grands mûqaddams. Toujours est-il qu'après la mort du Cheikh al-Alawi, un congrès réunissant tous les adeptes, présents au lendemain des obsèques, reconnut Adda Bentounès comme nouveau maître spirituel de la confrérie. Ces "légitimistes", s'étaient fondés, dans leur choix, sur les liens de parenté que le Cheikh avait tissés avec le disciple, sur l'affection continue que le maître n'avait cessé de lui témoigner, sur sa volonté posthume de l'ériger gérant en chef des biens meubles et immeubles de toute la confrérie (charge pour laquelle le Cheikh, fin psychologue, grand manieur d'homme, désigna son disciple le plus intègre) et enfin, pour ses qualités spirituelles qui lui permirent de gravir toutes les stations de la ma'rifa, ce qui le prédisposait à prendre en main les destinées de la confrérie Alawiya.

Des difficultés de toutes natures allaient joncher la voie Alawiya du Cheikh Adda. Il dut non seulement affronter le vaste mouvement de dissidence qui se déclenche après 1934, mais aussi faire face à un véritable tollé de contestation élevé par les héritiers théoriques du Cheikh al-Alawi, que les dispositions de ce dernier avaient frustrés, puisque tous les biens de la confrérie étaient déclarés inaliénables (habûs) au profit de Ahl an-Nisba (les gens relevant de la chaîne spirituelle). D'interminables procès furent donc intentés à l'encontre du Cheikh Adda, dans le but avoué d'amener l'annulation du habûs.

La dissidence ayant pris des proportions inquiétantes, le Cheikh Adda dut faire reparaître (Lissân ad-Dîn), d'abord à Alger, ensuite à Mostaganem. Ce fut surtout à partir de 1937 que le journal connut des éditions régulières. En vérité al-balagh al-Jazaïri paraissait non moins régulièrement, mais il était, sous la coupe des adversaires du Cheikh Adda, il était dirigé, par conséquent, contre "les légitimistes" et le nouveau maître spirituel.

Pour contrebalancer aussi les influence grandissantes de ses nombreux adversaires, le Cheikh Adda créa en avril 1939, l'Association Alawie de prédication (al-Jam'iya al-Alawiya lil wa'dh wal tadhkîr). Au mois de janvier de la même année, il entreprit son deuxième pèlerinage aux lieux saints accompagné d'un groupe d'adeptes et de son fils aîné Mohammed al-Mahdi, qui, âgé à peine de onze ans, venait d'apprendre par cœur les soixante chapitres du Qoran.

Auparavant, le Cheikh Adda décidait de renouveler l'investiture de tous les mûqaddams qui tenaient leur fonction du Cheikh al-Alawi, cela lui permit d'avoir une vision claire de ses partisans sincères et des contestataires.

En 1939, il n'y avait donc plus de flottement, la situation, malgré ses violents remous, s'était clarifié pour tous, d'un côté, les "légitimistes", de l'autre, les adversaires de tous horizons. Malgré toutes les difficultés éprouvées, le Cheikh Adda harcelait le Gouvernement de l'Algérie pour obtenir de s'occuper de la formation de certains délinquants mineurs, lissân ad-Dîn, offrait largement ses colonnes aux plumes de ses journalistes bénévoles pour réclamer aux autorités françaises l'attribution de cette charge délicate.

Bref, en 1938, les revendications du Cheikh Adda furent satisfaites, effectivement, par fournées successives, des dizaines de délinquants mineurs affluèrent à la zawiya de Mostaganem, de là, ils étaient aiguillés selon leur choix, soit vers les travaux de ferme, soit ceux de l'imprimerie ou vers les ateliers de mécanique générale montés spécialement à cet effet, soit, enfin vers les travaux de boulangerie. Ils travaillaient le jour et préparaient ainsi leur réintégration dans la société, le soir ils apprenaient le Oran à la zawiya.

Si au milieu des années 30, le mouvement Alawi reprit avec quelques difficultés, après le décès du Cheikh, grâce aux tournées inlassables du Cheikh Adda dans la Kabylie, le Rif Marocain, l'Oranais, l'Algérois etc... (il effectua plusieurs (siyaha) au Maroc en 1928, à la Mecque en 1930, à Alger 1931, en Kabylie en 1937, un second pèlerinage à la Mecque en 1939-1940, au Maroc en 1949). Si la confrérie Alawi de Mostaganem ne s'était pas désagrégée, comme s'y attendaient beaucoup de gens, en revanche, son influence se ralentit de 1940 à 1945, en raison de l'état de guerre dans lequel l'Algérie se trouvait engagée, les indigènes ne pouvaient circuler que munis d'un sauf-conduit, cette mesure administrative entrava sérieusement les grandes tournées (siyâha) du nouveau Cheikh à travers le territoire algérien.

Après l'armistice, par contre, la situation politique retourna à la normale, et le Cheikh Adda, de nouveau, reprit son chapelet de pèlerin. La confrérie "légitimiste" connut à partir du milieu des années 40 et jusqu'à la mort du Cheikh Adda, un regain de prospérité tel qu'elle éclipsa toutes ses rivales qui se réclamaient du Cheikh al-Alawi.

Ce fut le 14 juillet 1946 que se tint le premier grand congrès post-Alawi revêtu du style du grand maître défunt, en effet, pour combattre les tendances anthropolâtres qui commençaient à se manifester à travers le catafalque du Cheikh al-Alawi, le Cheikh Adda décida de procéder à l'exhumation et à la ré-inhumation des cendres du Cheikh, et pour raison, certains adeptes faisaient le pèlerinage à la zawiya de Mostaganem et s'adonnaient franchement à des pratiques circumambulatoires autour du sépulcre saint.

Tous les fûqaras, disciples du Cheikh Adda, ceux du moins avec qui nous avons eu la chance de nous entretenir, affirment que ce fut à la suite d'un rêve que cette décision fut prise, le Cheikh al-Alawi, étant apparu à son successeur en état onirique, lui avait demandé d'endiguer ce courant maraboutique qui grandissait autour de sa dépouille. Il faut dire que le sépulcre se trouvant au milieu d'une pièce, favorisant la circumambulation et dévoyait plus d'un disciple.

Réunissant donc quelques 1500 disciples, le Cheikh Adda veilla à ce que les cendres du maître fussent pieusement ré-inhumées dans la chambre même ou le Cheikh al-Alawi écrivait ses traités et méditait dans l'isolement, pour peu qu'il eût quelques heures de libres. Mais le sépulcre, cette fois-ci, fut tellement proche du mur de la pièce qu'il fut désormais impossible de s'adonner à la circumambulation. De surcroît, la raison de la ré-inhumation étant abondamment expliquée par le Cheikh Adda, aucun disciple ne fut tenté de revenir à de pareilles pratiques pagano-islamiques violemment combattues et par le Cheikh al-Alawi et par le Cheikh Adda.

Des psalmodies du Qoran, du samâ', des discours ponctuèrent la cérémonie, certains orateurs insistèrent sur la vanité du monde, "le monde actuel est une poussière, il faut travailler pour le changer, seul la religion nous conduit vers le droit chemin...".

Au mois d'août 1946, le Cheikh Adda faisait paraître une revue mensuelle bilingue, al-Mûrchid (le guide), qui devint l'organe de presse officiel de la confrérie Alawie "légitimiste", elle continua de paraître assez régulièrement jusqu'en janvier 1952.

La confrérie Alawie, ayant ainsi retrouvé son équilibre, son audience s'étant de nouveau élargie, de nouveau adeptes y ayant fait leur entrée, le Cheikh Adda put penser à marier son fils aîné, Mohammed al-mahdi. Le 26 septembre 1947 il le maria avec une Rifaine de la zone espagnole, nièce d'un commerçant de Mellilia, grâce à ce mariage, presque la totalité des anciens adeptes Alawis du Riff se rallièrent aux "légitimistes"...La cérémonie du mariage, coïncida avec le 2e grand congrès post-Alawi et dura du 26 au 29 septembre 1947. Non seulement la confrérie Alawie "légitimiste" retrouvait définitivement sa splendeur du temps du Cheikh al-Alawi, mais encore elle commençait à connaître un essor sans précédent, et cela malgré les obstructions judiciaires auxquelles se heurtait le Cheikh Adda en raison des héritiers présomptifs qui cherchaient à obtenir l'annulation du habûs, vainement du reste, la cour d'appel classa, en effet, l'acte de substitution et rendit un jugement favorable au Cheikh Adda, entérinant l'inaliénabilité de la succession, reconnaissant ainsi la validité des dispositions du Cheikh al-Alawi, quant au mode et à la nature de la gestion des biens de la confrérie.

Fort de ce jugement, le Cheikh Adda put continuer sa marche triomphale dans la voie Alawie. Le 17 janvier 1948, il fonda une Association spirituelle d'étude islamique dont il fut président avec, pour président d'honneur le Docteur Marcel Carret, et pour vice président, Haj Salah Bendimred, baptisée "les Amis de l'Islam", cette association fit paraître d'abord un bulletin intérieur dans la revue al-Mûrchid, jusqu'à la disparition de celle-ci (janvier 1952), elle publia ensuite (novembre 1952) une revue mensuelle, les Amis de l'islam et ce jusqu'en juin 1961.

