Abderrahmane Charles Tapié

Abderrahmane (Charles) Tapié est né en 1860. Journaliste de profession depuis 1881, rédacteur de plusieurs journaux de Paris et de province, ex-rédacteur en Chef du Progrès de Biskra. 
 
Il créa (à Bône) un organe à tendances arabophiles « El Hack », Journal politique et littéraire dans le but de morigéner certains abus. Cette publication n'eut d'ailleurs aucune durée éphémère (1893 - 1894) et ne fut édité que 26 numéros. Rédacteur en chef de l’Indépendant jusqu’au début 1896 où il tenta de s’établir à Tunis. 
 
M. Tapié s’établit finalement à Oran. Il réédita de nouveau El-Hack qui se donnait pour second titre « Le Jeune Egyptien ». Cet hebdomadaire bilingue qui parut à Oran à partir d'octobre 1911 et jusqu'en août 1912. Converti à l'Islam, Abderrahman Tapié, avec la collaboration d'une équipe où se détachent les noms de Si Ahmed Ben Rahal, confident de l'ex-conseiller général de Nedroma, Si M'hammed, d’Ahmed Bouri, instituteur socialiste, et d'Omar Racim.
 
Ce journal qui se disait « essentiellement musulman » n'hésita pas à prendre position contre le service militaire obligatoire et les « traîtres » qui en étaient partisans : il appela les Algériens « à lutter contre le régime du plus vil esclavage », publia des pétitions arabes en ce sens et envoya une délégation à Paris composée de gens de Nedroma et de Ghazaouet (Nemours). Il condamna aussi le code de l'Indigénat, « ce Sésame ferme-toi des Temps modernes » et réclama le droit pour les Musulmans de participer à l'administration de leur pays. Surtout il fit appel à la cohésion du peuple algérien : « Instruits ou ignorants, riches (s'il en reste) ou pauvres, fonctionnaires ou laboureurs, ne formez qu'un seul peuple et qu'une seule nation » (21 octobre 1911). 
 
Luttant contre l'assimilation (« Abandonnons cette utopie ; restons ce que nous sommes, ce que nous ne pouvons pas ne pas être »), il protesta contre toute tentative de modification sous prétexte de codification de la loi musulmane. Il fallait selon lui, que ce peuple « peuple conquis » s'enferme « dans une dignité froide » ... « il progressera dans sa voie, il continuera la tradition, il se mêlera aux choses nouvelles ; sans chercher à rien retrancher de son passé et de son caractère ... Il sera un peuple parallèle » (30 mars 1912). Il proposait de constituer une banque musulmane, une hôtellerie musulmane, voire une ligue antialcoolique musulmane. 
 
Combattu par les Jeunes-Algériens francophiles, El-Hack-Le Jeune Égyptien regardait visiblement en direction de l'Orient arabe. L'Administration sans jamais le poursuivre en interdit cependant la lecture aux élèves des médersas et de l'École normale.
 
EI-Hack ne conseilla jamais aux Algériens ni la révolte, ni l'exil en dépit de ce qu'a pu écrire l'administrateur Rohrbacher. Au contraire, une feuille suspecte, Le Tout ou Rien, édité à Oran par une certaine Sapho et Ould Ahmed ben Abdallah « pour défendre les Arabes contre la persécution dont ils sont l’objet », écrivait : « Les protestations ne vous serviront de rien, mais, puisque vous n'êtes que des spectateurs, fuyez !». Cet hebdomadaire invitait les Musulmans à demander l'aide de l'Allemagne, injuriait la France « nation inférieure qui est cause que des milliers de travailleurs meurent de faim pour n'avoir peu voulu renoncer à deux provinces, l'Alsace-Lorraine. » Sapho déconseillait pourtant l'insurrection car «il y avait trop d'Arabes dévoyés dangereux pour leurs semblables ... Ils se trahiraient presque tous entre eux ». (Cette feuille parut librement de juin 1912 à avril 1913).
 
Le Directeur Tapié écrivait le 18 janvier 1912 à un ami : « Le journal est à moi seul. Il n'y a ni comité, ni bailleur de fonds, rien ni personne » et le 31 mars : « Il me serait bien difficile par lettre de vous exposer la genèse d’EI-Hack et surtout mes désillusions et mon découragement dont vous ne verrez jamais aucune trace dans le journal bien entendu ».
 
Après l’interdiction de son journal, M. Tapié ouvrit à Oran, au 4 rue de Lyon, une librairie où il se complaisait, en collectionneur averti, à faire une sélection d'ouvrages anciens et modernes les plus variés.
 
Homme lettré, cultivé et fin connaisseur de l’islam, il est à l’origine des dix questions posées au Cheikh al-Alawî en 1924. Il demanda au cheikh d’écrire un livre qui constituerait un appel de l’ensemble de l’Europe à embrasser la religion abrahamique pure et essentielle (milla hanafiyya samha) ; il rédigea à cet effet dix questions auxquelles il lui demandait de répondre de façon très claire, afin que cela en facilite l’acceptation par celui qui lirait cet ouvrage ».
 
Ce qui est sûr, c'est que, contrairement à Taillard et Jossot, Abderrahmane Tapié est resté musulman jusqu'à la fin et dans la tarîqa. On sait en effet qu'il a été enterré comme musulman, et qu'il y avait une multitude de fuqaras à son enterrement. Le cheikh al-'Alawî était présent et avait délégué au cheikh Adda son éloge funèbre.
 
