A propos de Cheikh Mohamed El Bouzidi

L'année de naissance du Cheikh Mohammed El Bouzidi est désormais certaine: tout d’abord le plus répondu dans l’année de naissance du Cheikh Mohammed El Bouzidi est qu’il est né en 1824 selon Cheikh Abdel-Qâder Ben Tâha, plus connu par Dahah El Bouzidi dans son livre « Anwâr qudsia » 1, ce qui se traduit par « les Lumières sanctifiées éblouissant la présence Bouzidite » 2. Le Cheikh Ahmed El Alawi confirme cette année dans son livre "Burhan el Khossoussiyya fi tariq El Bouzidiyya" 2 bis, qui vient de voir le jour en 2022, El Hamdoulillah ! Ensuite je suis enfin tombé sur l'annoce de son décès dans le journal de l'époque sous le titre : "Les obsèques du Cheikh Bouzidi - L'Écho d'Oran 30/10/1909 où il est mentionné ce qui suit : Le défunt, âgé de 85 ans donc présumé né en 1824" 3 bis.

Mais une autre année a été avancée par Nekrouf Charef, 1814, dans son dernier article daté du 30 août 2015 « Mostaganem : Colloque national de la Zaouïa El Bouzidia : «Le Soufisme: voie de l’amour et école de la fraternité » 3. Cette année 1814 est très probable car cela écarterait les incohérences temporelles que j’ai pu constater dans la biographie du saint homme Cheikh Mohammed El Bouzidi.

Quant à l’arrestation en 1844 du Cheikh El Bouzidi alors qu’il n’avait pas encore ses vingt ans 4, par les autorités coloniales françaises l'accusant d'être un informateur de l'émir Abdel-Qâder, chef de guerre de 1832 à 1847. L’émir dominait en 1834 la vaste province d'Oran depuis le Chleff jusqu'au royaume du Maroc, donc Mostaganem avec sa voisine Oran étaient des plaques tournantes du renseignement. En revanche, en 1844, année présumée de l’arrestation du Cheikh El Bouzidi, l’émir était hors des frontières algériennes et fut défait à la bataille d'Isly, près d'Oujda, le 14 août 1844. Donc l'année la plus probable est 1834.

Nekrouf Charef toujours dans son article estime que Cheikh El Bouzidi est resté six années en tant que chef spirituel au Maroc, cette conclusion m’a été désormais confirmée par un des descendants du Cheikh Mohammed Ibn Qaddour El Ouakili El Karkari.

Les quarante années où Cheikh El Bouzidi s'est mis au service de son maître Ibn Qaddour El Ouakili me semblent un peu exagérées 5, ceci est ma conviction personnelle, le Cheikh al-Alawî dans son récit évoque une durée d'à peu près de trente trois ans 6. Le plus logique, selon Cheikh El Alawi, est que trente trois ans est le temps que Cheikh El Bouzidi a passés au Maroc (1844-1881), j'opte donc pour cette durée d'exil dont vingt trois ans (1844- 1867), tout au plus, consacrés au service du Cheikh Ibn Qaddour El Karkari, et six ans en tant que chef spirituel à tête de la zaouïa de Kerker 7 (1867- 1873). En revanche, le temps qu’il a passé dans le village de Ouardana reste inconnu, cela ne fait aucun doute qu’il s’agirait de quelques années dont il est difficile d’estimer la durée, je détaillerai plus bas.

Quant à l’année du décès du Cheikh Ibn Qaddour El Karkari, elle reste incertaine, l’an 1869 fut avancé par Ahmed Abdessalam Belqaïd dans son livre « Choumouss El ‘Arifîn » 8, mais selon le calcul de l’âge de son fils Cheikh Taïeb El Ouakili El Karkari 9, qui décéda en 1914, et qui enseigna pendant quarante ans et vécu soixante et un ans, ce qui veut dire qu’il avait quatorze année lors du décès de son père Ibn Qaddour en 1867, et c’est la raison pour laquelle Cheikh Ibn Qaddour demanda au Cheikh El Bouzidi de rester jusqu'à ce que son fils Taïeb atteint l’âge adulte, puisqu'il fut choisi parmi ses frères, plus grands que lui, d’être le vicaire de son père.

