Ibrahîm Yaâqûbi Hassani

Cheikh Ibrâhîm, fils d’Ismâ`îl, fils de Muhammad As-Siddîq, fils de Muhammad Al-Hasan Al-Ya`qûbî Al-Hasanî, plus communément appelé Ibrâhîm Al-Ya`qûbî, fut un grand savant et soufi du XXe siècle, de nationalité syrienne mais d’origine algérienne. Son arrière-grand-père Cheikh Muhammad Al-Hasan émigra avec sa famille, d’Algérie vers l’Orient musulman, lors du fameux « Exode des savants », au début du XIXe siècle, en compagnie de Cheikh Muhammad Al-Mahdî As-Saklâwî et de Cheikh Muhammad Al-Mubârak Al-Kabîr. Son grand-père, Muhammad As-Siddîq, arriva à Damas en 1847.

Enfance et formation : Cheikh Ibrâhîm Al-Ya`qûbî naquit à Damas dans la nuit de la Fête du Sacrifice de l’an 1343 de l’Hégire, soit le 1er juillet 1925. Il fut élevé sous l’œil protecteur de son père qui lui enseigna, alors qu’il était encore enfant, les principes du credo musulman ainsi que quelques sourates du Coran, selon le lectionnaire de Warsh.

Il fit ses études auprès de nombreux Cheikhs. Le premier fut le Cheikh Mustafâ Al-Jazâ’irî, qui lui enseigna les fondamentaux du savoir. Il fréquenta ensuite pendant près de six ans le Cheikh Muhammad `Alî Al-Hijâzî Al-Kaylânî, grâce auquel il mémorisa la majeure partie du Coran.

Il étudia également auprès du guide spirituel Cheikh Muhammad Al-Hâshimî, le maître de l’ordre soufi shadhilite, qui était également voisin de quartier de la famille Al-Ya`qûbî. Durant la période qu’il passa avec ce Cheikh, il mémorisa l’épître versifiée d’As-Sam`ânî, Nadhm `Aqîdat Ahl As-Sunnah Wal-Jamâ`ah, qui traite de la doctrine sunnite, ainsi qu’une partie du Dîwân d’Al-Mustaghânimî, qui consiste en une anthologie de poèmes soufis. Il étudia également la jurisprudence malékite à travers l’ouvrage du Cheikh As-Sâwî, Bulghat As-Sâlik li-Aqrab Al-Masâlik ilâ Madhhab Al-Imâm Mâlik, ainsi que l’œuvre de l’Imâm As-Suyûtî, Miftâh Al-Jannah fî Al-Ihtijâj bis-Sunnah, qui consiste en une réfutation des négateurs de l’autorité de la Sunnah, en tant que source canonique de l’islam. Ibrâhîm Al-Ya`qûbî se plongea également avec son Cheikh Al-Hâshimî dans l’étude d’Ar-Risâlah Al-Qushayriyyah, célèbre épître du maître soufi Al-Qushayrî. Ces ouvrages furent parcourus lors de séances particulières dans la demeure de la famille Al-Ya`qûbî.

Mais le jeune élève suivait également les cours de son Cheikh à la Mosquée Omeyyade et en d’autres établissements. Et c’est là qu’il découvrit le commentaire du Coran d’Ibn `Ajîbah, puis l’œuvre d’As-Suhrawardî intitulée `Awârif Al-Ma`ârif, qui est un manuel d’éducation spirituelle, mais aussi Nawâdir Al-Usûl fî Ma`rifat Ahâdîth Ar-Rasûl de l’Imâm At-Tirmidhî qui est un recueil de hadiths, Al-Futûhât Al-Makkiyyah du Grand Maître soufi Ibn Al-`Arabî qui est un ouvrage de philosophie mystique, Al-Hikam Al-`Atâiyyah d’Ibn `Atâ’ Allâh As-Sakandarî, qui est un livre d’aphorismes spirituels, ainsi que les deux Sahîh d’Al-Bukhârî et de Muslim.

Cheikh Muhammad Al-Hâshimî accorda à son disciple Ibrâhîm Al-Ya`qûbî une licence générale attestant de sa compétence et de sa maîtrise dans l’ensemble des sciences religieuses et profanes qu’il lui enseigna, ainsi que dans les litanies de l’ordre shadhilite. C’était le 21 avril 1960.

Enfant, Ibrâhîm Al-Ya`qûbî accompagnait son père aux leçons de Hadith donnée par le grand traditionniste syrien Cheikh Muhammad Badr Al-Dîn Al-Hasanî, de même qu’il rendait régulièrement visite à son oncle Cheikh Muhammad Ash-Sharîf Al-Ya`qûbî pour assister également aux leçons publiques qu’il donnait dans la Mosquée Omeyyade, ainsi que dans son propre domicile.