Dans les Shahâ'id, vers les pages 55-61 : il y a une attestation n°16 du Directeur adjoint « d'al-Najâh », le cheikh Sidi Ismaël Ben Mami annotée par El Jarîdî qui dit que le journal « al-Taqaddum » a fait un long article sur son enterrement dans son numéro 10 sous le titre « un journaliste français meurt en musulman », il cite l'article :
 
« Nous est parvenu la nouvelle de la mort à Oran de M. Charles Tapié qui était le plus grand philosophe d'Oran… [suit un éloge] On nous dit que sur la fin de sa vie, il avait abandonné les réflexions politiques et se consacrait à la purification de son âme. Il avait excellé dans la science mathématiques et également dans la purification de son caractère, mais n'avait malgré cela pas atteint son but, jusqu'au jour où il rencontra le maître, connaissant de son Seigneur, le cheikh al-'Alawî (1913) ; il en tira un profit plus grand que tout ce qui avait précédé et atteint son but. Il se consacrait au Dhikr et disait que s'il y avait seulement dans le monde un tout petit groupe de personnes comme lui, l'ensemble des différences de doctrine entre les religions disparaîtraient. C'est la meilleure preuve de son attachement et de son entrée en islam par l'intermédiaire du cheikh al-'Alawî. En résumé, il le fréquenta sur toute la fin de sa vie et l'eut pour maître jusqu'à la fin de ses jours. A son enterrement, sa famille récitait des invocations et était précédée par la tâ'ifa 'alawiyya, d'une façon publique. On peut dire que cet enterrement fut un cas unique à Oran, chargé de dignité et de crainte révérencielle, à tel point que certains du conseil municipal en furent touchés. La dépouille fut enterrée dans le cimetière des musulmans, conformément  au testament du défunt. C'est le cheikh al-'Alawî qui dirigea la prière des morts, à la tête d'un groupe immense de disciples. Après l'invocation et la parole Amen, c'est l'éminent, l'éduqué Sidi Adda Bentounès qui fit un discours éloquent que le journal ne peut reproduire ici. Puis le défunt fut enterré, c'était le 5 Rabi'a I de 1342 (16 octobre 1923) et c'est le cheikh al-'Alawî qui a fait la prière sur lui ; il fut enterré au cimetière des musulmans ».
 
Plus loin il est dit que ce discours eut un fort impact sur les participants. Même les journaux français en parlèrent et l'un des journalistes dit ceci : « Monsieur Tapié a mis un turban sur sa tête au moment où nous voyons les musulmans arborer fièrement un béret ».
Puis Jarîdî dit en note :
 
« Voici le texte du discours que prononça Adda Bentounès à cette occasion et qui a été publié par le « Taqaddum » dans son numéro  11 sous le titre : Discours de Sidi Adda Bentounès prononcé à l'occasion de l'enterrement de Abderrahmane Tapié : 
 
« Louange à Dieu, Lui qui a révélé dans Son Livre préservé, le Coran : « Dis: O gens du Livre, venez à une parole commune entre nous et vous: que nous n'adorions qu'Allah, sans rien Lui associer, et que nous ne prenions point les uns les autres pour seigneurs en dehors d'Allah » Âl-‘Imrân 64. Que la proximité et la paix divines soient sur celui qui a apporté la véritable unicité « tawhid » et l'égalité entre les individus de la création, celui qui a dit : « Il n'y a pas de supériorité de l'Arabe sur le non arabe ou l'inverse, sauf la supériorité par la crainte de Dieu », ainsi que sur sa famille et ses compagnons... [suit un éloge du défunt].
 
Il vécu longtemps sur des idées dont il pensait qu'elles étaient la vérité... Puis il se mit à faire des recherches sur les points importants du Coran dans le but de les mettre en relation avec ce qui en est dit dans l’Évangile de Jésus, sur lui la paix, de façon à établir la vérité à sa source. Il rencontra de nombreuses personnes dans ce but et consulta de nombreux ouvrages, mais il n'y arrivait pas, comme lui-même le disait, jusqu'au jour où il rencontra le cheikh al-'Alawî il y a 10 ans (1913). Il lui exposa ses préoccupations et son incapacité à concilier les Livres, les uns avec les autres, puisque tous viennent de Dieu. Il obtint du cheikh, par sa bénédiction, ce qu'il cherchait, et il fut en mesure d'affirmer que le Coran est vrai et qu'il a été révélé pour venir appuyer tout ce que les autres livres célestes ont affirmé, qu'il a la capacité de s'adresser à l'humanité tout entière. Lui-même s'est mis à suivre les actions qu'il prescrit. Il demanda au le cheikh al-'Alawî s'il pouvait demeurer en sa compagnie, ce que le cheikh al-'Alawî accepta mais à la condition qu'il renonce à la politique, car il s'y consacrait précédemment, et d'ailleurs il était journaliste. Or, la voie (madhhab) du cheikh al-'Alawî s'oppose à toute action et but politiques. Il accepta de bon gré cette condition et se consacra dès lors à purifier son intérieur... sans que cela ne l'empêche d'œuvrer au bien pour sa communauté, je veux dire les Français. Il posa 10 questions par écrit au le cheikh al-'Alawî, lui demandant une réponse qu'il pourrait traduire en français. Malheureusement, il n'en eut pas le temps. Voilà ce que nous connaissons de sa vie. Nous prions Dieu pour lui... Je remercie ceux qui ont assisté à son enterrement, en particulier ceux qui ne sont pas d'Oran et son venus à cette occasion....".
 
Miné depuis longtemps par une affection de l'estomac qui ne lui laissait plus le moindre répit, A. Tapié rendit l’âme à 63 ans, le 23 septembre 1923 dans sa villa au village Carteaux à Oran.
 
 
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