Mais depuis longtemps le Cheikh Adda était miné par le diabète, les difficultés de toutes natures, les longues tournées achevèrent de l'épuiser, alors qu'il était gravement malade, en mars 1952, il n'hésita pas à entreprendre une autre de ces tournées (siyâha) chez ses adeptes, implantés dans les fiefs de ses adversaires de Annâba et d'Alger, c'était trois mois avant de mourir, si l'un de ses disciples le priait de se ménager un peu, il répondait, le sourire aux lèvres: "laissons la maladie faire son travail et moi faire le mien.".

Le vendredi 4 juillet 1952 décédait, à la zawiya de Mostaganem, le Cheikh Adda Bentounès, à peine âgé de 54 ans. Quand les obsèques furent termines, le 5 juillet, les grands mûqaddams de la confrérie Alawie "légitimistes", venus du Maroc, l'Algérie, de France, de Grande Bretagne etc...jurèrent fidélité au fils aîné du Cheikh défunt, Mohammed al-mahdi âgé seulement de 24 ans, était trop jeune pour conduire tout seul les affaires temporelles et spirituelles de la confrérie.

L'assemblée générale des grands mûqaddams, dans le but de lui faciliter la tâche, lui adjoignit un conseil provisoire formé de Mûnawwar Bentounès, imâm et frère du Cheikh défunt, du Haj Hamida Benguedda, Haj Mohammed ben Thûriya, Habib Ben Isma'il, tous grands mûqaddam de la zawiya Alawiya de Mostaganem.

Portrait

Jean Biès, alors âgé de 19 ans, eut le privilège de le rencontrer en 1952 à la Zaouïa de Mostaganem. Il dit :

"Je le reverrai toujours dans son ample djellaba blanche, coiffé du turban qui serait son suaire et portant autour du coup le chapelet aux 99 noyaux de dattes, symboles des 99 Noms de Dieu, désignant les perfections et les activités Divines, les Essences Universelles contenues dans l'Essence immanente au monde...Dans le soir monte sa voix, les larmes mouillant les yeux, scintillent sur les barbes.

Il avait pour lui une natte, une brique pour oreiller, il se nourrissait de pain d'orge...il est de ces êtres dont on ne peut rien dire et qu'on diminue à mesurer qu'on en parle...En lui respiraient l'humilité, l'amour, la patience, la bonté, la simplicité. Il avait des mots exquis ou sublimes.

"Pourquoi la mer est-elle plus grande que les montagne et les continents? Parce qu'elle est plus basse...et parce qu'on se faisant plus basse, elle accepte en elle tout ce qui se présente à elle. Le grand fleuve, elle le reçoit et l'assagit, les égouts de la ville, elle en fait de l'azur...Nous avons dans notre alphabet Arabe, une lettre toute tordue, le chine ش. En plus d'être tordue, chine signifie "vilain", si l'on veut écrire noblesse "charaf", il faut faire appel à la lettre chine, si nous avions rejeté le chine, nous n'avions jamais pu écrire noblesse."

A l'enseignement écrit, il préférerait l'oralité. Comme tout homme de tradition, pour lui, plus que les écrits, demeureront les paroles, plus sûrement gardées dans la mémoire que dans le marbre. Il s'exprimait en phrases courtes, ponctuées de longs silences, modelées de gestes vagues, paroles concrètes et imaginées, gracieuses paraboles d'une apparente naïveté.

" Mes fils, je vous ai donné tout ce qui rapproche de Dieu, tous les secrets, sauf le plus grand, celui qui plaît à Dieu et qui amène à Lui. C'est la générosité de donner sans cesse, non pas faire l'aumône, mais donner, donner toujours aux créatures de Dieu, pour Dieu...Aimez vos frères, aimez le guide que Dieu vous a envoyé, aimez les pauvres, aimez toutes les créatures de Dieu, aimez Dieu...Je vous ai fait voir mon chemin, je vous ai livré mon secret, mais s'il vous arrive de découvrir un être plus vrai que moi, je vous demande de ne pas aller à lui tout seuls, mais de me prévenir et de me donner la main, nous irons le voir ensemble...".

Un autre témoignage de Catherine Delorme, venue à l’occasion de « l’ihtifal » rencontrer le Cheikh:

"Le Cheikh Adda Ben Tounes se tenait devant la porte pour accueillir les pèlerins qui affluaient de toutes les régions du Maroc et de l’Algérie. Il semblait attendre mon arrivée et me reçut comme un membre de sa famille spirituelle, me témoignant même une estime particulière. Etonnée par ces marques de considérations, à la fois gênée et rassurée par cet accueil, j’étais aussi inquiète d’arriver ainsi en pleine fête parmi la multitude des foqaras"

"Lorsque je montais rejoindre les fûqaras dans la salle ou nous prenions nos repas...j'aperçus quelqu'un assis sur un tapis de prière rajustant son turban déroulé, je reconnus le Cheikh sans son son bûrnûs, il était délivré des exigences contraignantes du degret spirituel, comme un homme de peine ayant soulagé ses épaules d'une charge accablante. Il ne subsistait qu'une dépouille corporelle, exemple vivant du dénuement absolu, du parfait serviteur de Dieu...J'écoutais ce qu'il me disait, mais je ne l'entendais qu'à peine, le visage du Cheikh absorbait mon attention. Je découvrais dans son visage, comme dans un livre ouvert, un trésor de vertu, de sincérité, qui, par sa réserve pudique, imprégnait ses traits d'une douceur plus impressionnantes qu'une fière assurance.".

" Interrogez le Cheikh, très humble, très simple, comme c'est la vraie valeur authentique. Il vous répondra qu'il ne veut pas qu'on le divinise mais qu'il indique sa voie, il dit que ce n'est que la sienne et accepte que les autres aient la leur." J.G Brosset.

Epilogue

Ce témoignage irrécusable du service des liaisons Nord-Africaines prouve plus clairement que le Cheikh Adda s'était effectivement préoccupé des affaires temporelles et spirituelles de la confrérie, quand vers 1946, " trois militaires anglais prirent contact avec lui, en lui promettant une aide matérielle efficace, s'il prenait en considération la politique anglaise, le Cheikh refusa. Du reste , le mûqaddam de la confrérie Alawie de Cardiff, Abdûllah Ali al-Hakîmi, entièrement dévoué à la Grande Bretagne, suspecté d'avoir trempé dans le meurtre de l'Imam Yahiya du Yemen, ne jouissant plus de la confiance du Cheikh Adda, qui avait désigné pour le remplacer, al-Haj Hassan Ismail et Mohammed Ali 'Awdi al-Mûrâdi.".

Le Cheikh Adda exclura, sa vie durant tout fanatisme, tout engagement politique ou temporel. Par ses méthodes d'enseignement qui ouvrirent la voie à la liberté de discussion, par son irénisme foncier, il fit de la zâwiya de Mostaganem un forum ou les esprits, plus ouverts que dans les autres zâwiyas, étaient portés vers les progrès modernes.

Le Cheikh Adda ne fit dans la zâwiya que le gérant de la maison de Dieu, la porte en était ouverte à tous, rien ne lui avait vraiment appartenu. Il a marqué de son empreinte indélébile l'immédiat après guerre, par ses participations effectives à de nombreux courants spiritualistes mondiaux, par l'Association spirituelle d'étude islamique, par les flux massifs, réguliers et ininterrompus de pèlerins de toutes races, de toutes religions, de toutes tendances idéologiques, il contribua à hausser la zâwiya de Mostaganem au niveau de l'un des plus grands centres spirituels du monde, Mostaganem, devint, en tout cas, sous ses auspices, la 3éme cité musulmane fréquentée par les pèlerins. seuls la Mecque et Médine la surpassaient dans ce domaine.

Le Cheikh Adda incarna, de la façon la plus spontanée, l'irénisme vivant au milieu d'une communauté internationale qui sombra, en moins d'un quart de siècle, dans deux déflagrations mondiales qui menacèrent sérieusement l'espèce humaine. Conscient de la gravité d'un conflit mondial éventuel, il s'employa au risque de sa santé, à rapprocher les hommes. Cet Etre d'élite, serviteur de Dieu, s'était fait le serviteur de tous les hommes, il portait en lui le miroir magique de l'éternité et montrait généreusement à ses disciples, à ses visiteurs, à tous ceux qui le lui demandaient, l'angle sous lequel il fallait placer ce miroir magique pour leur apprendre à effacer la poussière des illusions et à se diriger vers la source de Lumière.

