Cheikh Alawi s’apprêtait à quitter temporairement sa zaouïa pour entreprendre une "siyaha", un voyage spirituel consacré à la retraite, la méditation et l’enseignement. Avant de partir, il confia la responsabilité de la zaouïa à un de ses moqqadems (disciples avancés), lui demandant de maintenir l’ordre et la paix entre les "fuqaras" (disciples).
Durant l'absence du Cheikh, une légère altercation éclata entre quelques fuqaras. Rien de grave en apparence, mais un signe que l'harmonie spirituelle avait été troublée. À son retour, Cheikh Alawi interrogea son moqaddem sur les événements ayant eu lieu. Ce dernier, par pudeur ou sagesse, répondit simplement :
- « Tout est pour le mieux, Sidi. »
Le Cheikh, pourtant informé peu après de l’incident, ne réagit pas avec colère ni réprimande, au contraire, il adressa à son disciple une parabole saisissante :
- « Tu sais, sidi, à quoi tu ressembles par ton comportement ? »
- « Non, Sidi. »
- « Tu es à l’image du récipient "inâ" que les croyants utilisent pour se purifier de leurs souillures. »
Ce mot, prononcé sans autre commentaire, avait profondément bouleversé le faqir, au point qu’il en pleurait chaque fois qu’il relatait cette anecdote, entraînant l’émotion de ceux qui l’écoutaient.
Dans cette histoire, le moqqadem choisit de taire les fautes mineures de ses frères, préférant préserver leur dignité plutôt que de rapporter leur faiblesse à leur maître. Cheikh Alawi, en homme de discernement, reconnaît ce geste et le valorise à travers une image subtile et puissante : celle du récipient d’ablution. Cet objet, apparemment banal, a en réalité une noble fonction : recueillir l'eau qui purifie les croyants. Il voit les souillures, mais ne les divulgue pas. Il porte l’eau, mais reste silencieux. Il est discret, fiable, essentiel.
Cette histoire illustre une valeur fondamentale dans la voie spirituelle soufie : la préservation des secrets et des fautes d’autrui, non par hypocrisie, mais par miséricorde et pudeur. Celui qui agit ainsi devient comme un récipient de purification : utile, discret, digne de confiance.
La vraie grandeur ne réside pas dans la dénonciation des défauts, mais dans la capacité à les couvrir avec compassion. Celui qui cache les défauts de son frère participe à sa purification. Et c’est ainsi qu’il s’élève lui-même, en se rendant digne de porter l’eau de la miséricorde divine.
Dans l’absence du maître, un trouble a surgi,
Mais un cœur fidèle n’en a rien dit.
Il couvrit les fautes d’un voile de lumière,
Préservant l’honneur, calmant la poussière.
Le Cheikh, instruit sans mot ni cri,
Lui dit : "Tu es comme l’inâ, discret et béni.
"Tu contiens l’eau qui purifie, sans bruit,
Et recueilles la faute sans en faire un fruit."
Mieux vaut un silence qui élève les âmes,
Qu’un mot jeté qui attise les flammes.
Ainsi chemine celui qui voit,
La beauté dans la pudeur, la force dans la foi.
Inspiré du récit de Mohammed Sayeh (disciple du Cheikh Alawi), rapporté par son fils Ali.
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