Récits - Cheikh Alawî : L’habit comme miroir de l’âme

Cheikh Alawî n’était pas seulement un guide des cœurs par la parole et l’exemple, mais aussi un éducateur subtil des comportements, jusque dans les moindres détails. Parmi les enseignements qu’il prodiguait à ses disciples (les foqarâs), figurait une attention particulière à l’apparence extérieure : propreté constante, maintien des ablutions, port de la barbe, chapelet visible autour du cou, et surtout, une tenue vestimentaire conforme à l’éthique islamique et à la tradition prophétique. 

Un jour, lors d’une visite à Tlemcen, il constata avec regret que nombre de ses jeunes disciples, bien que fervents intérieurement, avaient adopté un habillement occidental, délaissant la dignité et la symbolique du vêtement soufi. Il leur exprima sa déception et leur ordonna de se conformer à l’exemple des gens de Dieu, en revêtant la tenue des vertueux. Avec promptitude et humilité, les disciples obéirent. 

À sa visite suivante, il les trouva transformés : habillés de blanc, portant le turban, la barbe soignée, le chapelet au cou, ils ressemblaient à des hommes de Dieu. Cette vue combla le Cheikh de joie. Il fut profondément touché, au point de composer un poème empreint d’amour spirituel et de gratitude envers ses disciples. 

O mes chers frères, les bien-aimés 
Votre seule satisfaction me suffit 

Mon désir pour vous à d'avantage d'élan 
Votre amour m'a pris en sa possession 

Mes amis, votre sens caché m'a mis en déroute 
Et mon cœur refuse d'oublier votre rencontre 

Vous avez arraché mon cœur 
Et cela est désormais votre rançon !

Vous avez laissé l'insomnie m'habiter 
Ce qui prouve l'amour pour vous que j'ai 

Ce récit nous enseigne que l’apparence extérieure n’est pas une superficialité dans la voie spirituelle ; elle est un prolongement de l’intériorité. Le vêtement est plus qu’un tissu : il est langage, il est atmosphère, il façonne l’âme subtilement. Cheikh Alawî, en maître de sagesse, savait que le changement visible dans l’accoutrement pouvait éveiller une disposition intérieure nouvelle, plus conforme à la présence divine. Il savait aussi que l’âme humaine, influencée par les formes qui l’entourent, gagne en noblesse lorsqu’elle est enveloppée dans la dignité. Dans une époque où les normes sont devenues floues et où les repères spirituels s’estompent, cette anecdote rappelle que l’harmonie entre l’être et le paraître n’est pas vanité, mais cohérence. Se vêtir en homme de Dieu, ce n’est pas se donner un rôle, c’est se rappeler un rang. 

Voici une note de M. Chabry citée dans sa thèse : "les contours de la sainteté" :
"En tant que guide spirituel, et par conséquent en suprême psychologue, il savait que les vêtements, qui forment l'ambiance immédiate de l'âme humaine, ont un pouvoir incalculable de purification ou de corruption. Ce n'est pas sans raison, par exemple, que dans la chrétienté et le bouddhisme, les ordres religieux ont conservé, à travers les siècles, un costume qui avait été tracé et institué par une autorité spirituelle soucieuse de choisir une tenus compatible avec la vocation de celui qui la porte. En dehors de ces exemples, on peut d'ailleurs dire, d'une façon générale, que toutes les civilisations théocratiques, c'est-à-dire dans toutes les civilisations à l’exception de la civilisation moderne, le vêtement a été plus ou moins inspiré par la conscience que l'homme et le représentant de Dieu sur la terre, et ce n'est nulle part plus vrai que dans la civilisation islamique. En particulier, le vêtement arabe de l'Afrique du Nord-Ouest, turban, burnous et djellaba, qui n'a pas changé depuis des siècles, est une combinaison parfaite de simplicité, de sobriété et de dignité, et il conserve ces qualités jusque dans les haillons". (fin de citation).

Ô noble maître, miroir du Prophète,
Tu voyais dans l’habit l’ombre du secret. 
Le tissu, disais-tu, protège l’intention, 
Et l’élève vers Dieu dans toute sa dimension. 

Turban blanc, barbe pure, chapelet battant, 
Marquent le sentier des hommes marchant. 
Le cœur en éveil, la forme en accord, 
Voilà le chemin que suit celui qui adore. 

Ô disciple, ne crois point que l’extérieur est rien, 
Car même un haillon peut être vêtement divin.

Inspiré du récit du Cheikh Būzīdī Bujrāfī, Maroc.

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