En conclusion, Cheikh El Bouzidi a quitté la zaouïa de son maître en 1873 suite au signe qu’il attendait que son maître lui avait confié avant son décès 10.

Enfin, Cheikh Ahmed al-Alawî ®, né en 1874, année confirmée et officielle 11, disait dans la première partie de sa vie: « lorsque j'étais enfant on m'avait apporté une amulette qui venait de Sidi Hammou Cheikh (Cheikh Mohammed El Bouzidi) et m'avait guéri » 12. Donc 1889, l'année supposé du retour de Cheikh El Bouzidi en Algérie reste erronée, car Ahmed Benalioua avait quinze ans et n'était plus un enfant si on se base sur le passage du récit cité précédemment. On ne peut que supposer qu’il avait entre six et dix ans tout au plus lors de cette guérison prodigieuse du Cheikh El Bouzidi, ce qui nous donne 1880 à 1884, or il fallait un certain temps et une certaine confiance qui devaient s'installer auprès de la population pour que la notoriété du Cheikh El Bouzidi soit évidente de par l’excellente réputation et l’efficacité de ses interventions guérisseuses.

On conclut alors que Cheikh El Bouzidi retourna en Algérie après 1873, et le temps qu’il passa à Ouardana, je l’estimerai à six années approximatives c’est-à-dire 1873-1879 car d’après le livre de Cheikh Dahah, le Cheikh El Bouzidi ne quitta pas ce village jusqu'à ce qu’il ait constaté que l’effort de son travail avait apporté ses fruits, il est très difficile d’aller au-delà de cette période car l’amulette qui venait de Sidi Hammou Cheikh à Ahmed Benalioua étant enfant est entre 1880 à 1884. Donc son retour à Mostaganem devait être, à mon sens et logiquement en 1880.

Par ailleurs, il est à noter que les quatorze années (1880/1894) que Cheikh El Bouzidi a passées à Mostaganem avant sa rencontre avec Ahmed Benalioua plus connu plus tard par al-Alawî, est une période considérable, la voie mystique Derqawiya du Cheikh El Bouzidi n'avait aucun écho dans la presse de l'époque. Le seul élément qu'on dispose est que Cheikh El Bouzidi s'est vu s'interdire de diffuser la tarîqa pendant cinq années (1888/1894) juste avant sa rencontre avec Cheikh al-Alawi, car c'est sur l’injonction du Prophète (§) qu'il lui ordonna de rester silencieux, ce qui nous indique qu’il enseignait les principes de la tarîqa pendant neuf ans, une autre vision onirique l’encouragea à propager de nouveau les enseignements Derqâwi, il vit une grande assemblée de foqâras et chacun portait au cou son rosaire et Allah sait mieux.

Benaouda ben Slimane parlait ainsi du Cheikh El Bouzidi vers 1893 : « Je connais un cheikh nommé Sidi Hammou, de la famille du Prophète. Il a quitté son foyer et vécu au Maroc plusieurs années ; lorsqu'il est revenu, beaucoup de gens se sont rattachés à lui. Il parlait de la voie des hommes de Dieu, mais, pour l’éprouver, Dieu a envoyé contre lui un homme qui lui a fait si grand tort qu’il se trouva en butte à toutes sortes de difficultés ; et maintenant, il est aussi effacé qu’un simple lettré, sans aucune trace de son activité spirituelle passée. Pourtant, je pense que c’est quelqu'un à qui l’on pourrait s’en remettre comme guide dans la voie. Aucun vrai guide spirituel n’est jamais apparu sans que Dieu l’ait éprouvé par quelqu'un qui lui faisait du tort, soit ouvertement, soit à son insu ».

Le texte qui va suivre est extrait de : « Les contours de la sainteté dans la figure de l’algérien Ahmed al-Alawî (1874-1934), fondateur de la confrérie Alawiyya ». Mémoire présenté en vue du diplôme de l’EHESS. Spécialité : Anthropologie historique. Septembre 2012.

