Le Cheikh Ben Allioua, chef d'une confrérie religieuse très puissante, était de passage, ces jours derniers, dans notre ville (Tlemcen).
Invité par un de ses adeptes, je suis allé lui rendre visite en compagnie d’une autre personne, poussé par le désir de voir et de parler à un homme qui avait la réputation d’enseigner dans sa Zaouïa que la foi était ennemie de tout progrès.
Tel n’est pas le Cheikh que nous avons vu. Si ben Allioua, qui a toujours aimé Tlemcen pour sa campagne verdoyante, a choisi, près d’Agadir, un site agréable pour passer quelques jours.
C’est là qu’il nous reçoit sympathiquement. Après les traditionnels souhaits de bienvenue, nous sommes invités à prendre place à ses côtés.
Le Cheikh avait entamé avant notre arrivée un sujet religieux. Il tient à le poursuivre et voulant nous intéresser il termine ainsi :
« Le Coran n’a jamais empêché un Musulman de suivre toutes les voies du progrès et de se livrer à toutes les recherches scientifiques ».
Désireux d’avoir l’opinion de si ben Allioua sur une question particulièrement intéressante, nous lui demandons de nous entretenir sur la jeunesse musulmane. Le Cheikh passe la main sur sa belle barbe comme pour réfléchir et nous dit :
« La jeunesse musulmane, celle élevée dans les établissements d’enseignement français, ferait œuvre utile si elle voulait bien collaborer avec nous. Sans connaître le but que nous poursuivons. Cette jeunesse nous fuit et nous traite de fanatiques. Elle semble ignorer que l’Islam ne peut vivre que si chaque musulman tient à sa langue et observe l’enseignement de Mohammed (§). Pourquoi celte jeunesse ne veut-elle pas venir dans nos Zaouïas afin de répandre l’instruction ? N’oubliez pas -déclare le Cheikh- qu’un enseignement quel qu’il soit n’est profitable à un Musulman illettré que s’il est donné sous le couvert de la foi. N’envisagez-vous pas le vaste champ d’action qui s’offre à ces jeunes gens ? Ah ! -poursuit ben Allioua-, nous savons ce qui empêche ces jeunes gens de venir à nous. C’est que beaucoup d’entre eux, ignorant leur langue, leur admirable langue arabe, n’ont aucune idée du passé glorieux de l’Islam. Ils ne savent que ce qui s’étale devant eux. Et vous savez comme moi, ce qui se présente aujourd’hui devant ces jeunes gens. C’est un mouvement de modernisme, un modernisme plutôt malheureux. Une réforme dans la manière de vivre et de s’habiller s'impose avant tout. Le logis paternel avec ses anciennes coutumes devient insupportable. On s’éloigne de chez soi pour mener ailleurs une vie qui n’est ni musulmane, ni française, une vie de-libertins ».
Le Cheikh, qui semble vouloir du repos, s’arrête là. Mais une personne, que nous ne connaissons pas, parle du Centenaire de l’occupation française. Cheikh ben Allioua ne peut s'empêcher de dire à ce sujet :
« La France doit écarter du programme de ces fêtes tout ce qui peut froisser les sentiments des indigènes. On ne doit, dit-il, ni au théâtre, ni au Cinéma représenter des scènes de conquête ».
Là-dessus le muezzin de la mosquée d’Agadir appelle les fidèles à la troisième prière du jour. Tout le monde se lève pour prier. Après cette prière le thé est servi aux assistants. C’est à ce moment que nous prenons congé du Cheikh, le remercions bien sincèrement pour son chaleureux accueil et lui promettant de revenir un autre jour.
Nous ne pouvons qu’approuver ben Allioua dans toutes ses déclarations. Nous voudrions bien voir les jeunes musulmans fréquenter les Zaouïas non pas pour accomplir tous les actes d’un Derkaoui, qui tous ne sont pas ordonnés par le Coran, mais, pour développer chez tous les adeptes le goût de l'instruction et essayer de les convaincre par des citations tirées du Coran. Rien de plus efficace. Nous sommes à une époque où les luttes pour la vie sont très âpres. La science est devenue l’arme la plus puissante pour triompher dans ces luttes. Il faut que cette science soit dans l’élite complète et dans tout individu suffisante.
TALEB Ahmed.