Ses œuvres

-Plusieurs zâwiyas en Algérie (Mostaghanem ; Alger, Rélizane, Oran,..), au Maroc (Tétouan, Tanger, Laraïche,Ceuta, Hûsayma,..), en Anglettere ( une dizaine de zaouias notamment celle de Cardiff).
-Constitution de l’association de Jeunesse Alawiya 1936.
-Publication de la revue «Lissan ad-Din» mensuel qui a paru de 1937 jusqu'à la veille de la deuxième guerre mondiale en 1939.
-Fondation d'une école de réhabilitation pour les jeunes délinquants (1938), qui comprennait 4 ateliers d'apprentissage: mécanique, menuiserie, imprimerie, boulangerie.
-Constitution de l'Association Alawie de prédication (al-Jam'iya al-Alawiya lil wa'dh wal tadhkîr) en avril 1939.
-Publication de la revue « al-Mûrchid » depuis 1946.
-Publication du livre « Dogme de l’Islam » en 1947 destiné au public européen et francophone avec l’aide du fâqir Sidi Abdallah Rédha IZARD.
- Constitution de l’association at-Tanwîr 1948.
- Constitution de l’association "Les Amis de l’Islam" en 1948.
- Publications de plusieurs livres sur l’Islam et le soufisme:
-" ar-Rawdha as-Saniyya " relatant la vie du Cheikh al-Alawi.
-" Tanbîh al-Qûrâ ".
-" Wiqâyat ad-Dhâkirîn ".
-" ad-Dûrra al-Bahiyya ".
-" Majâlis at-Tadhkîr ".
-" Fakkû al-'ûqâl ".

-" Un recueil de poèmes.

Auteur: Salah Khelifa
Alawisme et Madanisme, des origines immédiates aux années 50
Thèse pour l'obtention du Doctorat d'état en études Arabes & Islamiques
Université Jean Moulin Lyon III.


Quelques Sagesses du Cheikh Adda Bentounès

La prière c'est le miroir inéffaçable où se mire le Dieu suprême. Chacun peut le voir selon la clarté de son propre coeur, ainsi, lorsque la lune apparaît à son premier jour de Ramadan ceux qui ont la vue claire, la distinguent nettement, tandis que les autres restent dans le doute. AH! la tristesse du doute; Celui qui n'a pas vu ne peut même pas dire qu'elle n'existe pas.

Chaque fleur a son parfum, et chacun a sa force d'odorer. Celui qui nie que la fleur exhale une odeur serait plus sage de reconnaître que c'est lui qui n'a pas d'odorat.

La prière c'est la porte de Dieu et nul ne peut avoir la clef s'il oublie Dieu dans sa prière. C'est aussi sa main haute que l'on ne peut même baiser si l'on ne se soumet avec tout son coeur à Sa Volonté : le Puissant, le Sage, le Miséricordieux.

Un article du Cheikh Adda Bentounès paru dans El Morchid n°22/Septembre 1948

Les Trois Piliers de la Religion

La religion musulmane se repose sur trois parties: l'Islam, l'Iman, l'Ihsane. Chacune d'elle a son sens en elle-même. L'Islam : c'est la soumission à Dieu de tout notre être, de tous nos sens, de tous nos organes: les mains, les pieds, les yeux, la langue, l'estomac et les organes sexuels. C'est la soumission de la vie intérieure de chacun de nous. L'Islam , c'est l'homme esclave de son Créateur, acceptant son esclavage. " Si les hommes y étaient entrés, ils n'en seraient jamais sortis, l'obéissance n'est dure que lorsqu'il s'agit du bien" Mais l'Islam est doux pour celui qui aime le bien, il n'apporte que joie et satisfaction, en se soumettant à Dieu on devient fort de la force de Dieu.

L' Islam comporte cinq obligations qui en sont les bases fondamentales. Elles se déterminent ainsi: Les deux attestations, la prière, la dîme, le jeûne et le pèlerinage à la Mecque.

L'Imane c'est le sentiment qui vient du cœur et réside en lui , c'est la Foi. C'est la certitude de la grandeur et de la puissance de Dieu. L'Imane : c'est la croyance en Dieu Seul , Unique et sans associé. Le cœur doit croire à Son existence, à Lui toutes les perfections. Il existe en nous et autour de nous. Il est en toute chose. Il est en tout être. Il est Vrai, Il est le créateur. Il n'est le père de personne. Et personne n'est son fils. Il entend . Il voit tout. Rien ne Lui est comparable. L'Imane: c'est la croyance aux anges, aux Livres révélés : depuis la Thora jusqu'au Coran en passant par les Psaumes et L'Evangile; aux Prophètes depuis Adam jusqu'à Mohammed ; au jugement dernier ; enfin à la Prédestination.

Lorsqu'on pratique bien L'Islam et L'Imane on reçoit le résultat de ce travail qui se révèle par L'Ihsane. Pour être plus explicite nous allons prendre en exemple une action primordiale dans la vie matérielle: " Le repas".

Ainsi on prépare un repas, on le mange, et le résultat c'est la force du sang. Certaines gens croient que puisque la force du sang est ce qui résulte du travail de préparation et de manger du repas, il est plus simple de boire directement le sang afin d'éviter tous les ennuis et les obligations qui s'imposent. Seuls les gens raisonnables savent bien que le sang lui-même n'est pas nourrissant, mais que c'est vraiment le repas qui l'est.

Ainsi font ceux qui vont à L'Ihsane sans pratiquer L'Islam et L'Imane. Ces gens sont tombés dans l'erreur parce qu'ils ont voulu être à la spiritualité de Jésus, le suivre en sa connaissance ésotérique sans pratiquer ni les enseignements de la Thora ou du Coran.

Sidna Issa ( que le salut soit sur lui) est le Prophète foncièrement spirituel qui eut l'Evangile-Spiritualité elle-même. C'est la raison pour laquelle dans ses enseignements aux apôtres, Jésus demande de suivre la Thora , parce qu'elle est la Loi de Dieu. Il ne demandait pas de suivre sa Loi, il n'en apportait pas, parce qu'il était tout l'esprit spirituel de la Loi Céleste.

Celui qui veut atteindre la Connaissance dans la voie de Jésus et qui ne suit pas la règle de la Thora ou du Coran est semblable à celui qui veut tout-à-coup nager dans la grande mer sans ceinture de sauvetage ou sans bateau à côté de lui. Nous n'avons pas besoin d'insister sur les dangers d'une telle expérience.

Si un instant il résiste, sa situation est très mauvaise par le fait que la mer est changeante, parfois très mauvaise, compromettant en plus l'expérience. Il est si naturel de suivre les voies normales de la vie d'apprentissage, d'apprendre à nager sur les bords peu profonds ou de ne s'aventurer que suivi d'une barque.

Jésus est un amiral dans l'océan spirituel, et malgré cela il se tient en haute mer sur son bateau. Il vit sans cesse par les plus hauts fonds. Il mange de la mer. Il dort de mer. Il parle de mer. Il boit de la mer. Il s'enivre de la mer. Il est amoureux de la mer.

Comme à un navigateur si vous lui demandiez ce qu'il est ; il vous répondrait : je suis la mer, parce qu'il ne peut jamais se passer de son parfum, de ses caresses. Même à terre le vrai marin se sent épris de la mer, il ne peut passer un instant sans la voir. Que de vieux loups de mer sont morts de nostalgie dans le pays breton, parce qu'ils ne naviguaient plus.

Jésus nageait dans les flots immenses de l'infini. Il est fou d'amour pour ces immensités, puis au fond ce n'est pas exactement cela, il n'est pas fou de Dieu, car il est lui-même l'amour de Dieu, il se grise de son propre amour, la mer se grise de son parfum, tout comme si vous prenez une algue marine, vous la sentez et vous dites: " elle a le parfum de la mer" ensuite la bise vous amène un parfum identique et vous dites " la mer a l'odeur de l'algue".

Jésus vivait, sentait, aimait, empreint d'elle jusqu'à être elle. Il était la mer Divine. C'est ainsi qu'on lui demandait: où vas-tu? je vais à Dieu répondait-il; d'où viens-tu? je viens de Dieu. De quoi te nourris-tu? je me nourris de Dieu, je bois de Dieu, je dors de Dieu, et, dans son ivresse spirituelle: Je suis Dieu.

Il est plein de mer, tout suinte la mer divine. C'est son état particulier et nul ne peut s'aventurer dans ces parages. C'est une chose de Dieu. Nous disons donc que celui qui veut nager dans la pleine connaissance, il lui faut aussi son bateau, sa ceinture de sauvetage, s'il ne veut pas couler. Le bateau de Jésus, c'était l'Evangile, mais le bateau de l'école nautique c'était la Thora.

Nier cela, c'est être dans l'erreur toute pure, hélas nous voyons beaucoup de personnes, bien instruites, bien élevées, enfin une élite qui malgré toute son instruction est prise par cette erreur. Elle tente de vivre en haute mer sans passer par le bateau école. Elle cherche les plus hauts degrés spirituels sans ceinture de sauvetage. Se croyant de grands nageurs ces gens se lancent dans l'océan infini, pour nous, nous craignons qu'un jour ils coulent à pic perdant pied en n'ayant aucun secours, aucun appui.

Voila pourquoi la religion musulmane se repose sur trois parties. Les deux premières de ces parties ; c'est le bord , le rivage ou bien le bateau école: Islam-Iman . La troisième c'est le savoir, le résultat, la navigation c'est être marin: L'Ihsane . La spiritualité c'est comme la lumière électrique, on ne peut la voir que dans l'ampoule, dans se qui reçoit la lumière. Nous savons très bien qu'elle est dans les fils. Qu'elle marche en eux, mais on ne la voit pas. Il n'y a que l'ampoule qui nous la révèle. Mais encore faut-il que cette ampoule ne soit pas grillée ni cassée, et il reste malgré tout à la placer sur le courant qui lui convient. On risque de la griller soi-même si on la place sur la force tandis qu'elle doit être branchée sur la lumière.