« C'est seulement, selon des données de source administrative, vers fin 1895/début 1896, que Cheikh El Bouzidi est connu de la sous-préfecture de Mostaganem comme « moqaddem » mais ne fédère qu’une vingtaine d’adeptes présentés comme de jeunes mostaganémois pour l’essentiel. »

« Si, comme toute branche des Darqâwâ, le groupe des disciples du Cheikh El Bouzidi présente une base populaire, les marchands et négociants, parfois anciens artisans comme Cheikh al-Alawî lui-même ou le moqaddem en titre de la zaouïa, Benaouda ben Slimane, sont très présents et constituent manifestement le premier cercle de la confrérie, celui des plus proches disciples du Cheikh El Bouzidi. En plus de deux représentants les plus connus du Cheikh El Bouzidi, on peut donner les noms de Hammâdî Ben Qarâ Mustafâ, l’un des plus importants négociants en tissu et habits de Mostaganem, que Cheikh al-Alawî appelle le « connaissant par Dieu » et dont il épousera une parente, ou Salah Bendimered. Viennent ensuite les fonctionnaires et notables politiques, qui appartiennent plutôt au deuxième cercle. Plusieurs d’entre eux jouent un rôle social important à Mostaganem : c’est notamment le cas de deux des trois principaux notables musulmans de Mostaganem qui se rattachent au Cheikh El Bouzidi vers 1896 : El Harrag Benkritly, fils de caïd et homme politique, et Ahmed Bensmaïne, un riche négociant. Ces deux personnages feront une belle carrière dans l’Algérie française de l’époque. Plusieurs conseillers municipaux sont liés à la confrérie, quand ils n’en font pas nettement partie : certains portent le nom Benalioua ou sont des cousins du Cheikh al-Alawî, comme ‘Abd al-Qâdir Ben Saftâ, qui déclarera pour l’état civil le décès du Cheikh en 1934. Des parents de Bensmaïn et Benkritly sont également conseillers municipaux. C’est aussi le cas de Ba‘alî ben Qarâ Mustafâ, qui est le propre frère d’un condisciple et parent par alliance du Cheikh al-Alawî, Hammâdî Ben Qarâ Mustafâ. On trouve d’ailleurs dès cette époque des preuves évidentes que des membres du cercle en quelque sorte officiel de la confrérie sont à l’origine de multiples interventions dans le domaine social. De nombreuses anecdotes mettant en évidence à la fois leur statut de personnages liés à l’administration française et leur rattachement à la voie expriment l’idée que cette « voie » du Cheikh El Bouzidi est pleinement compatible avec une insertion dans l’organisation politico-sociale coloniale française. Un jour par exemple, le Cheikh El Bouzidi teste la sincérité de Benkritly qui s’est revêtu de ses plus beaux habits pour recevoir le gouverneur général, en lui faisant porter dans tout le quartier arabe des abats de mouton dont le sang vient maculer sa tenue de cérémonie : Benkritly se soumet à l’épreuve sans broncher et Cheikh  El Bouzidi atteste alors de l’authenticité de son engagement.

C’est donc à l’époque même du Cheikh El Bouzidi que se met en place ce soufisme pacifique, intégré et compatible avec le monde des colons, orientation qui perdurera et sera même renforcée par les deux successeurs du Cheikh El Bouzidi. Les rapports de la sous-préfecture sur les Darqâwas de Mostaganem signalent systématiquement que « l’attitude des cheikhs et des moqaddems est des plus correcte. » Et quand l’ensemble des démarches indigénophiles en faveur de réformes visant à une plus grande attention aux intérêts des indigènes conduisent à la création en 1913 d’une alliance franco-indigène qui essaime dans toute l’Algérie, où l’on voit se constituer des associations locales qui semblent se faire l’écho des idées des Jeunes-Algériens, ce sont manifestement des proches de la confrérie qui fondent avec quelques notables français ce Cercle franco-arabe de Mostaganem qui mérite bien d’être considéré comme une sorte d’ancêtre « laïque » de l’Association des amis de l’islam de Bentounès.

