Les racines du fléau : une lettre à A. Benbadis

Le Président du Comité exécutif permanent de la Société des Oulémas musulmans algériens donne sa démission de Président et de membre de cette société.

Monsieur Abdelhamid Ben Badis, président de la Société des Oulémas musulmans algériens. 

Salutations.

J’ai l’honneur de vous remettre ma démission de membre de la Société des Oulémas musulmans algériens et de président du Comité exécutif permanent de cette société.

J’ai pris cette détermination pour protester contre le télégramme que vous avez adressé à Paris et publié dans le journal La Défense sans avoir consulté et obtenu l’assentiment de la majorité des membres du Comité.

Je proteste également contre les écrits publiés dans votre revue Ach Chihab qui frappent d’hérésie la majeure partie du peuple en englobant les anciens et les générations présentes.

Ach Chihab dresse une moitié de la population contre l’autre qui ne comporterait que des dissidents et des perturbateurs. Elle donne à ses adversaires l’épithète de « Tourouquiynes » et, dans le texte, cette épithète voisine avec ce verset du Coran : « Ne vous montrez pas les uns les autres du doigt, ni ne vous affublez les uns les autres de surnoms injurieux ; quel pire nom que la perversion après la croyance ! »

Surtout quand ces injures s’adressent à une catégorie de musulmans qui prêchent l’entr’aide pour la vertu et la piété dans les bonnes et saines traditions de l’Islam ; à ces musulmans à qui Dieu a adressé ces paroles : « Il vous est parvenu un envoyé d’entre vous, qui vous voit avec peine tomber dans le péché et veille attentivement sur vous ; pour les croyants, il est compatissant et miséricordieux. »

Au prophète de ces musulmans, Dieu a dit : « Rends le mieux pour le mal ; traite ton ennemi avec les mêmes égards que ton meilleur ami ».

Quant au journal rationaliste El Manar, il lui sera répondu comme il convient à son titre et à son rang ; la réplique que nous lui réservons lui donnera pleine satisfaction.

Je désapprouve la revue Ach Chihab pour les extraits de l’article du directeur d’El Manar qu’elle a publiés dans l’unique intention de fomenter des troubles alors que le calme semble revenu ; Ach Chihab a également approuvé l’attitude agressive de Mouhib Ed Dine El Khatibe à l’égard des chefs de confréries ; il les accuse de prêcher pour leur personne, de professer l’idolâtrie, d’avoir entamé la solidarité des musulmans, la Société des Oulémas va jusqu’à soutenir que, pour qu’il y ait possibilité de réforme, il faut anéantir les chefs de confrérie et faire taire leur bruit.

Je suis assez pur devant Dieu pour admettre qu’on puisse accuser tout un peuple d’hérésie et d’idolâtrie ; bien mieux, je considère toute tentative de réforme de ce côté-là et de cette manière comme un moyen de provoquer l’émeute dans le pays. Les confréries religieuses se réclament de l’enseignement du culte de Dieu, du respect des prescriptions canoniques, de l’observation des traditions du prophète, de l’enseignement du bien et de déconseiller le mal ; elles détiennent des vertus que beaucoup n’ont pas.

Si la revue Ach Chihab persiste à croire que les chefs de confréries sont et demeurent un motif de discorde et un obstacle à la réforme ; si elle persiste à soutenir que lorsque les Oulémas réformistes prêchent l’unité de Dieu, l’union des musulmans et leur progression, ces mêmes chefs de confréries leur font le guet sur les grands chemins, menaçant et détournant de la voie de Dieu quiconque a foi en lui, et veulent cette voie tortueuse, ceux-ci, de leur côté, ne voient, en ces temps de troubles, d’autres fauteurs de désordres que certains prétendus savants disséminés aux quatre coins du territoire, dispersés dans les mosquées, dans les cercles, dans les foires, conseillant des amendements dans les croyances, alors qu’ils ont besoin eux-mêmes de s’amender.

Ils dirigent leurs dénigrements contre les Grands Imams des rites et prétendent les égaler ; ils s’érigent en législateurs ; ils tiennent en public ces propos : « Si Dieu compte des saints et des amis, c’est nous qui sommes ces saints et ces amis de Dieu, pieux et dévots ».

Ils flétrissent le passé de ce peuple et le méprisent ; ils l’attaquent par la voie de la médisance et de la calomnie ; ils réprouvent tout ce qui dépasse les frontières de leur faut savoir et échappe à leur entendement ; ils baguenaudent avec les livres sacrés et contestent les hadiths authentiques ; ils propagent ces doctrines au moyen de leurs feuilles impures, malfamées et sans tenue, ces feuilles qui ont perpétré sur l’Islam un crime ignoble et entraîné le peuple dans la pire aventure; je me dispense de vous rappeler les temps d’El Djahim et d’El Myaar, que Dieu fasse qu’ils ne ressuscitent ni ne réapparaissent ; je ne vous cite pas d’autres feuilles qui ont dissocié le peuple, celles, par exemple, qui prêchaient la naturalisation alors que le peuple s’en est toujours défendu.

Ce peuple a besoin de répit, de panser ses blessures, de recouvrer son calme et sa tranquillité, de conserver le peu de souffle qui lui reste, d’aspirer à un relèvement matériel et moral, afin de vivre une vie heureuse.


Kaddour ben Mahieddine El Haloui

Président du Comité exécutif permanent de la Société des Oulémas musulmans algériens

Alger.


Du journal EN NADJAH (en arabe), traduis en français dans le journal El Hack : 14 juin 1934.



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