Voyez-vous en tout cela, il est plus simple et plus garanti de faire exécuter l'installation par l'électricien de métier. Malgré qu'il existe des livres où tous les métiers sont expliqués jusqu'aux plus petits faits, malgré que nous en soyons bien instruits nous ne pouvons prétendre réaliser un travail aussi parfait, aussi vrai que celui de l'ouvrier de métier, votre travail laissera toujours à désirer.

Certes nous pouvons arriver à faire l'installation, mais cela est très dangereux, très dangereux, nous sommes plus près de la catastrophe. Oui les livres peuvent donner toutes les explications, mais quant à la pratique c'est à l'ouvrier qu'il faut en référer. Même si on arrive à connaître le Livre par coeur, le réciter sans à coups, il manque la direction technique.

... Il n'y a pas de science sans Maître.


Message de Khaled Bentounès adressé a l’occasion de la célébration du cinquantenaire du Cheikh Adda Bentounès Du 30 et 31 octobre 2002.

Cheikh Adda Bentounès à travers ses œuvres et les témoignages vivants d’écrivains, hommes de presse, hautes personnalités, et de ses contemporains parmi ses disciples et amis.

Présenter le Cheikh Hadj ‘Adda Bentounès et son oeuvre n’est pas une entreprise aisée. Sa fidélité et sa proximité avec son maître, le Cheikh Ahmed Al-Alawî, jusqu’à ses derniers instants ont façonné, poli et pacifié son âme. Il est devenu un cristal pur, aux multiples facettes dont chacune brillait d’un éclat singulier.

Tous ceux qui l’ont connu ou approché en ont gardé un souvenir inaltérable. Cette personnalité immergée dans le divin, enseignant l’éveil et prêchant inlassablement une fraternité à réaliser en l’homme, suscita comme de bien entendu, des témoignages divers voire contradictoires.

Ceux-ci démontrent le caractère exceptionnel de la personnalité de cet homme dont le destin particulier se révéla, dès le premier contact, à l’âge de huit ans, avec le Maître encore moqaddem du Cheikh Sidi Mohammed al-Bûzîdi.

Jean Biès, alors âgé de 19 ans, eut le privilège de le rencontrer en 1952 à la Zaouïa de Mostaganem. Il dit :« L’avenir allait prouver que l’homme ferait honneur au jeune homme, et le vieillard à l’enfant. Sheikh Adda devint un saint et fonda sa demeure dans les « haleines de la familiarité divine ». Il est toujours présent en moi, tel qu’en lui même, coiffé d’un turban, drapé dans son ample djellaba de soie blanche qui, un jour, serait son suaire, et portant autour du cou le chapelet aux quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu (dont le centième reste inconnu et imprononçable), désignant les Perfections et les Activités divines, les essences universelles contenues dans l’Essence immanente du monde. En lui se respiraient l’humilité, l’amour, la patience, la bonté, la simplicité.»

Il allait à la zaouïa comme tous les enfants du quartier de Tidjdit, (le quartier arabe de Mostaganem où il est né) apprendre le Coran : les seuls établissements, à l’époque, assurant à la fois l’instruction religieuse et scolaire

Très tôt il fut attiré par l’atmosphère des lieux et séduit par la noblesse des disciples. Petit à petit, il s’attacha à la tariqa, avec son frère aîné Munawwar Bentounès. L’un et l’autre en devinrent des élèves, assidus aux cours qu’ils recevaient de leurs aînés (Coran, théologie, apprentissage de la langue arabe, ainsi que les cours de samâ).

Dès lors son chemin fut tracé. Il se donna corps et âme à l’enseignement exotérique et ésotérique qu’il reçut de son maître le Cheikh Al-Alawî, son père spirituel. Il fût appelé, avec la classe 18, comme tous les jeunes algériens de son âge au service militaire ; il a été affecté aux 2éme et 6éme régiments des tirailleurs algériens.

Démobilisé en 1921, avec le grade de sergent, il retourna, naturellement, à la zaouïa. Sa mère désespérée de ne pas le voir revenir chez elle, l’appela, le supplia de s’éloigner de son maître et de fonder un foyer. Jean Biés rapporte ce dialogue entre la mère et le fils :
-« Voici le coffret de mes bijoux ; je les ai gardés pour toi afin que tu fondes un foyer
-Que ferai-je de tout cet or ?
-Cesse de suivre le Cheikh Al-Alawi ; élève une famille ; ces bijoux sont à toi ; je te les donne.
- Et moi, je te les donne afin que tu me laisses suivre le Cheikh.»

J’ajouterai qu’il s’était rendu à l’âge de 24 ans (en 1922) à l’université de la Zaytûna à Tunis avec la permission du Cheikh Al-Alawi, pour perfectionner pendant deux ans ses connaissances en langue arabe et en sciences théologiques. Après ce court séjour hors de l’Algérie, il revint près de son maître pour se consacrer entièrement au service de la tariqa.

Le Cheikh, ayant remarqué son aptitude à l’éducation spirituelle, le rapprocha intimement de lui et lui confia de nombreuses tâches, notamment celle de le représenter à différentes occasions. D’ailleurs, une année plus tard, il le maria à sa nièce, Kheira Benalioua, qu’il avait adoptée et élevée comme sa fille à la mort de ses parents.

Sentant sa fin proche, le Cheikh Al-Alawi l’adopta comme fils et devant le cadi de la Mahakma de Mostaganem il en fit son légataire universel comme le stipule l’extrait de l’acte testamentaire référencé KK838, n° 594 du répertoire de la Mahakma : article quatrième, « Les biens de toutes natures présentement constitués habous seront gérés par l’honorable Sid Bentounès Adda ould Benaouda, demeurant à Mostaganem, institué au rang de fils du fondateur. Cet administrateur exercera sa gérance selon les prescriptions édictées sans que nul puisse s’y opposer, à moins qu’il ne contrevienne excessivement à la volonté du fondateur quant à la destination du habous. Il administrera ainsi tous les biens sus-indiqués, sa vie durant ; à sa mort, la gérance sera confiée au plus vertueux de ses fils et s’il n’a pas de postérité habile à cette fonction, l’administrateur sera choisi parmi les adeptes de la Confrérie dont la conduite sera bonne et l’esprit de sagesse sera certain. »

Il succéda donc à son sublime maître décédé le 14 juillet 1934. Il assura la pérennité de son œuvre dans la continuité de l’éducation spirituelle d’éveil donnée à la Zaouia mère de Mostaganem ainsi qu’à travers les autres zaouias alawiyas d’Algérie, du Maroc, de Palestine, de Syrie, de Jordanie, d’Égypte, du Hedjaz etc.

De différents pays du monde musulman et non musulman, de nombreuses personnalités venaient, à Mostaganem, lui rendre visite. Elles trouvaient toujours un accueil chaleureux et vivant comme nous le montre le témoignage de Catherine Delorme, venue à l’occasion de « l’ihtifal » rencontrer le Cheikh :

« Le Cheikh Adda Ben Tounes se tenait devant la porte pour accueillir les pèlerins qui affluaient de toutes les régions du Maroc et de l’Algérie. Il semblait attendre mon arrivée et me reçut comme un membre de sa famille spirituelle, me témoignant même une estime particulière. Étonnée par ces marques de considérations, à la fois gênée et rassurée par cet accueil, j’étais aussi inquiète d’arriver ainsi en pleine fête parmi la multitude des foqaras.(...) J’écoutais ce qu’il me disait, mais je ne l’entendais qu’à peine. Le visage du Cheikh absorbait mon attention. J’y découvrais, comme dans un livre ouvert, un trésor de vertu, d’amour, de patience et de sincérité qui, par sa réserve pudique, imprégnait ses traits d’une douceur plus impressionnante qu’une fière assurance. 5»

Son charisme, sa simplicité et son humanisme étaient reconnus par tous les habitants de sa ville dont il était aimé et respecté. A l’occasion de ces congrès, l’atmosphère de Mostaganem était irisée de l’exaltation qui émanait de la beauté des chants mystiques. Elle devenait en l’espace d’un temps, le carrefour universel où se rencontraient des hommes et des femmes assoiffés d’amour divin, témoignage vivant de la fraternité humaine.

Décrivant une de ces rencontres, le correspondant du journal « l’Echo d’Oran » de septembre 1950, relate : « Depuis plusieurs jours, notre ville connaît une affluence inaccoutumée. Des musulmans sont rencontrés journellement qui parlent avec un accent différent de la région. Renseignements pris, il s’agit de pèlerins venus de Melilia, d’Oujda, de Tlemcen. La confrérie des Allaouias, qui compte une centaine de milliers d’adeptes disséminés à travers toute l’Afrique, tient son congrès annuel. »

Le journaliste précise : « M. Lemoine, maire et délégué à l’Assemblée Algérienne, se déclare heureux comme chaque année de constater la simplicité du Cheikh hadj ‘Adda dont on sent la sincérité et la noblesse de ses paroles » et le maire ajoute en s’adressant au Cheikh : « la pratique de vos préceptes et les vertus essentielles que vous inculquez à vos disciples sont de nature à réjouir nos cœurs et nos aspirations légitimes. » Ainsi chaque année les notables de la ville, sans distinction de race et de religion, venaient témoigner leur sympathie au Cheikh.

