Cheikh al-Alawî - le Centenaire de l'Algérie - La Presse libre 30/06/1929

Chez le Cheikh Benalioua, un chef de confrérie religieuse nous dit ce qu'il pense du Centenaire. Grâce à l'amabilité d'un ami, nous avons pu nous entretenir un instant, à Relizane, aves M. Benalioua, le chef vénéré, et obtenir de lui une interview sur la question du Centenaire.

M. Benalioua qui est le chef respecté d'une confrérie nouvelle et solide qui groupe des milliers d'adeptes au Maroc, en Algérie, en Tunisie et même à Paris où il a déjà une zaouia, est tout désigné, à notre avis, pour formuler un avis sur cette question brûlante d'actualité.

Il nous a paru qu'un avis venu de M. Benalioua, aura beaucoup plus d'importance que si cet avis était émis par une notabilité musulmane d'un autre rang, non seulement parce que le cheikh Benalioua est un érudit et un « soufi » doublé d'un grand philanthrope, mais parce qu'il est aussi le chef spirituel d'une importante fraction de musulmans d’Afrique du Nord.

Introduit dans un salon de la zaouia de Relizane, nous trouvons M. Benalioua qui, bien que malade, a bien voulu nous recevoir.

Habillé de blanc, le visage encadré d'une belle barbe, tenant entre ses doigts un chapelet, le regard intelligent, M. Benalioua est le type représentatif du marabout modeste, bon et charitable.

Après avoir pris le thé, nous demandons au chef des Allaouines, s'il veut bien consentir à nous donner son opinion sur le Centenaire de l'Algérie.

M. Benalioua, après avoir réfléchi quelques minutes, nous répond :
- « J'aime beaucoup la presse, parce qu'elle est la messagère des peuples, parce qu'elle est un facteur de premier ordre de civilisation et de progrès, parce qu'elle permet au riche comme au pauvre de connaitre journellement ce qui se passe sur notre planète, parce qu'enfin elle combat avec courage et ténacité les abus, l'arbitraire et les injustices, et en aimant la presse, forcément, je suis heureux d'acquiescer à votre désir. Posez-moi des questions je vous répondrai ».

- La célébration du Centenaire de la conquête de l'Algérie sera-t-elle un bien ou un mal pour la France ?

- « Cela dépend de la tournure de la manifestation de 1930. Si l'on faisait revivre, soit par le cinéma, soit par le théâtre, soit par des cours, le débarquement des roupes à Sidi Ferruch, la prise d'Alger et les rudes batailles de l'intérieur, si l'on rappelait aux indigènes toutes les souffrances, tous les massacres et toutes ruines que comporte une guerre, si l'on rappelait enfin aux musulmans de l'Algérie comment leurs pères ont été mis en déroute et comment on s'est emparé de leurs terres : cela, vous en conviendrez avec moi, ne ferait pas plaisir aux indigènes. Le mal serait tellement grand qu'il faudrait peut-être un autre siècle pour le guérir. Mais si l'on mettait sous les yeux des indigènes, -continua le cheikh- la véritable Algérie d'avant la conquête, avec ses terres incultes, ses marécages semant la mort, ses populations décimées par les épidémies, les guerres intestines et le paupérisme, sans voies de communication et courbée sous la dénomination de quelques polentas. Et si (par ailleurs) l'on filmait l'Algérie actuelle avec ses grandes villes, ses chemins de fer, ses routes carrossables, ses grands ports, ses télégraphes, ses autos, ses champs impenses de blé, d'orges et de vignes, ses nombreux jardins verdoyants, écoles en nombre considérable, nombreux hôpitaux et ses chefs justes et bienveillants, il va de soi que l'indigène ne manquerait pas de faire la comparaison et aimerait davantage la France ».

- Votre déclaration est belle et juste Monsieur le cheikh, cela nous donne le désir de vous poser une dernière question.

- « Parlez, je m'efforcerai d'y répondre ».

- Voudriez-vous nous suggérer une idée qui pourrait encore plus ennoblir la France et l'Algérie ?

- « Oui, il y a une idée qui me parait bonne, c'est de faire ériger, par voie de souscription, s'il le faut, un monument sur la place du Gouvernement à Alger. Ce monument représenterait France souriant à un colon et à un fellah se donnant l'accolade et sur les bas-reliefs, d'un côté faire revivre, par quelques scènes, l'Algérie d'avant la conquête et de l'autre, l'Algérie actuelle. C'est le seul moyen, à mon avis, d'effacer le passé qui choque et de démontrer aux indigènes et aux puissances étrangères que la France est venue en Algérie pour civiliser et non pour spolier les indigènes ».

Sur ces derniers mots, nous prenons congé de M. Benalioua et nous le remercions de l'accueil qu'il a bien voulu réserver au représentant de la presse.


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L'article a été repris dans Les Annales coloniales, 30/07/1929

Ce qu'en pense un grand Marabout, le cheikh Ben Alioua, le chef respecté d'une confrérie allaouite nouvelle et solide à Rélizane, qui groupe des milliers d'adeptes au Maroc, en Algérie, en Tunisie et même à Paris, où il a déjà une Zaouïa, un érudit et un « soufi » doublé d'un grand philanthrope, le type représentatif du marabout modeste, bon et charitable, a confié à la Presse son opinion sur le centenaire de l'Algérie française. Il nous a paru intéressant de reproduire en substance cette pensée autorisée.

« La presse est la messagère des peuples, elle est un facteur de premier ordre de civilisation et de progrès, elle permet au riche comme au pauvre de connaître journellement ce qui se passe sur notre planète, enfin elle combat avec courage et ténacité les abus, l'arbitraire et les injustices.

Si, lors de la manifestation de 1930 l'on faisait revivre, soit par le cinéma, soit par le théâtre, soit par des discours, le débarquement des troupes à Sidi-Ferruch, la prise d'Alger et les rudes batailles de l'intérieur, si l'on rappelait aux indigènes toutes les souffrances, tous les massacres et toutes ruines que comporte une guerre, si l'on rappelait enfin aux Musulmans de l'Algérie comment leurs pères ont été mis en déroute et comment on s'est emparé de leurs terres, cela vous en conviendrez avec moi, ne ferait pas plaisir aux indigènes. Le mal serait tellement grand qu'il faudrait peut-être un autre siècle pour le guérir.

Mais si l'on mettait sous les yeux des indigènes la véritable Algérie d'avant la conquête, avec ses terres incultes, ses marécages semant la mort, ses populations décimées par les épidémies, les guerres intestines et le paupérisme sans voies de communication et courbée sous la domination de quelques potentats, et si l'on filmait l'Algérie actuelle avec ses grandes villes, ses chemins de fer, ses routes carrossables, ses grands ports, ses télégraphes, ses autos, ses champs immenses de blé, d'orges et de vignes, ses nombreux jardins verdoyants, ses écoles en nombre considérable, ses nombreux hôpitaux et ses chefs justes et bienveillants, il va de soi que l'indigène ne manquerait pas de faire la comparaison et aimerait davantage la France.

Une idée qui me paraît bonne, c'est de faire ériger, par voie de souscription, s'il le faut, un monument sur la place du Gouvernement à Alger, a ce monument représenterait la France Souriant à un colon et à un fellah se donnant l'accolade et sur les bas-reliefs d'un côté faire revivre par quelques scènes, l'Algérie d'avant la conquête et de l’autre l’Algérie actuelle. C'est le seul moyen, à mon avis, d'effacer le passé qui choque et de démontrer aux Indigènes et aux puissances étrangères que la France est venue en Algérie pour civiliser et non pour spolier les indigènes. ».

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