Un entretien intéressant avec le Cheikh Ben Allioua - Le Petit Tlemcenien du 15/08/1929
Invité par un de ses adeptes, je suis allé lui rendre visite en compagnie d’une autre personne, poussé par le désir de voir et de parler à un homme qui avait la réputation d’enseigner dans sa Zaouïa que la foi était ennemie de tout progrès.
Tel n’est pas le Cheikh que nous avons vu. Si ben Allioua, qui a toujours aimé Tlemcen pour sa campagne verdoyante, a choisi, près d’Agadir, un site agréable pour passer quelques jours.
C’est là qu’il nous reçoit sympathiquement. Après les traditionnels souhaits de bienvenue, nous sommes invités à prendre place à ses côtés.
Le Cheikh avait entamé avant notre arrivée un sujet religieux. Il tient à le poursuivre et voulant nous intéresser il termine ainsi :
« Le Coran n’a jamais empêché un Musulman de suivre toutes les voies du progrès et de se livrer à toutes les recherches scientifiques ».
Désireux d’avoir l’opinion de si ben Allioua sur une question particulièrement intéressante, nous lui demandons de nous entretenir sur la jeunesse musulmane. Le Cheikh passe la main sur sa belle barbe comme pour réfléchir et nous dit :
« La jeunesse musulmane, celle élevée dans les établissements d’enseignement français, ferait œuvre utile si elle voulait bien collaborer avec nous. Sans connaître le but que nous poursuivons. Cette jeunesse nous fuit et nous traite de fanatiques. Elle semble ignorer que l’Islam ne peut vivre que si chaque musulman tient à sa langue et observe l’enseignement de Mohammed (§). Pourquoi celte jeunesse ne veut-elle pas venir dans nos Zaouïas afin de répandre l’instruction ? N’oubliez pas -déclare le Cheikh- qu’un enseignement quel qu’il soit n’est profitable à un Musulman illettré que s’il est donné sous le couvert de la foi. N’envisagez-vous pas le vaste champ d’action qui s’offre à ces jeunes gens ? Ah ! -poursuit ben Allioua-, nous savons ce qui empêche ces jeunes gens de venir à nous. C’est que beaucoup d’entre eux, ignorant leur langue, leur admirable langue arabe, n’ont aucune idée du passé glorieux de l’Islam. Ils ne savent que ce qui s’étale devant eux. Et vous savez comme moi, ce qui se présente aujourd’hui devant ces jeunes gens. C’est un mouvement de modernisme, un modernisme plutôt malheureux. Une réforme dans la manière de vivre et de s’habiller s'impose avant tout. Le logis paternel avec ses anciennes coutumes devient insupportable. On s’éloigne de chez soi pour mener ailleurs une vie qui n’est ni musulmane, ni française, une vie de-libertins ».
Le Cheikh, qui semble vouloir du repos, s’arrête là. Mais une personne, que nous ne connaissons pas, parle du Centenaire de l’occupation française. Cheikh ben Allioua ne peut s'empêcher de dire à ce sujet :
« La France doit écarter du programme de ces fêtes tout ce qui peut froisser les sentiments des indigènes. On ne doit, dit-il, ni au théâtre, ni au Cinéma représenter des scènes de conquête ».
Là-dessus le muezzin de la mosquée d’Agadir appelle les fidèles à la troisième prière du jour. Tout le monde se lève pour prier. Après cette prière le thé est servi aux assistants. C’est à ce moment que nous prenons congé du Cheikh, le remercions bien sincèrement pour son chaleureux accueil et lui promettant de revenir un autre jour.
Nous ne pouvons qu’approuver ben Allioua dans toutes ses déclarations. Nous voudrions bien voir les jeunes musulmans fréquenter les Zaouïas non pas pour accomplir tous les actes d’un Derkaoui, qui tous ne sont pas ordonnés par le Coran, mais, pour développer chez tous les adeptes le goût de l'instruction et essayer de les convaincre par des citations tirées du Coran. Rien de plus efficace. Nous sommes à une époque où les luttes pour la vie sont très âpres. La science est devenue l’arme la plus puissante pour triompher dans ces luttes. Il faut que cette science soit dans l’élite complète et dans tout individu suffisante.
TALEB Ahmed.
Un entretien intéressant avec le Cheikh Ben Allioua - Le Petit Tlemcenien du 15/08/1929
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