Par ailleurs, certains représentants de l’administration coloniale ne voyaient à travers ces manifestations spirituelles, qu’un moyen détourné pour éveiller les masses et les mobiliser au service du mouvement nationaliste. Le général P.J. André, de l’Académie des Sciences Coloniales, marqué par l’esprit qui régnait à l’époque, décrit le cheikh comme un personnage suspect : « L’esprit de la confrérie Alaouia paraît avoir bien changé depuis la mort de son fondateur. Son successeur fut en définitive son fils adoptif Bentounès Adda lequel ne paraît avoir conservé que le spiritualisme de l’ordre, sans pouvoir continuer l’œuvre mystique du cheikh Ben Alioua. Il se rapprocherait semble t-il de la conception des Oulamas (note mouvement réformiste religieux apparu en Algérie comme dans le reste du monde musulman au début du XX siècle)) : créer des médersas, fonder des journaux en langue arabe, agir sur la masse musulmane pour la réveiller, la fanatiser au besoin, et faire naître en elle des sentiments de nationalisme.»

Mieux encore un rapport anonyme, émanant des services des renseignements coloniaux, nous le présente comme un personnage dangereux : « Malgré ses médiocres moyens et son peu d’influence, il n’en n’est pas moins par son esprit sournois, intrigant et prétentieux, un personnage qui désire jouer un rôle ; il peut en effet faire beaucoup de mal, non pas certes auprès des intellectuels avec sa pauvre littérature, mais auprès des masses simples, ignorantes et naïves qu’il peut réveiller et fanatiser par la prédication qu’il préconise et par les centres qu’il a créés et qu’il créera encore partout où le milieu y sera favorable, car il est indiscutable que l’esprit de Adda Bentounès est nettement nationaliste »

Dans le même registre, une note du Centre d’Information et d’Études du gouvernement général de l’Algérie daté du 5 janvier 1948 stipule : « Dès le mois de mars 1937, M. le Sous-Préfet de Mostaganem, adressant à M. le Préfet d’Oran la traduction d’une poésie que venait de composer le cheikh Adda Bentounés, écrivait dans un rapport annexe, que cette poésie marquait une « tendance qui est celle qu’affichait Benbadis Abdulhamid à ses débuts : nécessité pour les musulmans de s’instruire, de suivre scrupuleusement la religion…. De s’unir ». Parlant ensuite du cheikh, M. le sous-Préfet ajoutait : « … Son action dans les milieux indigènes où s’exerce son influence, doit être cependant surveillée de prés… »

En revanche le colonel Schoen (chef des services des liaisons Nord-Africaines au gouvernement général de l’Algérie) ne semble pas partager ces appréciations. Il écrit dans un rapport : « (…), les dirigeants alaouia n’ont jamais adhéré à aucun parti politique, ni pris parti dans les élections, ni participé aux divers « congrès Maraboutiques » d’avant ou d’après guerre.

Ils n’ont adhéré ni à la « fédération des chefs de zaouïas d’Algérie », ni à celle des « chefs de zaouïas d’Afrique du nord » que présidait le cheikh KITTANI, de Fès, ni à celle des « chefs de zaouias du Maroc oriental » fondée en 1953 que préside le cheikh LAAREDJ, de Kenadza, et fit campagne contre l’Istiklal. Ils n’ont sollicité ni faveurs ni prébendes. Aucun représentant des Alaouïa n’a participé à l’agitation menée naguère contre S.M. Mohammed V par le Glaoui et par le cheikh Kittani. Aucun d’eux n’assistait au Congrès Maraboutique de Fès en 1953.

Il s’agit, en bref, d’une confrérie nullement rétrograde, qui paraît animée d’une ferveur religieuse sincère, étrangère aux choses de ce monde, et qui se tient en dehors de toute agitation, se distinguant par là de beaucoup d’autres confréries, et n’entretenant d’ailleurs aucun rapport avec elles. »
Paradoxalement les espagnols qui occupaient le nord du Maroc où la confrérie était largement répandue, suspectaient le Cheikh Hadj Adda d’être un agent de la propagande française contre les intérêts franquistes. Une note du consulat de France à Mélilia, adressée le 18 août 1945 à l’Ambassade de France à Rabat, signale : « J’ai l’honneur de faire connaître à Votre Excellence que les autorités espagnoles du Protectorat se montrent inquiètes de l’activité et des progrès de la secte « aliua », dans laquelle elles voient un instrument de propagande française.

En effet, dans un rapport en date du 1er de ce mois, le Délégué aux Affaires Indigènes rend compte au Général VARELA, de réunions, tenues les 28 et 29 juillet dernier, à Sidi Talha, par la secte susnommée. Ce fut, d’après le délégué, une véritable concentration des adeptes de toute la zone et les délibérations ont dû être d’importance car, ajoute-t-il, les dirigeants actuels obtiennent, depuis quelques temps, de nombreuses affiliations. »
Le délégué rappelle ensuite que « cette association a son siège à Mostaganem, qu’elle est d’origine française et que nos autorités en ont fait, dit-il, une arme politique dirigée contre le Protectorat espagnol.(…) »

Toujours d’après le même rapport, une personnalité musulmane compare « la propagation en zone espagnole de la secte « aluia » à l’extension du communisme dans le monde. »

Durant son voyage au Maroc, après la seconde guerre mondiale, le Cheikh vit sa visite auprès de ses disciples interdite par les espagnols, dans la zone marocaine qu’ils contrôlaient. En Angleterre la communauté yéménite, rattachée à la Tariqa était, elle aussi, suspectée d’œuvrer pour des intérêts étrangers, notamment anglais et égyptiens. D’ailleurs, Salah Khalifat, s’appuyant sur un rapport des liaisons Nord Africaines atteste que vers 1946, trois militaires anglais prirent contact avec le cheikh, en lui promettant une aide matérielle efficace, s’il prenait en considération les intérêts de la politique anglaise. Le Cheikh refusa. A la mort du Cheikh Alawî, l’influence de la tariqa au Yémen et en Angleterre fera qu’un moquadem devenu dissident de la confrérie à Cardiff, ‘Abd l-llâh ‘Alî l-Hâkimi, entièrement dévoué à la Grande-Bretagne suspecté d’être impliqué dans le meurtre de l’Imam Yahyâ du Yémen « ne jouissait plus de la confiance du Cheikh ‘Adda qui avait désigné pour le remplacer al-Hâjj Hasan Ismâ’il et Muhammad ‘Alî ‘Awdî al-Murâdi.»

Un article de la revue anglaise« Islamic revue » d’Août 1952 met en relief l’importance de cette communauté : « En Angleterre, il existe une très importante communauté de Musulmans d’Aden-Yemen, qui appartient à l’ordre soufiste fondé par le cheikh Benalioua d’Algérie. Cette société a célébré sa fête annuelle (Ihtifal) les 9,10 et 11 Mai à Cardiff. Les cérémonies se déroulent sous la direction du Cheikh Hassan Ismail, qui fut secondé par M. NASSIR YAHIA (intendant) et M. Ali Basha (conseiller de la société).

La manifestation la plus marquante des trois jours de prières fut une procession autour du quartier musulman de Cardiff, et à cette émouvante cérémonie de nombreux musulmans des campagnes éloignées avaient été invités. Ils affluèrent en cars complets venant de Birmingham et d’autres villes importantes. Parmi eux se trouvaient des membres du Conseil Musulman, entre autres l’éditeur de « The Islamic review (la revue islamique), M. Ismail, de York (secrétaire du conseil) et le colonel Abdulhah Baines-Hewitt, un musulman anglais très connu. ».

Le dynamisme et la taille de cette communauté étaient tels qu’elle sollicita de l’université El-Azhar en Égypte l’envoi d’une mission religieuse. Le journal « El-Misri » du 11 mars 1952 écrit : « La Machyakha d’El-Azar,(assemblée des cheikhs théologiens d’El-Azhar),étudie avec beaucoup d’attention la requête de la colonie musulmane de Cardiff, requête réclamant à la célèbre université un professeur de théologie d’El-Azar pour la diffusion des principes de la culture et de la langue arabe. Cette région anglaise compte, parmi ses habitants, une colonie musulmane très importante. » cette demande souleva l’inquiétude du gouverneur général d’Algérie M.E. Naegelen qui demanda à l’Ambassadeur de France G. Arvengas de l’informer à ce sujet.

Celui-ci répondit par un courrier en date 28 Mai 1949 :
« Par lettre n° 853 du 13 avril, vous avez bien voulu me demander des renseignements sur les Alaouia. A ma connaissance, cette confrérie ne compte ici aucun membre, à l’exception du cheikh Hilali Ben Mohammed Amimour, uléma algérien bien connu de votre gouvernement général.

