Un érudit musulman, versé dans la philosophie et les sciences exotériques, entendit parler du grand maître soufi, Cheikh Alawi, réputé pour transmettre la connaissance intérieure à ceux qui étaient prêts à se dépouiller. Le savant, curieux et sincère, se rendit à la grande zaouïa de Mostaganem dans l'espoir d'accéder à la gnose (ma‘rifa).
Le Cheikh l’accueillit en silence et l’envoya directement en retraite spirituelle (khalwa) pendant soixante jours et soixante nuits. Le savant pria, jeûna, invoqua… mais aucune lumière ne vint. Son cœur resta obscur, son esprit chargé de doutes.
Un matin, alors qu’il méditait, le visage pâle derrière la fenêtre intérieure de sa cellule, un berger illettré, humble serviteur de la zaouïa, passa devant lui, il s’arrêta et, avec un sourire tranquille, engagea la conversation :
- "Alors, mon frère, toujours rien de nouveau ?"
- "Non… rien encore", soupira le savant.
Le berger leva les yeux vers lui, comme s’il voyait au-delà du voile :
- "Tu n’auras rien tant que tu n’auras pas jeté tout ton savoir, toute ta philosophie. Ce que tu cherches ne s’apprend pas avec la tête, mais avec le cœur".
Le savant fut d’abord troublé…
- "Jeter mon savoir ?" pensa-t-il. "Mais c’est tout ce que j’ai bâti, tout ce qui me définit…"
Puis, dans un élan de foi mêlé de désespoir :
- "J’ai déjà perdu deux mois, alors pourquoi ne pas tout perdre pour Dieu ?"
Ce jour-là, il se mit à abandonner, une à une, ses certitudes, ses théories, ses constructions intellectuelles… Il renonça à comprendre pour simplement être. Et l’après-midi même, une paix lumineuse descendit en lui. La Vérité s’installa dans le silence laissé par son propre effacement. L’intellect peut ouvrir les portes de la connaissance, mais seul le cœur vide peut accueillir la lumière. Tant que l’homme s’identifie à son savoir, il se prend pour la source. Mais la connaissance divine exige l’humilité du mendiant, non l’assurance du maître. La vérité ne se conquiert pas, elle se reçoit.
Il entra savant, le front haut, l’esprit tendu,
Il chercha la lumière dans les livres et le bruit,
Mais nul éclat du ciel ne fut jamais venu.
C’est le silence nu qui fit jaillir la nuit.
Jusqu’à ce qu’un berger, simple, et sans oraison,
Sans savoir, portait en lui la clé ;
Lui souffle : "Vide toi, fais place à la vision".
"Perds-toi et Dieu viendra te révéler."
Ce n’est pas la science, mais l’abandon sincère
Qui fait jaillir en l’âme la clarté de la mer.
Il laissa ses savoirs, ses titres, ses contours,
Et l’Amour le prit nu, dans l’instant, sans détour.
Car Dieu, ce grand secret que tant d’esprits décryptent,
Se donne à qui renonce, et non à qui l’inscrypte.
Al Morchid Nov 1949, n°31 p12.
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