Lettre du Cheikh al-Alawî à Abdul-Karîm Jossot - 1924

Lettre (non datée) probablement en Aout 1924 envoyée par Cheikh al-Alawî ® à Abdul-Karîm Jossot en réponse à sa première lettre (Juillet 1924) adressée au Maître avant leur rencontre en Septembre 1924. Le Cheikh exprime sa surprise d'avoir reçu une lettre de Jossot et lui fait savoir qu'il avait connaissance de sa personne en lisant son opuscule intitulé "Ma Conversion" publié en 1913 en langue arabe, il lui demande de lui envoyer un ou deux exemplaires en français, ce qui indique que la version traduite en arabe n'était pas satisfaisante.

Le Cheikh fait un court commentaire sur le contenu de la lettre de Jossot dont on ignore le contenu mais on ne peut qu’imaginer qu'il va dans le même sens que son livre et son commentaire est du même style que ses "Dix réponses à l'Occident". Il finit sa lettre par des conseils précieux notamment en ce qui concerne la vision unitive de l'existence et sur la nécessité de suivre un maitre éducateur. En attendant il lui demande de ne pas rester isolé et de se mettre en contact avec son Moqadem en Tunisie Mohammed ben Abdelbârî Tounessi plus connu par Muhammad al-Aïd. Il clôture sa lettre avec une pensée à Jaffar Taillard et Myriam Sereno.

Le cheikh commence par répondre qu’il a lu sa lettre et vu l’histoire de sa conversion [1], remercie Dieu pour son cheminement et dit espérer le rencontrer prochainement. Il dit qu’il est loin d’être improbable qu’il soit de ceux dont Dieu a dit : « Dieu fera bientôt venir des gens qu’Il aimera et qui L’aimeront » …

Quant à ce que vous dites des conditions actuelles qui affectent le monde musulman et la situation des musulmans à notre époque, eh bien, je pressens malheureusement que cette condition sera la même que celle qui a affecté les adeptes des autres religions -que Dieu fasse qu’il n’en soit pas ainsi- ! quand Dieu a dit : Le temps est passé et leur cœur s’est endurci. Cela résulte de cette tendance à imiter aveuglément les Occidentaux et, selon toute apparence, jusque dans certaines de leurs croyances. S’il en est ainsi, où cela s’arrêtera-t-il? 
 
Ce processus est engagé et agit apparemment de façon continue, sans qu’on puisse l’arrêter. J’ai beaucoup réfléchi à la façon d’arranger cette situation et en ai conclu que cela était impossible, à moins qu’un État européen n’embrasse l’islam, agissant pour le soutenir et entraînant les autres. Seul cet État pourrait dessiller les yeux des gens et sauver les musulmans, qui, en retour, l’assisteraient et considèreraient les personnes de cet État comme des frères : En vérité, les croyants sont frères. Tout cela n’est pas aussi improbable qu’il n’y paraît, si Dieu facilite les choses, si tant est que les plumes restent humides [2] et que les illusions se dissipent, et tout ce que nous venons de dire est bien sûr très schématique.

Quant à ce qui concerne l’individu personnellement [3], la chose la plus importante et qu’il faut absolument viser, c’est la conviction de l’Unicité de Dieu et le respect de tous les envoyés sans aucune exception : ces deux aspects constituent la pierre angulaire sur laquelle est fondée tout l’édifice de la religion islamique, et vous les avez grâce Dieu bien facilement assimilés. Après cela, comme vous le savez, il existe des obligations qui n’ont rien de difficile sauf pour quelqu’un qui refuse de s’abaisser devant Dieu. Quant à vous, ce sont vos propres tendances qui vous y ont conduit [...]
 
Quand l’homme pratique ces obligations, c’est un signe de réussite, même s’il peut parfois ressentir cela comme une charge et, s’il est vrai que l’âme peut trouver cette servitude pesante à certains moments, cela ne remet pas en cause son credo. L’âme, comme le corps, doit s’exercer à l’obéissance à Dieu, de même que l’homme doit habituer son cœur à la doctrine de l’Unicité, à la contemplation des actes divins, des traces des qualités divines éternelles dans ce monde visible qui est le nôtre, jusqu’à ce qu’il puisse contempler la permanence de Dieu dans ce monde et, alors, il ne restera dans le regard de son cœur que Dieu. C’est sur cela qu’est fondée l’école du soufisme, qui est la quintessence de la religion islamique, et c’est ce qu’on appelle, dans le langage de la Révélation, la station de l’excellence. 
 
La religion est en effet constituée de trois choses : l’islâm, l’îmân et l’ihsân. Quant à vous personnellement, cela ne dépend que de votre propre penchant, et vous n’avez qu’à vous limiter à ce qui est prescrit par la Révélation dans son sens extérieur, je veux dire par là : l’islâm et l’îmân. Cela suffira si Dieu veut, mais en ayant tout de même toujours la volonté d’agir excellemment, et c’est ce dont avons parlé plus haut, à savoir que l’âme et le cœur doivent s’éduquer à l’Unicité divine par une voie « spéciale ».
 
 Cependant, cette voie exige de suivre un guide connaisseur de la voie, auprès duquel votre âme trouve la sérénité et pour lequel votre cœur éprouve de l’inclination, avec une sorte de désir et en lui accordant un minimum de préférence. S’il vous semble que je peux être celui-là, nous nous en remettons à Dieu et nous n’avons qu’à vérifier cet attachement par les penchants du cœur et l’inclination spirituelle, même s’il nous semble préférable de formaliser cela par un pacte passé avec l’un des représentants de la voie qui sont auprès de vous comme Sîdî [...] ou son ami. Cela permettra également qu’il vous donne quelques enseignements qui, je l’espère, vous seront utiles et rapprocheront nos cœurs. Amen !

Transmettez de notre part le salut à ce groupe dont vous me parlez, je veux dire Sîdî Ja‘fâr et Sayyida Maryam [4]. De même, j’attends de votre noble caractère que vous continuiez à m’écrire et, s’il vous reste un exemplaire de ce livre en français où vous racontez votre conversion à l’islam, pouvez-vous m’en envoyer une ou deux copies ? Si on peut l’acheter, dites-moi où. Que Dieu vous bénisse !
 
Salâm

1 I‘tinâqikum li l-islâm. On voit que le cheikh n’a pas de problème avec cette expression.
2 I.e. : que le destin ne soit pas scellé.
3 Sous-entendu : pour vous personnellement à court terme.
4 Eugène Taillard et Marie Sereno.



Note : l’image de la lettre est une reproduction, elle n'est nullement l'originale, en revanche, le texte est authentique, (Ref :Questions-Réponses et Correspondances du Cheikh al-Alawî ® -fichier en format PDF-lettre n°12)

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