C'est en effet une tendance moderniste qu'affichent les Ahmadiya aux yeux de l'Europe, sinon dans leur doctrine. Leur but avoué est de « tirer l'Islam des ténèbres de l'ignorance ». Pour y parvenir, ils veulent comme les Égyptiens d'aujourd'hui par exemple tout en maintenant l'Islam dans sa législation, répandre la culture arabe et les idées de progrès intellectuel et matériel. On a pu citer le cas d'un de leurs missionnaires qui poursuivait en Afrique occidentale une politique-anglaise, mais nettement antifrançaise. Le cas des Ahmadiya est celui d'une confrérie musulmane à allure un peu spéciale il est vrai ? Qui cherche à mettre ses moyens d'action et sa politique au niveau des nécessités du moment, mais surtout de ses intérêts immédiats. Un désir analogue se manifeste chez d'autres groupements soufis. C'est ainsi que la récente confrérie des 'Alawiyyin, fondée à Mostaganem par le cheikh Ahmed b. Mostafa ('Aliwa) qui s'est donnée une zâouiya filiale à Paris, recrutant surtout des Kabyles qui s'y trouvent. Cette confrérie cherche aussi à avoir un journal à elle.
On pourra se renseigner sur cette confrérie et les règles qui y sont en vigueur grâce a la brochure de l'un des adeptes de l'ordre, Al-Hassan b. 'Abd al-Azîz, publiée sous le titre :
"Irshâd ar-râghibin ilâ ma hatawat 'alaîhi—tariqatah 'alawiyya min al fath al mubin" (إرشاد الرّاغبين إلى ما احتوت عليه الطّريقة العلوية من الفتح المبين ) (p. 11 à 4), à la-suite du Al-qaûl al-maqbûl du Cheikh Ahmed b. Mostafa p. i-10) à Tunis, 1339 h. sur la dernière page de ce petit livre et au dos de la couverture se trouve la liste de publications du cheikh et des ouvrages qu'il prépare.
Pour assurer son succès et celui de sa confrérie le cheikh Ahmed a fait imprimer les lettres et les témoignages d'estime de notabilités du monde musulman nord-africains, tant à son sujet que sur la confrérie nouvelle. Cet ensemble de documents forme un volume (de 295 pages) publié à Tunis en 1344 (1925 de J.-C.) sous le titre :
"Kitâb al-Shahaid wal-fatâwî fimâ Saha ladâ-l-Ulamâ' min amr al-cheikh al-'Alâwi". (الشهائد والفتاوي فيما صحَّ لذا العلماء من أمر الشيخ العلوي)
Retenons de ceci que l'administration qui doit veiller au bon ordre en terre musulmane ne doit pas négliger d'observer les tendances et les actes des Zaouïas. Toutefois il ne faut pas s'exagérer comme certains le pensent le danger qu'offrent ces confréries pour l'autorité qui gouverne le pays.
A ce point de vue je ne saurais résister à citer ici une partie des conclusions d'Alexandre Joly, placées à la fin d'une consciencieuse et perspicace étude, faite par lui dans les zaouïas mêmes d'une confrérie religieuse algérienne. Ces paroles bien que destinées aux confréries de la Berbérie, conviennent parfaitement à toutes celles des terres de l'Islam ; les voici : « En résumé, les ordres religieux de l'Islam barbaresque nous apparaissent non seulement ennemis les uns des autres, mais encore déchirés par des rivalités intestines continuelles qui rendent bien illusoires leurs rêves s'ils existent de domination universelle. On doit se mettre l'esprit en repos contre la crainte d'un panislamisme dont ils seraient la base et la clef de voûte tout à la fois.
Sans doute, pourtant, il ne faut pas s'endormir dans une sécurité trompeuse ; des cas peuvent se présenter où, momentanément, ces ordres oublieront leurs dissensions pour faire cause commune contre un ennemi commun.
Mais c'est à la politique séculière de savoir rendre impossible cet événement en utilisant avec doigté les divisions actuelles, en s'efforçant au besoin de les maintenir, de les accentuer » (1).
C'est un fait d'ordre général dans l'Islam, qu'à mesure qu'une confrérie étend son action sur de trop vastes territoires, les délégués, éloignés de la maison-mère, deviennent peu à peu indépendants, la confrérie se fractionne en multiples chapelles, souvent même hostiles les unes aux autres. Le même phénomène ne s'est-il pas produit pour le Khalifat lui-même dans l'ancien Islam ?
A ce germe morbide que les confréries portent en elles s'ajoute encore partout l'arrivée des idées européennes. Cette pénétration de la culture occidentale, ne laisse guère subsister chez les Musulmans qu'elle atteint, l'état de réceptivité nécessaire au succès du soufisme.
(A suivre)
Alfred BEL.
(1) A. Joly, Etude sur les Chadouliyas, Alger-Jourdan, 1 brochure de 78 pages, 1907, p. 75-76.
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