L’envoi d’un instituteur égyptien à Cardiff ne paraît donc pas répondre au désir du Gouvernement du Caire de renforcer son influence sur cette communauté religieuse. Il faut noter, d’ailleurs, que les confréries ont, en Égypte, un rôle moins important qu’en Afrique du nord. Cette mesure reflète plutôt les velléités d’expansion culturelle de l’Égypte qui, depuis un an notamment, a procédé à l’envoi d’assez nombreuses « missions » d’enseignement dans divers pays musulmans. »

Ces quelques rappels de l’histoire montrent le climat de suspicion et de pressions de toutes sortes qui entourait, en permanence, le Cheikh Hadj Adda. Ni ces tensions, ni le diabète, qui rongeait la santé de ce maître spirituel, ne semblaient perturber sa sérénité et sa volonté de répandre le message de tolérance, de fraternité et d’amour qu’il portait en lui.

Le journal le « Phare de TUNIS » du 26 décembre 1952, à travers la plume de Mohamed Gaddas (délégué du congrès spiritualiste mondial) témoigne :

« Depuis 1934, la confrérie connut un essor nouveau grâce au dévouement du Cheikh Sidi Hadj Adda Ben Tounès, qui se dépense sans compter pour enseigner ses disciples, leur donner des conseils quant à leurs obligations religieuses, ainsi qu’à celles s’attachant à la vie, à la fraternité humaine et à la haute spiritualité. Ici, en Algérie, tous ceux qui ont connu le Cheikh ou ses adeptes, sont unanimes à reconnaître ses qualités et sa noblesse. Il est à noter que le Cheikh jouit auprès des milieux Chrétiens d’une chaude sympathie, d’une vénération et d’une estime sans égales. Il reçoit ses visiteurs non musulmans avec courtoisie, respecte leurs convictions et leur démontre durant tout l’entretien, que la synthèse des religions est la meilleure base d’une fraternité durable.

D’ailleurs sa renommée dépasse l’Afrique et l’Orient. D’Europe et d’Amérique, des dizaines d’illustres personnalités, ayant pris contact avec lui, embrassèrent la foi islamique. » et le journaliste d’interroger le Cheikh :
- « Quelles sont vos théories »,
celui-ci répond :
- « Notre théorie est le retour de l’humanité entière vers la fraternité et la paix par la culture de la bonne morale, ainsi que l’enseignement religieux de haute portée, jusqu’à faire revivre la réelle fraternité se trouvant endormie dans nos cœurs, comme le beurre dans le lait. Si les hommes se sont donnés la peine de se rappeler cette fraternité, « que le salut du Seigneur soit sur eux », tout différend disparaît alors et laisse place à l’amour et à la fraternité ; toute haine et querelle disparaissent et les gens vivront dans le bonheur que rien ne pourrait troubler. Telle est notre théorie ».

Dans sa thèse de doctorat d’état « Alawisme et Madanisme », l’historien Salah Khelifa nous fait part de toute la difficulté de l’héritage que reçut le Cheikh Hadj ‘Adda : « Mais cela fut loin d’être agréé par certains grands muqaddams. Toujours est-il qu’à la mort du Shaykh l-‘Alawi, un congrès réunissant tous les adeptes, présents au lendemain des obsèques, reconnut ‘Udda ibn Tûnis comme nouveau maître de la tarîqa Alawiya. Ces Légitimistes s’étaient fondés, dans leur choix, sur les liens de parenté que le Shaykh avait tissé avec le disciple, sur l’affection continue que le maître n’avait cessé de lui témoigner, sur sa volonté posthume de l’ériger gérant en chef des biens, meubles et immeubles de toute la confrérie (charge pour laquelle le Shaykh, fin psychologue, grand meneur, désigna son disciple le plus intègre) et enfin, pour ses qualités spirituelles qui lui permirent de gravir toutes les stations de la gnose (ma’rifa), ce qui le prédisposait à prendre en main les destinées de la confrérie ’Alawie.»

Derrière ce mouvement de dissidence se glissait entre autre, la main de certains Etats. Dans un rapport confidentiel, sur la zone du Rif marocain sous autorité espagnole de mai 1950, il est dit concernant la tariqa Alawiya : « Aussi ont-elles (les autorités) essayé de provoquer des mouvements de scission au profit de moquaddems locaux, mais sans grand succès. Après la guerre, elles ont interdit, sous un prétexte futile, l’entrée du territoire au Cheikh Bentounès. »

Les propos de l’historien nous précisent que :, «Des difficultés de toutes natures allaient joncher la voie ‘Alawie a Shayh ‘Adda. Il dut non seulement affronter le vaste mouvement de dissidence qui se déclencha après 1934, mais aussi faire face à un véritable tollé de contestation élevé par les héritiers théoriques du Shayh que les dispositions (testamentaires) de ce dernier avaient frustrés puisque tous les biens de la confrérie étaient déclarés inaliénables (habous) au profit du Ahl an-nisbah (les gens de la chaîne spirituelle). D’interminables procès furent donc intentés à l’encontre du Cheikh ‘Adda, dans le but avoué d’amener l’annulation du habous.»

Pourtant inlassablement notre Cheikh continua, malgré toutes les difficultés et les épreuves, à développer l’héritage reçu de son maître. Dans ce sens, il fit reparaître le journal, en langue arabe, Lisan-ad-Din d’abord à Alger ensuite à Mostaganem en 1937. Par cet organe, il diffusait et faisait connaître les principes et la doctrine du soufisme qu’il défendait contre les attaques virulentes des réformistes algériens.

Son premier livre, « les sublimes florilèges du Cheikh Al- Alawi » Al-Rawda Al-Saniya , fut consacré à la vie et l’œuvre du Cheikh Al-Alawi, (texte dont Martin Lings s’inspira largement pour publier son ouvrage très connu et traduit en plusieurs langues concernant le Cheikh Al-Alaw.

En avril 1939, il créa l’association ‘Alawiya pour « la Prédication et l’Exhortation » (al-Jam’iyya l-‘alawiya li-l-wa’z wa l-tadhkir), par laquelle il ouvrit plusieurs écoles de langue arabe et d’enseignement religieux traditionnel.

Salah Khelifa mentionne toutes les difficultés éprouvées par le Cheikh Hadj ‘Adda qui « harcelait » les autorités afin de s’occuper de la formation de certains délinquants mineurs : « Lisân ad-dîn, offrait largement ses colonnes aux plumes de ses journalistes bénévoles pour réclamer aux Autorités françaises l’attribution de cette charge délicate ; bref, en 1938, les revendications du Shayh ‘Adda furent satisfaites ; effectivement, par fournées successives des dizaines de délinquants mineurs affluèrent à la zawiya de Mostaganem ; de là ils étaient aiguillés selon leur choix, soit vers les travaux de ferme, soit vers ceux de l’imprimerie, soit vers les ateliers de mécanique générale montés spécialement à cet effet, soit, enfin vers les travaux de boulangerie. Ils travaillaient le jour et préparaient ainsi leur réintégration dans la société ; le soir, ils apprenaient le Coran à la zawiya. ».

En 1946, il fonda son deuxième périodique : le « Morchid » mensuel bilingue qui paraissait en Algérie. Il fut imprimé et diffusé par l’imprimerie Alaouia de Mostaganem durant la période allant de 1946 à janvier 1952.
Par ce combat, qu’il mena avec pugnacité, sur plusieurs fronts, il s’est évertué, entre autre, fidèle à l’enseignement de son maître, à clarifier le débat, lever les équivoques et mettre fin à l’amalgame entre maraboutisme, soufisme et obscurantisme que nourrissaient à des fins partisanes certains réformistes.

Faut-il noter qu’à sa création, en mai 1931, l’association des oulémas d’Algérie dont le Cheikh Al-Alawi était membre fondateur : « regroupait différentes tendances représentées par des personnalités connues, soit pour leur culture religieuse, soit pour leur position sociale, soit pour leur activité dans le journalisme ou l’enseignement».

Hélas, l’association prit une autre orientation et devint l’instrument des réformistes qui voulaient éradiquer le courant soufi en Algérie comme l’explicite Sossie Andezian dans sa contribution au livre « Les voies d’Allah » :
« Les tentatives périodiques des réformateurs de bannir les confréries n'ont eu qu'un succès partiel. Même l'administration coloniale, qui fermera des zâwiya et interdira des pèlerinages, n'en viendra pas à bout.

Aussi, la thèse de Merad, dans son travail " fort intéressant par ailleurs " sur le mouvement réformiste, selon laquelle le «maraboutisme» aurait été «éradiqué » par l'Islâh n'est que partiellement vraie'. Des monographies locales ont mis en évidence la grande diversité des situations créées par les tentatives d'implantation de ce mouvement dans l'Algérie des années 1930. Tout d'abord, maraboutisme et réformisme n'apparaissent pas toujours comme des catégories antinomiques puisque des chefs de zâwiya sont très rapidement acquis à l'idéologie de l'Islâh. Il s'agit de cheikhs préréformistes ayant amorcé des mouvements de réforme à l'échelle de leur zâwiya ou de leur localité qui s'inscriront facilement dans le mouvement officiel de l'Association des oulémas (AUMA) dès que celui-ci fera son apparition dans leur fief. On assistera même à cette époque à la naissance d'une nouvelle confrérie, la confrérie 'Alawiyya de Mostaganem (1920), dont le fondateur entrera en compétition avec les oulémas dans le champ religieux. L'action des réformistes est une lutte culturelle, religieuse et politique dirigée contre l'administration coloniale et contre les hommes de pouvoir locaux, religieux ou politiques. Il s'agit d'une lutte pour l'instauration d'un nouvel ordre inspiré des Lumières mais recouvert de l'emblème arabo-islamique.

