Récits - Cheikh Alawi : Le Souffle du Cœur face au Verbe Sec

Un jour, alors qu’il était retiré dans ses quartiers privés, le Cheikh Alawî, maître spirituel vénéré, s’étonna de ne plus entendre l’écho des invocations divines qui d’ordinaire résonnaient dans la Zaouïa (lieu de retraite spirituelle).

Troublé par ce silence inhabituel, il interrogea ses proches :
- Pourquoi le dhikr a-t-il cessé ? Pourquoi le silence règne-t-il là où la lumière de Dieu est d’ordinaire chantée ?

On lui répondit respectueusement :
- "Sidi Cheikh, c’est qu’un Taleb, un étudiant en sciences religieuses, est en train de donner une leçon aux disciples".

Curieux de ce qui pouvait suspendre ainsi les pratiques spirituelles, le Cheikh se leva et se rendit à la Zaouïa. Là, il vit un jeune homme, proprement habillé à l’occidentale, rasé de près, qui s’exprimait avec assurance devant l’assemblée silencieuse. 

Le Cheikh s’approcha et lui demanda calmement :
- "Que leur dites-vous ?" 

Pris de court, l’étudiant répondit avec politesse :

- "Ô Sidi Cheikh, je vous prie de m’excuser, je ne fais que partager quelques mots de science avec nos frères".

Le Cheikh, l’observant attentivement, rétorqua avec fermeté :
- "Votre connaissance est sèche. Elle n’est ni acceptée ni digérée".

Puis, sans un mot de plus, il frappa dans ses mains. Aussitôt, les disciples comprirent le signal et commencèrent la Hadra, cette invocation rythmée et vibrante, cœur vivant de leur cheminement spirituel. 

Lorsque l’énergie du cercle retomba dans le silence, le Cheikh se tourna vers ses disciples et dit :
- "Mes frères, l’apparence extérieure d’un homme en dit long sur son état intérieur. Si jamais vous voyez un étudiant en religion (Taleb) qui se présente ainsi -rasé, habillé à la mode de ceux qui ont oublié Dieu- lui et son savoir, jetez-les à la mer, car le savoir sans lumière est un fardeau pour l’âme !"

Les disciples comprirent sans qu’on leur explique davantage. 

Dans cet épisode marquant, le Cheikh Alawî met en lumière le contraste entre une science extérieure, purement intellectuelle, et une connaissance intérieure, vivante, enracinée dans la pratique spirituelle et l’humilité. Pour lui, la vraie science ne se limite pas à l'accumulation de savoirs théoriques ; elle doit transformer l'être, se refléter dans son apparence, son comportement et sa vibration spirituelle. La véritable connaissance n’est pas ce que l’on expose dans des discours bien tournés, mais ce que l’on incarne dans la présence, la conduite et la sincérité. Un savoir dépourvu de lumière intérieure est comme une lampe sans flamme : belle peut-être, mais inutile. L’apparence n’est pas tout, mais elle peut révéler l’état du cœur. La tradition soufie nous rappelle ainsi que toute science doit être mise au service du cœur -et non de l’ego- pour éclairer le chemin vers Dieu.

Il vint avec des mots, mais sans parfum ni feu.
Le Cheikh, d’un regard, éveilla les cœurs endormis.
Car la science sans lumière est un puits sans eau,
Et seul le souffle du cœur mène à la Source infinie.

Inspiré du récit du Cheikh Būzīdī Bujrāfī, Maroc.

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