Ibrâhîm Al-Ya`qûbî étudia en outre la grammaire avec Cheikh Muhammad `Alî Al-Qattân au travers du quatrième volume d’ Ad-Durûs An-Nahwiyyah (Leçons de grammaire), rédigé par Hifnî Nâsif. Il fréquenta également Cheikh Husayn Al-Baghjâtî auprès de qui il apprit l’art de la calligraphie et l’art de la psalmodie et auprès de qui il étudia la biographie du Prophète.

Pendant cette période, il suivait également les leçons publiques tenues à la Mosquée Sinân Pasha par Cheikh `Alî Ad-Daqr, Cheikh Hâshim Al-Khatîb, Cheikh Muhammad Shâkir, ainsi que Cheikh `Abd Al-Majîd At-Tarâbîshî avec qui il étudia Multaqâ Al-Abhur d’Al-Halabî, et Marâqî Al-Falâh bi-Imdâd Al-Fattâh d’Ash-Shurunbulâlî, qui sont des ouvrages de jurisprudence hanafite. Il étudia en outre avec Cheikh `Abd Al-Hamîd Al-Qâbûnî Hidâyat Al-Mustafîd fî Ahkâm At-Tajwîd qui est un précis de règles de la psalmodie.

Son père, Cheikh Ismâ`îl Al-Ya`qûbî, fut son tout premier guide spirituel et son plus grand professeur, tout au long de sa vie. Ce fut lui qui l’initia à la voie mystique de l’ordre shadhilite, puis plus tard à celles des ordres qadirite et halveti.

Il tira également profit des enseignements de Cheikh Muhammad Al-Makkî Al-Kittanî, auprès de qui il étudia Al-Arba`ûn Al-`Ajlûniyyah, qui est un recueil de hadiths rédigé par Al-`Ajlûnî, le commentaire d’Al-Bukhâri par Al-Qastallânî, ainsi que Latâ’if Al-Minan d’Ibn `Atâ’ Allâh As-Sakandarî. Le 5 mars 1959, Cheikh Al-Makkî Al-Kittânî accorda une licence à Cheikh Al-Ya`qûbî pour l’ensemble des savoirs qu’il acquit auprès de lui.

Ibrâhim Al-Ya`qûbî assistait par ailleurs aux leçons que donnait chez lui Cheikh Ahmad Ibn Muhammad Ibn Yallis Al-Tilimsânî. Il fit avec lui la lecture entre autres ouvrages, des Sunan d’Ibn Mâjah.

Enseignement : Tout au long de ses études, Cheikh Ibrâhîm Al-Ya`qûbî montra une grande intelligence et une capacité de mémorisation rare. Ainsi connaissait-il par cœur un grand nombre d’épîtres versifiées, qui, mises bout à bout, excèdent les vingt-cinq mille vers. Au cours des leçons qu’il donna dans sa vie d’enseignant, il était capable de convoquer à propos de multiples passages de ces poèmes didactiques pour illustrer son sujet, ou pour fournir à ses élèves des moyens mnémotechniques pour retenir leur leçon.

Cheikh Ibrâhîm Al-Ya`qûbî débuta très tôt son parcours d’enseignant, avant même d’avoir achevé sa vingtième année. Il donna ainsi ses premières leçons à la Mosquée Sinân Pasha, la première des nombreuses mosquées où il dispensa ses enseignements tout au long de sa vie. Il reçut plus tard ses étudiants dans les mosquées Az-Zaytûnah, Darwîsh Pasha ou Omeyyade, mais également dans les instituts religieux damascènes.

Cheikh Ibrâhîm Al-Ya`qûbî était spécialisé dans de nombreuses disciplines islamiques, et maîtrisait aussi bien l’école de jurisprudence hanafite que celle malékite, qu’il enseignait d’ailleurs toutes deux.

Ses cours de fondements de la religion étaient dignes d’un érudit, en raison de sa connaissance étendue des principes et des arguments qui sous-tendent les différentes écoles juridiques. De même en était-il de ses cours d’arabe à travers lesquels se manifestaient ses qualités d’homme de lettres.

Il enseignait en outre la logique et la philosophie, disciplines islamiques dans lesquelles il était également très compétent.

