Dans la sagesse divine, il est établi que chaque prophète, chaque wali (saint), traverse l’épreuve par l’adversité. Dieu, dans Sa science infinie, place sur le chemin de Ses élus des opposants, des ennemis parfois acharnés, non pour les faire chuter, mais pour éprouver leur foi, affermir leur patience et sublimer leur confiance en Lui. De cette épreuve naît une victoire pure, une proximité plus intense avec le Créateur, et une lumière qui éclaire les cœurs de ceux qui les suivent.
Le Cheikh Ahmad al-Alawi, maître spirituel de la voie soufie al-Alawiyya au début du XXe siècle en Algérie, ne fut pas épargné par cette loi divine. Tout comme les grands saints qui l’ont précédé, il connut l’hostilité, non seulement de l’extérieur mais aussi, et peut-être surtout, de l’intérieur.
Ses adversaires étaient nombreux. Parmi eux, certains membres influents du mouvement réformiste inspiré du wahhabisme, qui avaient infiltré l’Association dite des Oulémas musulmans algériens, une organisation qui se présentait comme porteuse du renouveau islamique mais qui, dans certains cas, portait une animosité profonde envers la spiritualité soufie. À cela s’ajoutaient les autorités coloniales françaises, vigilantes face à toute figure religieuse populaire, et même certains extrémistes chrétiens. Mais le plus douloureux pour le Cheikh, c’étaient les oppositions venues de confréries voisines, des cheikhs de zaouïas bénies, parfois égarés par la jalousie ou l’incompréhension.
Parmi ces opposants, un certain cheikh d’une zaouïa locale s’illustra par sa rivalité tenace. Pendant des années, il entrava les efforts du Cheikh Alawi, remettant en cause son enseignement, semant la méfiance, et mobilisant ses propres disciples contre lui. Il était devenu, pour beaucoup, un obstacle réel à la diffusion de la lumière alawiyyine.
Un jour, la nouvelle tomba : le gouvernement colonial venait de fermer la zaouïa de ce cheikh, pour des raisons administratives obscures. Un disciple du Cheikh Alawi, convaincu qu’il s’agissait là d’une victoire spirituelle, se hâta vers son maître, le cœur léger.
— Sidi, Sidi Cheikh ! annonça-t-il, tout joyeux. J’ai une bonne nouvelle à vous annoncer !
Le Cheikh, assis dans le silence recueilli de son majlis, leva les yeux avec bienveillance.
— Quelle est cette nouvelle, mon fils ?
— La zaouïa du cheikh qui nous nuisait, celle de tel village... La France l’a fermée !
À ces mots, le visage du Cheikh se contracta soudain. Il répéta avec gravité, trois fois de suite :
— La hawla wa la quwwata illa biLlah ! Il n’y a de force ni de puissance qu’en Dieu.
Puis, inclinant légèrement la tête, il soupira profondément et dit :
— Inna lillahi wa inna ilayhi raji’un. Nous appartenons à Dieu et c’est vers Lui que nous retournons... Est-ce cela que tu appelles une bonne nouvelle ? Es-tu venu me réjouir ou m’annoncer un malheur ?
Le disciple, surpris, resta sans voix.
Le Cheikh poursuivit :
— Ne comprends-tu pas, mon fils ? Cette zaouïa, ce cheikh, bien qu’opposés à nous, formaient un rempart. Leur présence, leur zèle, leur activité… tout cela, par la sagesse divine, empêchait soixante-dix démons de nous atteindre. Ils étaient comme des épouvantails dans un champ, que Dieu utilisait à leur insu pour détourner le mal de nous. À présent qu’ils sont partis, ces démons sont libres. Leur terrain est dégagé. Ils se déverseront sur nous, sur notre communauté, avec une force accrue. Ce n’est pas une victoire, mon fils. C’est une brèche ouverte. Prions Dieu de nous protéger.
Le disciple baissa la tête, éprouvé par la profondeur de la réponse. Ce jour-là, il comprit que la sagesse des saints n’est pas dans la victoire apparente, ni dans le triomphe sur les ennemis, mais dans la lecture des signes de Dieu, au-delà du visible. Et que parfois, ce que l’on croit être un ennemi est en réalité un instrument de protection divine.
Le Cheikh Alawi enseigne à son disciple — et à travers lui — que la réalité des choses ne se limite pas à ce que l’on voit. Ce que l’on considère comme une victoire peut être une épreuve déguisée, et ce que l’on croit être un ennemi peut jouer un rôle caché dans l’équilibre du monde spirituel.
Le silence d’un adversaire ne signifie pas toujours la paix ; parfois, il ouvre la porte à des forces plus subtiles et plus dangereuses.
Ne juge pas les événements selon leur apparence.
Tout ce que Dieu permet a une sagesse, même si elle nous échappe.
L’ennemi apparent peut être un instrument de protection divine.
La vraie clairvoyance n’est pas de voir le mal chez les autres, mais de reconnaître la sagesse de Dieu dans toute chose.
Derwish Alawi
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