Le recul des confréries en Algérie après l'indépendance est moins lié au succès du réformisme qu'à la déstructuration de la société algérienne et à la recomposition des sphères de pouvoir. Ayant adopté comme religion d'État l'Islam redéfini par les oulémas réformistes, l'Algérie indépendante devait du champ religieux toutes les manifestations du mysticisme.

Bien que sérieusement ébranlé avec la modernisation des structures sociales, le courant mystique demeure plus ou moins actif selon les contextes locaux et plus ou moins visible selon sa position sur l'échiquier national. Des confréries continuent d'exister sous d'autres formes et avec d'autres fonctions. Si la plupart d'entre elles poursuivent leurs activités dans le domaine de l'enseignement religieux (Rahmâniyya, 'Alawiyya), elles constituent des lieux de socialisation et de pratique religieuse pour beaucoup d'adhérents, les femmes notamment, qui évitent les mosquées qu'elles considèrent comme des espaces masculins.»

Il est important de rétablir la vérité sur ce sujet par trop galvaudée. En effet, il fût et est encore l’objet de multiples manipulations. Nous citerons donc l’ étude de monsieur Jacques Carret : « A partir du XIIe siècle, on vit se fonder en Afrique du Nord des confréries religieuses qui, tout en donnant au Soufisme l’encadrement social que n’avait pu lui donner le maraboutisme, répondaient à un certain besoin d’organisation, de hiérarchisation des populations. Ces confréries étaient appelées à jouer un grand rôle dans l’islamisation du Maghreb. »

Concernant le maraboutisme, il dit :
« A l’origine, le maraboutisme fut une institution ayant pour mission de propager l’Islam, de le défendre contre ses ennemis, et de maintenir les fidèles dans l’orthodoxie. Elle se rattachait au devoir de « Djihad », guerre sainte. Le mot « maraboutisme » dérive de « Al Mourabitoun » dont nous avons fait « Almoravides », dynastie berbère qui régna sur le Maroc et sur une grande partie de l’Algérie de 1055 à 1146.

De rite Malékite très strict, les Almoravides étaient des moines guerriers habitant des « Ribat », sortes de couvents fortifiés. Étymologiquement , ce mot vient du verbe arabe « Rabata » qui signifie lier, attacher. Le Ribat était donc le lieu où l’on rassemblait et entravait les chevaux.(…) « Rabata » signifie également surveiller la frontière. Les ribat étaient donc des postes de vigie, chargés de donner l’alarme. Leur nombre dans le Dar-El-Islam, ensemble des pays soumis à la loi musulmane, se chiffrait par dizaines de milliers. La vie dans ces postes était partagée entre les exercices militaires, les tours de garde et les pratiques pieuses.(…)

En dehors de ce rôle de « moines soldats », que nous retrouvons dans certains ordres chrétiens comme les Templiers, les Marabouts, saints personnages, ont été surtout des intercesseurs entre les fidèles et Dieu. C’est le rôle qu’ils jouent actuellement. Le marabout est l’homme lié, fixé, attaché aux choses divines. Ses fidèles le vénèrent, baisent le pan de son burnous, parfois même la trace de ses pas. Il détient la « Baraka » (bénédiction divine). C’est souvent un thaumaturge, faiseur de miracles. Vénéré durant sa vie, il est, après sa mort, l’objet d’un culte fervent. Son tombeau, surmonté d’une koubba (coupole), est un lieu de pèlerinage.»

En complément des assertions de Jacques Carret, le témoignage du général Dumas, officier de l’armée durant la conquête de l’Algérie décrit le rôle et l’influence des marabouts au sein de la société traditionnelle : « On a du remarquer que le rôle des amines (nom des chefs de village) se borne à la police intérieure des tribus ; leurs privilèges sont assez restreints ; leur influence ne suffisait pas pour maintenir l’ordre et la paix publique dans le pays. Aussi n’ont-ils point à sortir de leurs petites attributions. Pour les grandes affaires, il existe un vaste pouvoir, fort au-dessus de leur autorité précise : c’est le pouvoir des marabouts. Marabout vient du mot mrabeth, lié. Les marabouts sont des gens liés à Dieu. Lorsque les inimitiés s’élèvent entre deux tribus, les marabouts seuls, ont le droit d’intervenir, soit pour établir la paix, soit pour obtenir une trêve un peu plus longue.

A l’époque de l’élection des chefs, ce sont les marabouts qui ont l’initiative pour proposer au peuple ceux qui lui paraissent plus dignes. Ils disent ensuite la fatiha sur les élus. Lorsqu’une tribu considérable a remporté un avantage sur une autre plus faible, et que cette dernière est résolue à périr plutôt que de se rendre, les marabouts obligent la tribu victorieuse à se déclarer vaincue. Admirable entente du cœur humain qui a su se donner à chacun sa part de vanité. Les faits de ce genre ne sont pas rares ; et tel est le caractère de ce peuple, qu’il n’est pas d’autre moyen d’empêcher le faible orgueilleux de se faire anéantir.(…). Les marabouts commandent aux marchés, et l’autorité des amines s’efface devant la leur. Les marchés sont libres, exempts d’impôts, de taxes ou de droits et de plus, ils sont inviolables. Chez les Arabes, un homme qui a commis un délit ou un crime peut être arrêté en plein marché ; sur le leur, les marabouts ne tolèrent ni arrestation, ni vengeance, ni représailles, pour quelque motif que ce soit. »

Force est de reconnaître que l’idée même du maraboutisme a été dénaturée. Cela est du à la dégradation de la société algérienne dans son ensemble et les effets de cette déstructuration se font sentir encore aujourd’hui. Le déracinement, l’ignorance, la paupérisation et la perte des valeurs essentielles ont éloigné de plus en plus les Algériens de leurs racines. La culture ancestrale qui formait le sous bassement sur lequel reposait l’édifice social et qui lui donnait son identité et sa pérennité, en réduisant les antagonismes et les affrontements, en réunissant le peuple et son élite dans un cadre cohérent et harmonieux, a été progressivement marginalisée et occultée.

Cette force morale représentée par ces hommes pieux et l’enseignement qu’ils prodiguaient dans leur zaouïa fût petit à petit éradiquée à la fois par le colonialisme, l’influence des réformistes et plus tard par les choix sociaux-culturels de l’État Algérien. Celui ci, opta dès le départ pour cet islam, amputé de sa dimension spirituelle et réduit à de simples pratiques rituelles. Le Cheikh Hadj Adda, s’est opposé avec vigueur à cet assèchement de la religion en œuvrant inlassablement pour la sauvegarde et l’épanouissement du patrimoine spirituel et culturel du Maghreb et du Mashreq.

M. Jacques Carret, dans son étude déjà citée, nous décrit l’esprit qui animait la tariqa Alawia en disant notamment : « la tariqa alawiya fondée en 1920 par le Cheikh Benalioua, possède l’originalité de conserver en elle les anciens préceptes du Soufisme tout en admettant largement l’évolution de l’Islam vers un modernisme et un libéralisme que l’on croyait être l’apanage exclusif des réformistes. »

La portée de son message allait bien au delà de la société musulmane. Le Cheikh s’adressait à l’humanité toute entière par delà ses divisions et ses antagonismes. « Il a marqué de son empreinte indélébile l’immédiat après-guerre ; par ses participations effectives et efficaces à de nombreux courants spirituels mondiaux, par l’Association Spirituelle d’Étude Islamique, par les flux massifs, réguliers et ininterrompus de pèlerins de toutes races, de toutes religions, de toutes tendances idéologiques. Il contribua à hausser la zaouïa de Mostaganem au niveau de l’un des plus grands centres spirituels.

Le shaykh ‘Udda incarna, de la façon la plus spontanée, l’irénisme vivant au milieu d’une communauté internationale qui sombra, en moins d’un quart de siècle, dans deux déflagrations mondiales qui menacèrent sérieusement l’espèce humaine.

Conscient de la gravité d’un conflit mondial éventuel, il s’employa, au risque de sa santé, à rapprocher les hommes. Cet être d’élite, esclave de Dieu, s’était fait le serviteur de tous les hommes. Ils portait en lui le miroir magique de l’éternité et montrait généreusement à ses disciples, à ses visiteurs, à tous ceux qui le lui demandaient, l’angle sous lequel il fallait placer ce miroir magique pour leur apprendre à effacer la poussière des illusions et à se diriger vers la source de Lumière.»