Ses ouvrages : Cheikh Ibrâhîm Al-Ya`qûbî nous a laissés un grand nombre d’ouvrages, parmi lesquels :

An-Nûr Al-Fâ’id fî `Ilm Al-Mîrâth wal-Farâ’id (Lumière complète sur le droit de l’héritage et des successions), qui est un traité sur le droit successoral musulman ;

- Mi`yâr Al-Afkâr wa Mîzân Al-`Uqûl wal-Andhâr (Critère de jugement des idées et balance de pesée des esprits et des théories), qui est un traité de logique ;

- Al-Farâ’id Al-Hisân fî `Aqâ’id Ahl Al-Îmân (La Doctrine de l’Unité selon le Sunnisme) ;

-  Al-Kawkab Al-Waddâ’ fî `Aqîdah Ahl As-Sunnah Al-Gharrâ’ (L’Astre lumineux de la doctrine des disciples de la noble Sunnah), qui est un poème.

Il nous a également laissés plusieurs traités de rhétorique, de littérature ou de fondements du droit, ainsi que des éditions critiques d’ouvrages anciens et moins anciens.

Traits de caractère : Cheikh Ibrâhîm Al-Ya`qûbî arborait une attitude avenante avec tous. L’humilité des savants était manifeste chez lui : il parlait doucement et ne cherchait pas à se distinguer des autres. Il accordait toute son attention à ceux qui lui rendaient visite tandis que ces derniers aimaient à l’entendre parler. Lui ne se lassait ni d’eux ni de leurs questions. Il répondait de façon claire et détaillée à la manière du savant érudit qu’il était. Mais malgré l’amour qu’il portait aux gens, il aimait également la solitude et disait : « Si ce n’était pour la science, je n’aurais fréquenté personne. » Il disait aussi que les moments qu’il préférait le plus étaient soit une leçon durant laquelle il goûtait à la saveur de la connaissance, soit un instant passé à invoquer le Tout-Puissant.

Il ne recherchait pas la célébrité et ne désirait pas l’obtenir, n’ayant jamais enseigné à des fins mondaines. Quand il enseignait ou faisait un prêche, il le faisait en recherchant la satisfaction de son Seigneur. Il mena une vie pleine de modestie et vécut des moments difficiles, conséquence du fait qu’il avait fait entièrement don de sa vie à la science et au service d’autrui.

Il supportait avec patience les difficultés qu’il rencontrait et se satisfaisait de ce que Dieu lui accordait. Un de ses jeunes fils décéda ainsi le matin d’un cours qui était prévu chez lui. Il accueillit néanmoins ses élèves, donna son cours sur Ar-Risâlah Al-Qushayriyyah comme à l’accoutumée, et les reçut comme il se devait. Ce n’est qu’après avoir terminé son cours qu’il les informa de la mort de son fils.

Ascète confirmé, il invoquait Dieu de façon permanente et s’adonnait régulièrement à des retraites spirituelles. Il guidait et éduquait ceux qui l’entouraient par son comportement général et par ses actes. Pour lui, le vrai soufisme ne consistait pas à répéter des mots vides de sens ni à réciter de creuses litanies. Il disait au contraire : « Le soufisme est la mise en pratique du savoir religieux ; le soufisme est l’éthique. Quiconque nous surpasse par son éthique, nous surpasse par son soufisme. »

Il pouvait parler pendant des heures sans se départir de son style clair et précis. Fin pédagogue, il pouvait aborder les questions les plus complexes, et les expliquer de sorte qu’elles parussent éminemment simples. Cette capacité de simplification des problématiques proposées était très appréciée par ses étudiants.

Il suivait d’un œil attentif l’évolution des écoles de pensée contemporaines ainsi que les sujets revêtant une importance aux yeux du monde musulman. Il ne parlait jamais d’une école de pensée sans l’avoir étudiée au préalable. Il étudia ainsi l’Ancien et le Nouveau Testaments, et se tenait informé de la publication de nouveaux livres ainsi que de l’apparition de nouvelles idées.

Retour à Dieu : Après une vie de labeur au service de l’islam et des musulmans, Cheikh Ibrâhîm Al-Ya`qûbî s’éteignit le 9 décembre 1985 des suites d’une maladie. Peu avant sa mort, il demanda à être enterré aux côtés de sa défunte mère. Il insista pour que ses funérailles soient strictement conformes à la tradition du Prophète. Il demanda notamment à ce que ses dettes fussent remboursées et que les biens qu’on lui avaient confiés fussent rendus à leurs propriétaires.

Son fils aîné, Cheikh Muhammad Abû Al-Hudâ Al-Ya`qûbî, lui-même savant comme son père, dirigea la prière funéraire dans la Mosquée Omeyyade. Un important cortège funéraire accompagna sa dépouille jusqu’au cimetière de la Petite Porte, où son élève Cheikh Muhammad `Abd Al-Latîf Farfûr le descendit dans sa tombe.

Puisse Dieu avoir pitié de Cheikh Ibrâhîm Al-Ya`qûbî.


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