L’Indépendant de Mostaganem du 2 février 1913 dit de ce cercle que son « nom est un symbole d’union et d’espoir ». Quasiment tous les noms des responsables musulmans sont liés au Cheikh El Bouzidi ou Cheikh al-Alawî : le vice-président est Mustapha Benkritly (le président étant le Docteur Queyrat) ; l’un des trois administrateurs est Ba‘alî ben Qarâ Mustafâ ; l’un des deux secrétaires est un Alioua Mustafâ ; ‘Abd al-Qâdir Ben Safta, cousin du Cheikh al-Alawî et conseiller municipal en est membre ; l’un des deux trésoriers est un Mohammed Benyekhou (nom de l’oncle maternel du Cheikh El Bouzidi), et l’archiviste est un Habib Benguettat, nom d’une famille très présente dans la confrérie.

J’ai parlé de la catégorie des artisans et commerçants, de celle des politiques et fonctionnaires travaillant pour l’État français, mais qui de la classe des « savants » ? Il semble bien que le Cheikh El Bouzidi n’ait parmi ses disciples aucun savant connu. Le mufti de Mostaganem, par exemple, est manifestement plutôt lié à l’autre groupe darqâwî, celui de Qaddûr ben Slîmân. On pourrait faire valoir qu’il y en a au moins un, Cheikh Benyelles, mais ce dernier n’intègre la confrérie, vers 1902/1903, que quelques années avant le décès du Cheikh El Bouzidi et justement à l’initiative du Cheikh al-Alawî, qui rend seul visite aux disciples Habriyya de Tlemcen et en attire immédiatement quelques-uns, parmi ceux qui lui seront le plus fidèles, ce qui montre que l’extension de la confrérie dans le milieu des savants est bien son œuvre. Quand au Cheikh El Bouzidi, il reste parfaitement dans la lignée du Cheikh al-Darqâwî, auquel il ressemble à bien des égards, étant assez critique à l’égard des oulémas. C’est un homme simple qui a gardé de son séjour au Maroc des habitudes par trop libérales pour le milieu algérien, et tout en étant bien sûr foncièrement orthodoxe, il n’a rien du scrupule formaliste qu’on trouve d’ordinaire dans les milieux religieux.

Le groupe qui ne comptait qu’une vingtaine d’adeptes en 1896 voit croître ses effectifs. En 1906, l’ensemble des Darqâwâ est évalué par l’administration à 200, inclus les Slîmânîs, qui constituent une branche distincte. On peut donc en déduire que l’ordre de grandeur pour l’effectif des disciples mostaganémois du Cheikh El Bouzidi est la centaine. » (Fin de citation).

Récapitulatif :
-1824 : naissance du Cheikh Mohammed El Bouzidi.
-1844 : (20 ans) départ pour le Maroc.
-1867 : (43 ans) maître éducateur.
-1880 : (56 ans) retour en Algérie.
-1893/94 : (70 ans) rencontre Bouzidi/Alawî.
-1909 : (85 ans) décès de Mohammed El Bouzidi.

Remarque : ces années sont approximatives, seul les années de naissance et de décès sont désormais certaines. Les quinze années que Cheikh Alawî a passés au service de son maître Bouzidi nous amènent approximativement à l’année de sa rencontre avec son maître 1893/94.

wallahou a'lem

Derwish al-Alawî

Mise à jour le 31/03/2024


Références :

  1. réf: El Anouâr El Qudsia assâti’a ‘ala El hadra El Bouzidia.
  2. Cheikh Dahah El Bouzidi. op. cit. p.16. 2 bis : Burhan el Khossoussiyya fi tariq El Bouzidiyya. 3 bis : L'Écho d'Oran 30/10/1909
  3. Le Soufisme: voie de l’amour et école de la fraternité.
  4. Cheikh Dahah El Bouzidi, réf: 1.
  5. Cheikh Dahah El Bouzidi. op. cit. p. 20.
  6. Rawda Saniyya.
  7. l’évocation de ces six années revient souvent dans les quelques références que j’ai pu obtenir.
  8. zaouia el belkaidia, compte Facebook, biographie du Cheikh Ibn Qaddour.
  9. Confirmée par un membre de sa descendance.
  10. Lorsque son maitre lui a confié la gestion de la zaouïa et la prise en charge de ses enfants, il lui a dit : « lorsque les habitants de Kerker manifestent de l’hostilité à ton égard, c’est le signe que tu as la permission de quitter la zaouïa et retourner dans ton pays ».
  11. d’après son acte de naissance et aussi son visa de sortie établi en 1909.
  12. Rawda Saniyya

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