Alors que le Cheikh Alawi, traversait une période de maladie, certains de ses disciples lui proposèrent de quitter temporairement sa demeure pour se rendre à Chéria (Charī‘a), une région montagneuse réputée pour la pureté de son air. Leur intention était louable : permettre au Cheikh de se reposer, tout en profitant eux-mêmes de cette sortie pour pratiquer la siyâha, une forme d'errance spirituelle chère aux soufis.
Au début, le Cheikh refusa. Il n’était guère convaincu par cette idée de voyage. Mais, devant l’insistance affectueuse de ses disciples, il finit par céder, acceptant humblement de les accompagner.
Arrivés à destination à la tombée de la nuit, le groupe s’installa dans une bâtisse rudimentaire. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que l’endroit était infesté de puces, de tiques et autres désagréments. La nuit fut longue. Nul ne trouva véritablement le sommeil. Les corps grattés, les esprits agacés, même la patience des plus avancés fut mise à rude épreuve.
À l’aube, dans une atmosphère mêlant fatigue et résignation, le Cheikh rompit le silence avec un sourire malicieux et une parole pleine de profondeur déguisée en plaisanterie :
- « J’étais dans la Ḥaqīqa (la Vérité), vous m’avez emmené à la Charī‘a (la Loi)... et vous avez vu ce qu’elle m’a fait subir. »
Cette anecdote, à première vue simple et même comique, recèle plusieurs couches de sagesse. Le Cheikh joue ici avec les mots : Ḥaqīqa et Charī‘a, deux concepts fondamentaux du soufisme. La Ḥaqīqa représente l’essence, la vérité spirituelle, la contemplation pure de Dieu. La Charī‘a, quant à elle, est la loi divine, le cadre normatif de l’Islam. Le soufi sincère ne rejette ni l’une ni l’autre, mais il sait que le chemin de l’apparence (la Loi) peut parfois s’avérer rugueux et exigeant, tandis que la Vérité intérieure est un lieu de repos.
Le Cheikh, par son trait d’humour, rappelle à ses disciples que le voyage spirituel n’est pas toujours fait de confort et de tranquillité. Il enseigne également que céder à la pression du groupe, même pour de bonnes raisons, peut nous faire quitter l’état intérieur de présence à Dieu.
Enfin, il pointe subtilement l’ironie de vouloir chercher le bien-être dans le monde extérieur, alors que la paix véritable réside dans l’union intérieure avec le Divin.
Loin de la ville, dans la montagne austère,
Ils cherchaient Dieu sous le ciel et la pierre.
Mais les puces leur ont parlé la nuit,
De l'âme qui, sans paix, toujours, fuit.
Il dit : "La Vérité (Haqiqa), je n'aurais dû quitter,
Et au mont de la Loi (Charī‘a) y habiter
Car c’est dans le cœur qu’il faut voyager."
Inspiré du récit de Mohammed Sayeh (disciple du Cheikh Alawi), rapporté par son fils Ali.
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