Des facettes de ce cristal qu’était le Cheikh nous révèlent son amour pour les plus défavorisés. « Oui mes frères, j’aime les noirs malgré que je sois blanc. Déjà après la mort de mon vénéré Cheikh spirituel, le Grand Saint Al-Alawî, j’avais décidé d’abandonner toute ma famille et mon pays pour aller, en Afrique, vivre à coté des noirs, où mon cœur me disait qu’il y avait des cœurs purs. « Oui, dans le fond de mon cœur j’aime les noirs, non pas parce qu’ils sont noirs, mais parce qu’ils ont été mis en esclavage, et qu’étant moi-même un esclave de Dieu, j’aime les esclaves. Si les gens étaient raisonnables, ils devraient accepter de bon cœur d’être esclave. Je dis que si dans notre vie, on ne passe pas par l’état - maqam- d’esclave, on ne peut jamais arriver à celui du maître.»

Cette ouverture et cette disponibilité dont faisait preuve le Cheikh ‘Adda suscitèrent admiration et sympathie et attirèrent beaucoup d’européens d’horizons divers. Cet élan s’intensifia avec la création de l’association les « Amis de l’Islam » ( date 1948). A cette époque elle fût la seule association œcuménique à offrir un cadre de débat et de rencontre conviviales entre les religions et différents courants de pensée. Ainsi les causeries organisées, au Touring Club d’Oran ou dans la salle du grand hôtel de Mostaganem, attiraient un important public, venu écouter l’enseignement du Cheikh.

Pour illustrer cet intérêt, citons le témoignage du Moqadem Si Abdelkader Belbey: « Le Cheikh Hadj ‘Adda m’envoya réserver la salle du « Grand Hôtel » dont le propriétaire était juif. Arrivé chez lui, je lui demandais de nous louer la salle. Ne pouvant refuser, il en multiplia le coût, croyant ainsi nous décourager. Furieux, je revins rendre compte au Cheikh. Celui ci m’ordonna, sur le champ, de retourner réserver la salle au prix exigé par le propriétaire. Ce dernier, surpris, mais ne pouvant toujours pas refuser, la réunion eut lieu comme prévu. Intrigué, il vint écouter la conférence du Cheikh Hadj ‘Adda. A la fin du discours, il vint vers lui, les larmes aux yeux en lui disant « Cheikh je vous demande bien pardon et je vous rends l’argent car vous m’avez fait redécouvrir Moïse ! ».

Cette anecdote illustre la subtilité de son enseignement qui ravissait et unissait les cœurs.
Beaucoup d’européens, intellectuels, médecins, écrivains, journalistes etc, devinrent ses disciples, d’autres tout en gardant leur religion se lièrent d’amitié avec lui. On assista avec le développement des « Amis de l’Islam » à une véritable prise de conscience, engendrée par cet amour universel que le cheikh essayait, sans cesse, de semer dans le cœur de tous ceux et celles qui venaient à lui.

Par contre, certains voyaient dans cette ouverture l’émergence d’un courant subversif d’une franc maçonnerie musulmane fanatique qui osait «réunir croyant et mécréant », grave déviation à leurs yeux ! En effet, l’hebdomadaire espagnol, « Siete Fetchas » écrit dans son n° du 11 avril 1950. « Des milliers de fanatiques musulmans servent la politique coloniale française. Dans leur zaouia, ils se livrent à des danses (…) qui se terminent en une frénésie sauvage. Ils portent comme insigne distinctif de la confrérie Alaouite la barbe , longue et turban de toile blanche sur la chéchia rouge, ils sont dirigés par Rachid Mohammed El Hadi également appelé Adda Bentounés – ancien sous-officier de Spahis – chef de la secte et président des « Amis de l’Islam ».

Une grave déviation de la doctrine coranique se glisse dans l’Association des « Amis de l’Islam » qui admet le mélange de croyant et du mécréant, sans qu’il soit nécessaire pour y appartenir de faire profession de foi musulmane. L’activité de cette secte avec ses ramifications européennes présente une grande similitude avec la franc-maçonnerie (…). »

Ouvrons ici une parenthèse pour parler d’un homme fort connu, Frithjof Schuon, qui en mars 1935 revint pour la seconde fois à Mostaganem faire une khalwa (retraite spirituelle) auprès du Cheikh. Celui ci lui remit un certificat - ijâzah- le nommant Moqadem auprès des européens. Dans ce document le Cheikh écrit : « Je l’ai autorisé à répandre l’exhortation islamique chez les hommes de son peuple, parmi les européens, en transmettant la parole du Tawhîd, « Il n’y a d’autre Dieu que Dieu et Mohammed est Son messager » et ce qu’implique cette attestation comme obligation religieuse : Dieu dit : "Qui donc profère une meilleur parole que celui qui appelle à Dieu et qui accompli une œuvre bonne en disant : "oui je suis soumis !" Coran, sourate 41, verset 33. Je lui recommande ce que je m’impose à moi-même à savoir de craindre Dieu, dans le secret et publiquement, de s’éloigner des appétits de l’ego, de s’écarter des tentations de la passion ; comme je lui recommande de s’appuyer sur Dieu dans toutes les situations : Dieu atteint toujours ce qu’Il s’est proposé. Dieu a fixé un décret pour chaque chose. Coran, sourate 65, verset 3.


Rédigé et paraphé par le serviteur de Son seigneur, l’obéissant à Son Ordre et qui espère Son Pardon de part Sa Libéralité et Sa Bienveillance. » Par cette parenthèse, nous voulons uniquement rappeler les faits et non entretenir une polémique. Plus tard, Frithjof Schuon s’éloigna de la voie Alawiya en créant sa propre tariqa.

La pensée du Cheikh dans le domaine du respect de l’homme et de la tolérance des idées était grande comme nous le montre J.G. Brosset : « Interrogez le Cheikh … il vous répondra qu’il ne veut pas qu’on le divinise mais qu’il indique sa voie. Il dit que ce n’est que la sienne et accepte que les autres aient la leur. ». Jean Biès quant à lui nous transmet cette parole du Cheikh : « Je vous ai fait voir mon chemin ; je vous ai livré mon secret. Mais s’il vous arrive de découvrir un être plus vrai que moi, je vous demande de ne pas aller à lui tout seul, mais de me prévenir et de me donner la main : nous irons le voir ensemble.»

Voilà l’homme à la fois sublime et humble tel qu’il était et dont la voie était celle de l’amour. Même à ceux qui le dénigraient et le calomniaient : Il souhaitait « Que Dieu leur prête longue vie » . A un disciple qui lui demandait pourquoi souhaitez-vous longue vie à ceux qui vous détestent ? Il répondit : « Accordons-leur une chance afin qu’ils se repentent ».

Alors qu’il était gravement malade, il fît une dernière tournée dans l’est du pays, en mai 1952. A son retour, visiblement épuisé par ce dernier effort, ses disciples lui demandèrent de se ménager. Il leur répondit le sourire aux lèvres : « Laissons la maladie faire son travail et moi le mien ! ». Il quitta ce monde le vendredi 4 juillet 1952, à peine âgé de 54 ans.

Cette noble âme avait terminé sa mission. Elle rejoignit, apaisée et agréée, le Seigneur Bien Aimé dont elle a fidèlement témoigné, auprès de tous les hommes, de Sa Proximité et de Sa Miséricorde.
J’avais, à l’époque, à peine trois ans et demi et je garde en moi, vivant, le souvenir d’une image, revenant sans cesse, comme sortant d’un halo de brume : celle d’ un visage au large sourire fleuri d’une belle barbe blanche et que je tirais chaque fois que l’on m’amenait l’embrasser.

Le jour de ses funérailles la zaouïa fut en émoi, un nombre considérable de femmes et d’hommes s’agitaient en larmes . Leurs pleurs mêlés aux chants et à la récitation du Coran résonnaient partout. Terrorisé et ne comprenant pas ce qui ce passait, j’allais d’une pièce à une autre cherchant réconfort et sécurité auprès de ma nourrice qui essayait de m’expliquer, vainement, une chose que je ne pouvais alors comprendre.
La fin de la vie de cet homme ne fût ni la fin de son idéal, ni celle de son message.

Après sa mort, son fils aîné le Cheikh Hadj Mahdî reprit le flambeau avec courage et détermination alors que l’Algérie entrait dans une longue et douloureuse guerre de libération. Dix ans, jour pour jour, après la disparition du Cheikh Hadj Adda, elle accédait à son indépendance.

Le Cheikh Hadj Mâhdi continua, dans des conditions difficiles, à incarner cet Idéal Supérieur, porté par des hommes au destin exceptionnel et dont la mission est de veiller à garder cette Lumière toujours présente parmi les hommes.

Cinquante ans après, en hommage à sa mémoire nous avons réuni ici quelques textes extraits de sa correspondance, de son journal (El Morchid) et de la revue les Amis de l’Islam pour illustrer sa pensée mais aussi les réflexions auxquelles celles-ci nous invitent. Aujourd’hui encore, nous constatons à la lecture de ces écrits qu’ils n’ont rien perdu de leur actualité et qu’ils peuvent éclairer et dissiper les problèmes ou les malentendus auxquels sont confrontées les religions et les cultures, mais aussi contribuer à l’émergence de cette fraternité humaine qui lui était si chère et qu’il ne cessa de rappeler à tous les hommes durant toute sa vie : « L’important n’est pas de me voir, l’important c’est de me connaître ».

Courte biographie du cheikh Adda Bentounès publié sur le site Éditions La Caravane

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